Étiquette : Réel

  • Citation #141

    Le sage ne rencontre pas de difficultés. Car il vit dans la conscience des difficultés. Et donc n’en souffre pas.

    Lao Tseu (milieu VIe siècle avant J.C.) sage chinois, considéré a posteriori comme le père fondateur du taoïsme. Son existence n’est pas tout à  fait avérée…

  • Citation #138

    A vouloir dissimuler coûte que coûte les conflits, on finit très souvent par bloquer toute issue, y compris celle de la négociation, et souvent on exaspère l’opposition des parties. Le conflit introduit une rupture et du même coup il débloque la situation parce qu’en général il met subitement les parties en présence de l’enjeu réel, des conséquences et des risques.

    Julien Freund (1921 – 1993) philosophe, sociologue et résistant français

  • Trois coups de tonnerre

    Trois coups de tonnerre

    Jean Clayrac signe avec « Trois coups de tonnerre » un petit essai très intéressant, et rudement bien écrit. Jean Clayrac est le pseudonyme de l’auteur, également taulier du site Un Regard Inquiet, que je vous invite à  découvrir. Le livre est sous-titré « Confession d’un antiraciste ordinaire », il est très bien résumé par le 4ème de couverture :

    Un antiraciste ordinaire, naguère certain de sa bonne moralité, a pris conscience, l’année précédente, de ses compromissions intellectuelles et des drames qu’elles avaient engendrés. Il se plonge dans une réflexion sur leurs causes idéologiques, morales et finalement existentielles, pour ouvrir la voie à  une refondation intellectuelle.

    C’est de la refondation de la gauche dont il s’agit. Et donc d’une partie de la société française, tant l’idéologie décrite dans l’essai – où elle y est démasquée, déconstruite, expliquée, analysée – imprègne les esprits en 2021 en France.

    Prise de conscience tardive ?

    Mieux vaut tard que jamais, se dit-on au début de l’essai. Car les trois coups de tonnerre sont l’affaire George Floyd, les actes de sauvageries de l’été 2020, et l’assassinat de Samuel Paty. 3 affaires relativement récentes qui, en retentissant comme des coups de teonerre, ont ouvert les yeux de l’auteur. On se demande comment du coup avaient retenti pour lui le 11 septembre, le Bataclan et tous les autres attentats islamistes. Mais mieux vaut tard que jamais ; et le livre, de fait, répond à  cette question de manière très précise et assumée. C’est tout l’intérêt.

    Mécanismes et causes de l’aveuglement volontaire

    Jean Clayrac, avec une honnêteté rare, et une précision chirurgicale, explique pas-à -pas les mécanismes du déni de réel dans lequel une partie de la gauche s’est enfermée depuis très longtemps, les raisons de ce déni. Les formes prises par ce déni aussi. Tout y est très documenté. C’est l’analyse des causes idéologiques du déni (antiracisme bêlant, oubli de l’histoire, ethnocentrisme). Et on retrouve, bien sûr, le point central des travaux de Bock-Côté : paraître vertueux, socialement, a été un des moteurs de ce déni.
    Une fois explicité tout cela, l’auteur poursuit son introspection, en écrivant « nous ». J’entends dans ce nous autre chose qu’une manière de ne pas dire « je » : il parle pour son « camp » idéologique, la gauche. Il cherche donc les causes morales du déni. Et il les explique très bien : lâcheté, conformisme, intelligence compromise.

    A faire découvrir à  tous vos amis de gauche

    Si le livre ne m’a pas appris tant que cela, il m’a permis de me mettre un peu dans les chaussures de quelqu’un d’idéologisé. Je suis admiratif du chemin parcouru par l’auteur (mais est-ce vraiment le cas, ou ce point de vue n’est-il qu’une manière rhétorique d’emmener dans son récit de manière assez large, y compris, surtout, ceux qu’il cherche à  faire bouger ?). Le livre est remarquablement clair, bien écrit, et découpé en courts chapitres qui rendent la lecture et la progression du propos tout à  fait limpide. En fait, je me suis dit en le terminant que j’allais l’offrir à  mon ami de gauche, car cet essai explique mieux que moi une partie des idées qui sont les miennes. L’essai permet certainement de faire bouger certaines consciences. On ne peut que l’espérer…

  • Citation #120

    L’utopie n’est astreinte à  aucune obligation de résultats. Sa seule fonction est de permettre à  ses adeptes de condamner ce qui existe au nom de ce qui n’existe pas.

    Jean-François Revel (1924-2006)
    Philosophe, écrivain et journaliste français.

  • L’étrange défaite

    L’étrange défaite

    Marc Bloch est un historien français de renommée, ancien combattant de la première guerre mondiale, et combattant volontaire lors de la seconde, résistant, mort sous les balles de la Gestapo, après avoir été capturé et torturé. En 1940 (de juin à  septembre), il écrit un livre remarquable, L’étrange Défaite, qui ne sera publié qu’après sa mort, en 1946. Dans ce livre, il se présente comme un témoin de l’intérieur (puisqu’il combat dans l’armée française, où il exerce des responsabilités comme Responsable des Carburants, et il analyse la défaite. Il en décrit les ressorts opérationnels, et cherche, au-delà  des raisons militaires, à  en comprendre les causes. J’ai lu ce livre parce qu’il était plus que vivement recommandé par Pierre Mari, dans son essai En pays défait. Ce qu’il disait de l’analyse de Bloch résonnait avec ma passion pour la vérité et pour le réel.

    Défaite militaire

    La défaite dont parle Bloch, c’est bien sûr la défaite militaire de la France contre l’Allemagne, au début de la seconde guerre mondiale. En quelques mois, les Allemands défoncent littéralement les défenses de leurs adversaires sur le front de l’Ouest. La défaite est intellectuelle et stratégique :
    Beaucoup d’erreurs diverses, dont les effets s’accumulèrent, ont mené nos armées au désastre. Une grande carence, cependant, les domine toutes. Nos chefs ou ceux qui agissaient en leur nom n’ont pas su penser cette guerre. En d’autres termes, le triomphe des Allemands fut, essentiellement, une victoire intellectuelle et c’est peut-être là  ce qu’il y a eu en lui de plus grave. On peut, je crois, préciser encore davantage. Un trait, entre tous décisif, oppose la civilisation contemporaine à  celles qui l’ont précédée : depuis le début du XXe siècle, la notion de distance a radicalement changé de valeur. La métamorphose s’est produite, à  peu près, dans l’espace d’une génération et, si rapide qu’elle ait été, elle s’est trop bien inscrite, progressivement, dans nos moeurs, pour que l’habitude n’ait pas réussi à  en masquer, quelque peu, le caractère révolutionnaire. (…) Cette guerre accélérée, il lui fallait, naturellement, son matériel. Les Allemands se l’étaient donné. La France non, ou, du moins, pas en suffisance.
    Les français, pour la plupart, n’avaient pas pris la mesure du changement complet d’approche des Allemands. Voilà  la raison de l’étrange défaite.

    En un mot, parce que nos chefs, au milieu de beaucoup de contradictions, ont prétendu, avant tout, renouveler, en 1940, la guerre de 1915-1918. Les Allemands faisaient celle de 1940

    Marc Bloch décrit aussi très bien comment, de manière tactique, la bureaucratie, l’absence de communication entre services, les petits intérêts personnels ont pu rendre presqu’impossible le combat des troupes françaises. Mais il a raison : cette défaite tactique n’est que la conséquence de la défaite intellectuelle et stratégique.

    Défaite des élites

    Marc Bloch cherche ensuite à  comprendre d’où vient cette défaite intellectuelle, qui ne peut évidemment se résumer à  une défaite militaire. Il analyse ce qui, dans la société française, a pu générer un tel décalage entre les Allemands et les Français. Son analyse me semble très juste. Il y décrit à  merveille une société où les débats sont peu à  peu devenus paresseux, avec des intellectuels qui patiemment ont détruit l’idée de progrès, avec des journalistes que le réel n’intéresse que peu. Il critique sévèrement aussi l’Education nationale qui n’a pas appréhendé l’enjeu majeur, au-delà  de l’instruction, d’apprendre aux enfants le goût de l’observation, de l’autonomie dans la pensée critique. En lisant cette partie, comme en lisant l’essai de Pierre Mari, la rage froide revient : car ces constats si intelligemment faits, en 1940, sont toujours d’actualité. Rien ou presque, n’a été fait. Que de temps perdu ! Oui : on peut en vouloir aux élites.

    Que l’on regarde la séquence de la crise du COVID, et les effets de manche actuels du gouvernement. Un peu de recul historique montre que la réaction actuelle de nos élites est à  la fois grotesque – dictée par les (en)jeux de communication – et dramatique – toujours plus d’étatisme, toujours plus d’argent balancé à  droite à  gauche. Aucune analyse des erreurs, ou marge d’amélioration. La com’, la com’, la com’.

    A lire d’urgence

    Au-delà  de l’analyse incroyable, il faut se jeter sur cet essai : il est écrit dans un français admirable (j’en ai gardé plein de citations), et de toute évidence Marc Bloch était un penseur d’une grande finesse, en plus d’être un homme d’un grand courage. On lit par ailleurs dans son texte, de manière explicite, un patriotisme fervent, sincère et direct que l’on aimerait pouvoir retrouver dans nos élites actuelles. Je vois un peu d’espoir à  certains endroits (par exemple, ou encore), mais que cela est fragile, et semble lointain, devant l’ampleur des chantiers à  démarrer.
    Enfin, à  titre personnel, je suis touché par le livre de Marc Bloch parce qu’il y exprime très bien le mal français, qui est avant tout de ne pas vouloir/pouvoir se coltiner la réalité. L’épitaphe souhaité par Bloch dans son testament (qui accompagne mon édition de l’Etrange défaite, avec 5 essais variés, à  lire également) est « Dilexit veritatem » (« Il aimait la vérité. »).
    Vraiment, pour que s’accomplisse, selon le mot de Renan, après une autre défaite, la réforme intellectuelle et morale de ce peuple, la première chose qu’il lui faudra rapprendre sera le vieil axiome de la logique classique :
    A est A, B est B ; A n’est point B.

    Comme l’écrivait très bien Chantal Delsol :
    Je veux dire que l’acquisition de la réalité se fait dans l’enfance ou ne se fait jamais. La fierté d’un éducateur est de façonner des adultes, et non de vieux enfants. Etre adulte consiste à  nommer les choses telles qu’elles sont. C’est pourquoi une époque idéologique fabrique un peuple-enfant.

    Quand les français vont-ils se décider à  sortir de l’idéologie permanente, et à  redevenir un peuple d’adultes ?

  • Politique et éthique [bis]

    Politique et éthique [bis]

    J’avais il y a quelque temps publié un article pour essayer de dégager/construire une grille de positionnement politique. Les commentaires (et les discussions avec certains en chair et en os) m’avaient conduit à  chercher un peu plus, et à  rencontrer le cadre conceptuel d’Arnold Kling.

    Cadre conceptuel d’Arnold Kling

    J’étais tombé sur le blog de Nicomaque (alias Damien Theillier), que j’ai eu la chance de côtoyer à  l’époque de mon activité de blogueur politique (LHC et compagnie). L’article en question revient sur le découpage proposé par Arnold Kling, économiste et membre du CATO institute. Ce découpage consiste à  expliquer qu’il existe trois types de pensées politiques : conservatrice, progressiste et libérale. Chacune ayant sa grille de lecture, sa tension centrale, son axe entre un Bien et un Mal. Ces différentes grilles de lecture du monde expliquent en partie la difficulté de dialoguer entre courants politiques. Je vous invite à  lire l’article de Nicomaque en entier, il vaut le détour. Pour rappel je recolle ici les tensions identifiées par Kling :

    PROGRESSISME
    Opprimés <————————-> Oppresseurs

    CONSERVATISME
    Civilisation <————————-> Barbarie

    LIBÉRALISME
    Libre-choix <————————-> Coercition

    Adaptation et mise en image

    Je les ai modifiées un peu, car je trouvais intéressant les points suivants :

    • chaque tension peut être lue comme un axe Bien/Mal. J’ai donc modifiée celui des progressistes pour le formuler avec un Mal (l’oppression) et un Bien (l’Egalité). De même, pour les libéraux, étant connaisseur de la pensée libérale, le terme de coercition me parait inadapté. Les libéraux ne sont pas contre l’application de la Loi, ils sont contre son extension infinie par la réglementation constructiviste. J’ai donc choisi le terme d’irresponsabilité (un peu faible, mais qui décrit mieux le positionnement libéral).
    • Un axe Bien/Mal m’a envoyé dans un registre moral, au sens propre du terme. Qu’est-ce que la morale, si ce n’est cette tension entre l’être et le devoir-être ? L’être, c’est le réel. Et le devoir-être, c’est le monde de l’idéal visé. Intéressant pour tempérer les velléités idéologiques. Rester relié au réel, bien sûr. Mais aussi accepter que les autres courants de pensée disent quelque chose de ce réel qui est tout aussi recevable.
    • j’ai tenté de formuler ce qui peut être commun aux courants de pensée (pris deux à  deux) sur les bords du triangle. Par construction, chaque courant trouverait ce qui l’oppose aux deux autres sur le bord opposé du triangle.

    Le résultat est la figure qui illustre l’article. Qu’en pensez-vous ? Est-ce que cela fonctionne à  votre avis ? Seriez-vous capable de vous positionner dans un des courants ? Lequel est le plus loin de vous ? Dans mon cas, cela fonctionne pas trop mal. Je me sens libéral-conservateur (si je devais choisir, car par ailleurs je crois au Progrès…)