Mois : janvier 2022

  • Citation #142

    Un homme sage ni ne se laisse gouverner, ni ne cherche à  gouverner les autres : il veut que la raison gouverne seule et toujours.

    Jean de La Bruyère (1645 – 1696) moraliste français.

    Ajout du 20 février 2023 :
    Dans cette citation, La Bruyère fait l’apologie de la raison comme alternative à la domination des uns sur les autres, et comme sagesse pratique. Si la raison gouverne, seule, c’est donc que nous avons mis de côté pour gouverner nos actes les émotions, les passions, les idéologies, les croyances, les instincts, etc. C’est le sens suivant du mot « raison » qui semble être à l’oeuvre dans cette phrase (dico, comme d’habitude : TLFI) :

    Raison : Faculté de bien juger, de discerner le vrai du faux, le bien du mal; ensemble des qualités de celui ou de celle qui sait se rendre maître de ses impulsions, de son imagination, notamment dans son comportement, dans ses actes.

    Mais la raison est aussi, de manière plus générale (même source), la « faculté qu’a l’esprit humain d’organiser ses relations avec le réel; son activité considérée en général tant dans le domaine pratique que dans le domaine conceptuel ». Pris dans ce sens, synonyme de pensée, ou d’intelligence, il est donc tout aussi important de connaître ses émotions, idéologies, croyances, intuitions, pour pouvoir – non pas les laisser gouverner – mais les intégrer dans nos relations avec le réel. Elles en font partie, et il convient de leur trouver une juste place. Notre rapport au monde ne se résume pas à savoir qui/quoi gouverne qui/quoi.

  • La horde du contrevent

    La horde du contrevent

    Incroyable univers imaginaire

    Alain Damasio a signé avec « La horde du contrevent » (2004) un roman étonnant, brillant et captivant. Dans un monde imaginaire, dominé par le vent qui balaye la surface de la planète de l’Amont à  l’Aval, des équipes d’aventuriers tentent d’aller, à  pied, en « contrant », découvrir la source du vent. Les images qui m’en sont venues à  la lecture me rappellent l’univers d’un Moebius, dans Le Monde D’Edena, par exemple.
    L’article de Wikipedia résume bien les grandes lignes :

    Ils sont vingt-trois, forment la trente-quatrième Horde du Contrevent et ont entre vingt-sept et quarante-trois ans. Dans un monde balayé par les vents, ils ont été formés depuis l’enfance dans un seul but : parcourir le monde, d’ouest en est, de l’Aval vers l’Amont, à  contre-courant face au vent, à  travers la plaine, l’eau et les pics glacés, pour atteindre le mythique Extrême-Amont, la source de tous les vents. Tous différents mais tous unis, ils forment une horde autonome et solidaire, qui avance dans un seul objectif, luttant constamment contre le vent. Profitant du savoir et de l’expérience de huit siècles d’échecs, on la dit la meilleure et l’ultime Horde, celle qui atteindra enfin l’Extrême-Amont.

    Le roman est écrit de manière assez originale : chaque personnage de la Horde est représenté par un caractère (glyphe), ou une suite de caractères, et parle d’un ton particulier. On est successivement dans la peau de l’un ou l’autre des personnages. Certains, comme le Golgoth (Ν©), parlent une langue argotique très fleurie, remplies de néologismes et de trouvailles sémantiques, et d’autres parlent de manière plus sobre. Le style est brillant, dense, et l’on se retrouve souvent presque physiquement plongé dans l’univers venteux et froid, humide, magique et dangereux dans lequel évolue la horde. Des morceaux de bravoures d’écriture ponctuent le livre : la joute verbale, par exemple, avec concours de palindromes, entre Caracole le troubadour et l’un des érudits est tout à  fait impressionnante. Cette brillance stylistique, qui pourrait agacer, m’a pour le coup plutôt emballé, car elle est toujours au service de l’histoire et de l’émotion.

    Roman métaphysique

    Les pérégrinations des personnages, leur quête épique et absurde, ne sont pas sans rappeler celles des personnages de Septentrion. La place que prend la nature, également, est très structurante dans le récit. Les scènes d’actions, formidables, haletantes, les dangers auxquels sont confrontés les personnages, sont toujours contrebalancées par des moments plus intimes, des envolées contemplatives ou philosophiques. Foisonnant est un terme qui qualifie bien ce roman étrange, hors-norme, poétique et métaphysique, que j’ai lu avec un grand plaisir.

  • Rationalité

    Rationalité

    Le dernier ouvrage de Steven Pinker, professeur de psychologie à  l’université Harvard, est une très belle et utile somme consacrée à  la « capacité humaine d’utiliser des connaissances pour atteindre ses objectifs ».

    La raison, moteur du progrès

    Pinker fait de la raison le moteur du progrès matériel et moral de l’humanité. Deux moyens sont à  notre disposition pour améliorer cette capacité. Le premier consiste à  acquérir individuellement des connaissances sur les nombreux biais et erreurs qui entachent nos raisonnements : erreurs de logique, croyances erronées, mauvaise utilisation des statistiques, trop grande confiance dans nos intuitions, confusion entre corrélation et causalité. C’est l’objet principal du livre que de les porter à  notre connaissance, et c’est fait d’une manière claire, très riche, pédagogique. Le propos est direct et clair, émaillé d’exemples concrets et d’histoires drôles. Tout cela devrait être appris à  l’école, comme le souligne l’auteur, « les outils de la logique, des probabilités et de l’inférence causale traversent tout type de connaissance humaine : la rationalité devrait être le quatrième pilier essentiel [des programmes scolaires], avec la lecture, l’écriture et l’arithmétique ».

    Organiser la rationalité

    Le deuxième moyen consiste à  bâtir collectivement des institutions et processus de rationalité, forçant la confrontation des idées, l’esprit critique, l’humilité et la rigueur. « Il s’agit notamment de l’examen critique par les pairs dans les universités, de la testabilité dans les sciences, de la vérification des faits et de l’édition dans le journalisme, de l’équilibre des pouvoirs dans la gouvernance et des procédures contradictoires dans le système judiciaire ». L’auteur précise bien certaines des raisons de l’irrationalité actuelle (complotisme, charlatanisme et fake news) : certaines institutions — médias, universités — dans lesquels les citoyens avaient externalisé la création et le partage du savoir suscitent la méfiance à  cause de « l’étouffante monoculture (…) de gauche », dogmatique, qui y règne.

    Eudémonisme

    La seule – toute petite – critique que l’on pourrait adresser à  Pinker, c’est qu’il semble considérer comme acquis le fait que chacun cherche le bonheur. Au-delà  du fait que cette notion est pour le moins polysémique, c’est une position eudémoniste (le bonheur comme fin ultime). Elle est tout à  fait légitime, mais mériterait d’être mise en perspective. Si la raison est la capacité humaine à  utiliser des connaissances pour atteindre ses fins, une compréhension élargie des fins permet de mieux embrasser la rationalité. Le kamikaze qui se tue pour sa cause est rationnel, en un sens qui échappe à  l’eudémoniste. C’est la même limite que ceux qui cherchent à  penser l’action humaine sans prendre en compte la subjectivité de la valeur. Vouloir pleinement comprendre la rationalité sans comprendre la subjectivité des fins est aussi vain que comprendre l’action humaine sans comprendre la subjectivité de la valeur. Comme le rappelait Charles Larmore dans « Modernité et Morale » :

    C’est un acquis irrévocable du libéralisme politique que le sens de la vie est un sujet sur lequel on a une tendance naturelle et raisonnable, non pas à  s’accorder, mais à  différer et à  s’opposer les uns aux autres. De là , l’effort libéral pour déterminer une morale universelle, mais forcément minimale, que l’on puisse partager aussi largement que possible en dépit de ses désaccords.

    Cette remarque n’enlève rien aux qualités de l’ouvrage, formidable de clarté et de rigueur, qui devrait trouver sa place dans toute bonne bibliothèque.

  • Reconquête

    Reconquête

    La campagne présidentielle commence vraiment. Elle a débuté lors du formidable discours de Villepinte. Ce qui était relativement clair dans le dernier livre d’Eric Zemmour est devenu ce jour là  une évidence : oui, il va falloir compter avec lui.
    Pour une raison qui me paraît évidente : enfin un homme politique dit la vérité, crûment, sans se préoccuper excessivement du politiquement correct (il faut écouter ses extraordinaires voeux à  la presse). Enfin un politicien qui place comme question centrale, la vraie question – l’identité française – et qui en fait le préalable aux autres sujets. Comment rebâtir l’école si l’assimilation n’est pas la norme, et si le français n’est pas maitrisé ? Comment redonner du sens à  la politique, sans articuler le dessein à  notre histoire, et à  notre culture ?

    J’ai voté Sarkozy en 2007. J’ai été très déçu : la sécurité n’a pas été si bousculée, la place de l’Etat non plus, et il a de surcroit été la cheville ouvrière de la trahison du référendum sur la Constitution Européenne (via le Traité de Lisbonne). J’ai soutenu Fillon lors des dernières élections, car son programme était le bon. On connait la suite : une misérable instrumentalisation de la justice, et sa propre incompétence, ont permis de le faire sauter.

    Je suis donc pleinement derrière Zemmour ; certes nous verrons bien ce que donne la campagne. Mais j’ai le sentiment, la conviction, que la dynamique est pour Zemmour. Que son parler vrai, que ses analyses attirent des gens que la politique avait fini par dégoûter, faute d’y entendre des politiciens parler des vrais problèmes, et des vrais solutions. Il faudra du courage pour renverser la tendance. Commme Guillaume Peltier (premier ralliement LR au parti Reconquête), je n’ai pas vraiment confiance en Valérie Pécresse (centriste de droite, Macron-compatible) pour réellement porter une politique d’immigration zéro.
    Je suis donc un soutien d’Eric Zemmour, et je vais faire ce que je peux pour aider à  le faire progresser. Par les échanges avec mes proches, avec mes collègues, par mon soutien financier (j’ai pris la carte de Reconquête dès l’annonce de la création du parti), et par mes actions sur les réseaux. C’est une question de survie, tragique, qui se pose à  nous en tant que Nation.

  • Citation #141

    Le sage ne rencontre pas de difficultés. Car il vit dans la conscience des difficultés. Et donc n’en souffre pas.

    Lao Tseu (milieu VIe siècle avant J.C.) sage chinois, considéré a posteriori comme le père fondateur du taoïsme. Son existence n’est pas tout à  fait avérée…

  • Le goût du vrai

    Le goût du vrai

    « Le goût du vrai », d’Etienne Klein, dans la collection Tracts, est un joli petit essai, qui défend la science (et la raison), dans une époque qui, selon l’auteur, tente de n’en faire qu’un discours parmi d’autres.

    Plaidoyer pour la science

    J’ai découvert la collection Tracts, de Gallimard, grâce à  mon ami Jean-marc. C’est une collection intéressante : des petits livres courts, sans couverture rigide (donc peu chers), et forçant leurs auteurs à  être concis. Etienne Klein, physicien, philosophe des sciences, et grand pédagogue, fait partie des gens que j’aime écouter. Vous pouvez le découvrir sur Youtube dans des conférences et interviews.
    Le livre est un plaidoyer pour la science, la vérité et la raison, sans jamais tomber dans le scientisme. On sent qu’Etienne Klein est un peu inquiet par la déraison qui a surgit autour du COVID. On ne saurait lui reprocher ! Le livre se lit très bien, et apporte beaucoup d’arguments utiles et percutants. Il m’a alimenté pour mon essai en cours d’écriture sur un certain nombre de points. Je me permets d’y apporter une critique, cependant, car c’est dans l’identification et la formulation des points de désaccords que l’on se nourrit de la pensée d’autrui.

    Séparer la politique et le scientifique: une urgence !

    Il me semble qu’Etienne Klein est victime d’un biais très présent à  notre époque, et qui mériterait d’ailleurs d’être analysé, collectivement. Sur plusieurs sujets, il semble ne pas faire la séparation, pourtant essentielle à  mes yeux, entre la science (qui dit ce qui est), et la politique (qui dit ce qu’on fait). Contrairement à  ce qui est implicitement dit dans le livre de Klein, il n’y a pas de lien univoque entre ce qu’on sait, et ce qu’on doit faire. Il y a toujours plusieurs manières d’intégrer les connaissances dans l’action. Prétendre le contraire (ce que ne fait pas Klein) serait pour le coup du scientisme, et une forme de naïveté.
    Sur deux sujets que Klein prend en exemple (COVID et réchauffement climatique), il me semble justement qu’un certain nombre de personnes utilisent un discours pseudo-scientifique pour faire passer leurs idées politiques. Nous devons nous opposer à  cela. Klein semble sous-estimer le « vérolage » d’un certain nombre d’institutions scientifiques par des enjeux politiques/politiciens. C’est le cas du GIEC. C’est le cas du Conseil scientifique de crise COVID. Tout cela est connu, et il est surprenant que Klein ne prenne pas cela en compte pour mettre de manière plus explicite la séparation entre science et politique comme un des moyens de retrouver la raison.