CatĂ©gorie : 📚 Livres

  • Platon a rendez-vous avec Darwin

    Platon a rendez-vous avec Darwin

    Dans Platon a rendez-vous avec Darwin, le haut fonctionnaire Vincent Le Biez signe un bel essai en forme de cabinet de curiosités : stimulant, riche, et varié, mais manquant de structure et de profondeur.

    Rencontre(s) entre les sciences et la politique

    La thÚse du livre, exposée explicitement dans le dernier chapitre, est claire et puissante :

    Si les mĂ©thodes utilisĂ©es pour Ă©tudier les systĂšmes physiques et sociaux diffĂšrent largement et ne sont pas facilement transposables, les systĂšmes eux-mĂȘmes partagent certaines caractĂ©ristiques communes du fait de leur complexitĂ©, par consĂ©quent, la connaissance des systĂšmes naturels complexes offre des intuitions intĂ©ressantes concernant l’organisation des systĂšmes politiques et sociaux.

    Mobilisant des connaissances trĂšs variĂ©es, tant scientifiques que philosophiques, Vincent Le Biez, jeune haut fonctionnaire, se livre à  un brillant exercice de style, structurĂ© autour de couples de penseurs. Chaque chapitre rapproche les pensĂ©es d’un scientifique et d’un philosophe ou penseur politique : Sadi Carnot se retrouve ainsi appariĂ© avec Hannah Arendt, Ernst Ising avec Alexis de Tocqueville, ou encore Platon avec Darwin. Sur ce dernier exemple, la thĂ©orie de l’évolution du scientifique anglais, qui montre que les ĂȘtres vivants Ă©voluent, et que cette Ă©volution n’est pas le fruit d’un dessein, est mise en opposition avec la pensĂ©e de Platon oĂč, au contraire, l’ordre des choses, statique, rĂ©pond à  un dessein et à  volontĂ© de perfection. Riche discussion, seulement esquissĂ©e dans l’essai, sur la tĂ©lĂ©onomie, le finalisme, et les diffĂ©rentes conceptions du monde. Ce livre est d’autant plus stimulant qu’il expose avec clartĂ© et maĂźtrise la pensĂ©e d’auteurs nombreux, tant en sciences qu’en philosophie politique.

    Manque de rigueur et d’audace

    Il se dĂ©gage pourtant de la lecture une sensation de papillonnage, et d’une pensĂ©e qui part dans tous les sens. Sous la brillance intellectuelle, on se retrouve avec des idĂ©es somme toute assez peu originales, ce qui n’est du reste pas anormal, car les hybridations intellectuelles aux interstices des disciplines n’ont pas attendues Vincent Le Biez pour ĂȘtre faites. Il y a par ailleurs quelques raccourcis dans la maniĂšre dont la pensĂ©e des auteurs est retranscrite. Hayek, par exemple, n’a jamais pris « l’ordre spontanĂ© Â» pour la « valeur suprĂȘme Â». Hayek plaçait la libertĂ© au-dessus de tout, et l’ordre spontanĂ© est simplement un phĂ©nomĂšne qu’il a grandement contribuĂ© à  caractĂ©riser, notamment ses conditions d’existences. La mĂ©thode analogique utilisĂ©e a les dĂ©fauts de ses qualitĂ©s : riche en intuition, stimulante, mais conduisant souvent à  des choses peu rigoureuses. Et si les thĂ©ories scientifiques sont bien exposĂ©es, les idĂ©es des philosophes ou penseurs politiques le sont de maniĂšre un peu plus lĂ©gĂšre.
    Par ailleurs, pourquoi l’auteur Ă©prouve-t-il le besoin de se cacher derriĂšre ces analogies scientifiques pour livrer son point de vue politique ? Il n’y a pas besoin de passer par la thĂ©orie des membranes pour redire, en le citant, ce que Claude LĂ©vi-Strauss avait dĂ©jà  analysĂ© à  propos des limites au mĂ©lange entre des cultures diffĂ©rentes. L’approche alternative proposĂ©e par l’auteur, à  la suite de Prigogine et Bertalanffy, montre ses limites. Une approche visant à  pouvoir tout marier, une sorte d’en mĂȘme temps philosophique. Une synthĂšse dont la « neutralitĂ© Â» serait garantie par son origine scientifique. Vincent Le Biez explique que cette approche partage des choses avec tous les courants de pensĂ©e, du socialisme au conservatisme en passant par le libĂ©ralisme, l’écologie politique ou le progressisme.

    Une pensĂ©e politique qui fait l’impasse sur le conflit

    C’est oublier un peu vite que les humains ne sont pas des molĂ©cules, et les sociĂ©tĂ©s sont des systĂšmes complexes pas comme les autres. Les humains attachent dans leur rĂ©flexion, et dans leur apprĂ©hension de l’ordre politique et social, une importance cruciale à  la notion de vĂ©ritĂ©. Une composante qui semble avoir Ă©tĂ© un peu vite Ă©cartĂ©e par l’auteur, dans son mouvement d’équilibriste centriste (comprĂ©hensible pour un haut-fonctionnaire en poste) : Les vĂ©ritĂ©s, en politique, s’affrontent la politique est aussi le lieu du conflit, et de choses, d’idĂ©es, qui s’excluent mutuellement. Les vĂ©ritĂ©s, en politique, s’affrontent. Le socialisme n’est pas compatible avec libĂ©ralisme, pas plus que le progressisme avec le conservatisme. Faire coexister dans la sociĂ©tĂ© ces approches et pensĂ©es divergentes, avec tolĂ©rance, en assumant d’avoir des adversaires politiques, c’est le gĂ©nie de la dĂ©mocratie occidentale. Mais cette coexistence ne fait pas disparaĂźtre les diffĂ©rents et les conflits profonds entre ces courants de pensĂ©e. Sans conflit d’idĂ©es, sans dĂ©saccords, la pensĂ©e politique n’est qu’une soupe tiĂšde politiquement correcte.

    Cette recension a d’abord Ă©tĂ© publiĂ©e sur le site du magazine L’incorrect (lien). Je les remercie d’avoir bien voulu publier ce modeste article, et de leur confiance.

  • L’appel de la tribu

    L’appel de la tribu

    Mario Vargas Llosa signe, avec L’appel de la tribu, une belle autobiographie philosophique, centrĂ©e sur 7 auteurs qui l’ont influencĂ©. C’est passionnant, bien Ă©crit et rythmĂ©, et c’est une magnifique introduction Ă   la pensĂ©e de ces auteurs variĂ©s, mais dont le point commun est d’avoir Ă©tĂ© des penseurs libĂ©raux.

    Elégance

    J’avais lu et apprĂ©ciĂ©, il y a quelques annĂ©es, Le poisson dans l’eau, oĂč Mario Vargas Llosa racontait son parcours en politique et sa candidature Ă   la prĂ©sidence du PĂ©rou. TrĂšs intĂ©ressante plongĂ©e dans l’univers Ă©trange de la politique. Varga Llosa, pĂ©ruvien et naturalisĂ© espagnol, est laurĂ©at du prix Nobel de littĂ©rature (2010). Dans son style, et sa maniĂšre d’aborder les sujets, il y a une sorte d’alliance de franchise, et de mise en retrait de sa propre personne, qui donne une grande Ă©lĂ©gance Ă   son style. Ce n’est pas de la fausse pudeur, ou de l’humilitĂ©, c’est plutĂŽt une grande clartĂ© et simplicitĂ©. Cette Ă©lĂ©gance se retrouve dans L’appel de la tribu : tout en Ă©clairant en quoi, et Ă   quel moment de son parcours ces auteurs l’ont influencĂ©, Vargas Llosa livre un travail Ă   la fois de biographe intellectuel, mais aussi parfois agrĂ©mente ce rĂ©cit d’anecdotes vĂ©cues, car il a rencontrĂ© un certain nombre de ces auteurs.

    Introductions

    Chaque chapitre est dense, ramassĂ©, et livre l’essentiel de la pensĂ©e des auteurs. Une merveilleuse maniĂšre de les dĂ©couvrir, avec un fil conducteur assez simple finalement : le libĂ©ralisme n’est pas un dogme, mais un courant de pensĂ©e, avec des facettes multiples, des contradictions, une richesse, trĂšs bien Ă©clairĂ©es par ces auteurs si variĂ©s. C’est un livre d’introductions. J’ai retrouvĂ© avec plaisir des auteurs connus, et eu la joie d’en dĂ©couvrir d’autres. Dans l’ordre du livre, on peut donc dĂ©couvrir les pensĂ©es et les vies de :

    • Adam Smith (1723-1790) : philosophe et Ă©conomiste Ă©cossais des LumiĂšres. Je n’ai lu que des extraits de Smith, et il faut vraiment que j’aille le lire. Il me semble ĂȘtre un auteur majeur.
    • JosĂ© Ortega Y Gasset (1883-1955) : philosophe, sociologue, essayiste, homme de presse et homme politique espagnol. Ce qu’en dis Vargas Llosa ne me donne pas plus envie que cela de le dĂ©couvrir. Si je caricature, plume brillante, et idĂ©es peu rigoureuses.
    • Friedrich August Von Hayek (1899-1992) : Ă©conomiste et philosophe britannique originaire d’Autriche. Je connais dĂ©jĂ   bien l’oeuvre d’Hayek, et j’ai dĂ©couvert avec plaisir la prĂ©sentation qu’en fait l’auteur. Vous pouvez retrouver quelques articles consacrĂ©s (ou en lien) Ă   la pensĂ©e d’Hayek sur ce lien : Hayek sur BLOmiG
    • Karl Raimund Popper (1902-1994) : enseignant et philosophe des sciences autrichien, naturalisĂ© britannique. Encore un auteur qui m’a nourri. L’Ă©clairage qu’en fait Vargas Llosa est passionnant, sur le personnage comme sur sa pensĂ©e, et son style (pas toujours trĂšs clair, contrairement aux concepts qu’il a contribuĂ© Ă   forger). Vous pouvez retrouver quelques articles consacrĂ©s (ou en lien) Ă   la pensĂ©e de Popper sur ce lien : Popper sur BLOmiG
    • Raymond Aron (1905-1983) : philosophe, sociologue, politologue, historien et journaliste français. Je n’ai lu que les Essais sur les libertĂ©s d’Aron et je pense qu’il faut que j’aille dĂ©couvrir vraiment plus en profondeur cet auteur (abondamment citĂ© par Freund dans Sociologie du conflit). Vargas Llosa le prĂ©sente, Ă   juste titre Ă   mon sens, comme un des intellectuels français, avec Revel (voir ci-dessous), qui a contribuĂ© Ă   Ă©viter l’effondrement complet de la pensĂ©e en France.
    • Isaiah Berlin (1909-1997) : philosophe politique et historien des idĂ©es sociales letton, naturalisĂ© anglais. Je ne connaissais absolument pas cet auteur, et la prĂ©sentation qu’en fait Vargas Llosa m’a conduit Ă   immĂ©diatement commander À contre-courant. Essais sur l’histoire des idĂ©es. C’est mon prochain livre. La vie de Berlin est assez incroyable, et sa personnalitĂ© Ă©galement. update : j’ai lu et recensĂ© A contre-courant, splendide essai.
    • Jean-François Revel (1924-2006) : philosophe, Ă©crivain et journaliste français. J’avais adorĂ© La grande parade et Histoire de la philosophie occidentale. Il me semble plus que justifiĂ© de trouver Revel dans un panĂ©gyrique d’auteurs libĂ©raux.

    A déguster sans modération

    Que vous soyez libĂ©ral, ou non, il me semble que ce livre permet de dĂ©couvrir pas mal d’auteurs passionnant, tout en passant en revue leur 7 maniĂšres d’ĂȘtre libĂ©ral, avec le regard prĂ©cis et lucide d’un auteur original. Ici ou lĂ  , je dĂ©couvre que Vargas Llosa tombe lĂ©gĂšrement dans le politiquement correct (en qualifiant Joseh de Maistre de prĂ©curseur du facisme, ou en expliquant que la GB Ă©tait un pays accueillant, jusqu’au Brexit). Rien de bien gĂȘnant, ce ne sont pas des points centraux de son exposĂ©. Pour conclure, je reprends l’extrait du livre partagĂ© par IREF :

    Le libĂ©ralisme est une doctrine qui n’a pas rĂ©ponse Ă   tout, Ă   l’inverse du marxisme qui prĂ©tend le contraire ; il admet en son sein la divergence et la critique Ă   partir d’un corpus restreint mains indĂ©niable de convictions. Par exemple, que la libertĂ© est la valeur suprĂȘme et qu’elle n’est pas divisible ni fragmentaire, qu’elle est unique et doit se manifester dans tous les domaines — l’économique, le politique, le social, le culturel — dans une sociĂ©tĂ© authentiquement dĂ©mocratique.(
) Le libĂ©ralisme n’est pas dogmatique, il sait que la rĂ©alitĂ© est complexe et que les idĂ©es et les programmes doivent souvent s’y adapter pour rĂ©ussir, au lieu d’essayer de l’assujettir Ă   des schĂ©mas rigides, ce qui d’ordinaire les fait Ă©chouer et dĂ©chaĂźne la violence politique.
  • ThĂ©rapie de choc

    Thérapie de choc

    Robert Ménard, homme courageux

    J’avais commandĂ© le dernier livre de Robert MĂ©nard, ThĂ©rapie de choc (Ă©ditions La Nouvelle Librairie), en l’Ă©coutant Ă©changer l’autre jour. J’apprĂ©cie Robert MĂ©nard : c’est un homme sincĂšre, courageux, Ă©pris de vĂ©ritĂ©. Il me parait d’une grande droiture morale, et faire partie des hommes à  la fois de terrain (il est maire de BĂ©ziers), et d’idĂ©es, qui pourraient changer la donne. Il est un des seuls à  prĂŽner l’union des droites, seule voie qui me parait intelligente pour Ă©viter le duel Macron-Le Pen tant annoncĂ© par les mĂ©dias. ThĂ©rapie de choc est un petit livre, qui se lit d’une traite. Presqu’un programme, c’est en tout cas une liste trĂšs claire et directe des mesures chocs à  prendre dĂšs à  prĂ©sent si l’on veut Ă©viter le naufrage du pays.

    Retrouver le courage

    C’est aussi une charge trĂšs juste contre le politiquement correct qui empĂȘche de parler des vrais questions, sous peine d’ĂȘtre immĂ©diatement relĂ©guĂ© à  l’estrĂȘme-drouate. Il en sait quelque chose pour avoir, depuis longtemps, pris des positions à  contre-courant de ce politiquement correct. Il appelle de ses voeux, avec passion, la venue d’un « aventurier de droite » qui sera capable d’avoir le courage de remettre la vĂ©ritĂ©, le bon sens, et la morale au centre des dĂ©bats :

    Nous avons, nous orphelins de la France, besoin d’un homme ou d’une femme de courage, largement à  l’Ă©cart des partis. Nous avons besoin d’un aventurier ou d’une aventuriĂšre de droite, une droite corsaire, dont le navire cingle vers un avenir meilleur. (…) Cet aventurier de droite a le devoir sacrĂ© d’ĂȘtre mal Ă©levĂ©. Je suis persuadĂ© que tout commencera quand nous aurons retrouvĂ© le courage de dire ce que l’on voit. Cela nĂ©cessite un cuir Ă©pais. Tout s’est transformĂ© en quarante ans. Le monde qui nous entoure est un monde d’inquisiteurs, de petits procureurs. La rue, le bureau, l’association, le club, la famille, partout on trouve des commissaires politiques. (…) Le langage commun est devenu une rĂ©pĂ©tition. Nous sommes dans une classe de choristes qui chantent la mĂȘme chanson à  gorge dĂ©ployĂ©e. Les fausses notes sont repĂ©rĂ©es. Un mot de travers coĂ»te cher. Dans ce systĂšme dingue, dont le langage politiquement correct est le symbole et l’Ă©criture inclusive le gag final, la langue, notre langue, est sous contrĂŽle.

    Je vous recommande la lecture vivifiante de ce livre choc, plein de fougue. Un cri du coeur, pour la France. Je me demande pourquoi MĂ©nard semble n’envisager à  aucun moment de pouvoir ĂȘtre cet aventurier. Il en aurait, à  mes yeux, l’Ă©toffe et la lĂ©gitimitĂ©. A suivre ?

  • Sociologie du conflit

    Sociologie du conflit

    « Sociologie du conflit » de Julien Freund est un excellent essai sur les conflits, leur nature, et ce qu’une analyse approfondie (historique, philosophique, sociologique) permet d’en dire. Julien Freund est un grand intellectuel, injustement ostracisĂ© par les intellos de mai 68 (pour ses rĂ©fĂ©rences trop « à  droite »).

    Peut-on toujours éviter de choisir un camp ?

    J’ai dĂ©cidĂ© de le lire à  la suite de la lecture et des Ă©changes avec Philippe Silberzahn, qui m’avaient conduit à  me questionner sur le sujet. Le propos Ă©tait tout à  fait pertinent : la logique du « choisis ton camp! » nous empĂȘche de transformer le monde. C’est vrai. Et je faisais simplement la remarque que la logique « binaire », par moment, n’Ă©tait pas Ă©vitable : lorsque nous sommes en situation de conflit, il faut effectivement choisir son camp (c’est notamment le cas lorsque l’on est dĂ©signĂ© comme ennemi).

    Si vis pacem, para bellum

    Julien Freund est un penseur d’une grande clartĂ©, et d’une trĂšs agrĂ©able prĂ©cision. Je vous invite à  lire ce livre remarquable, et indispensable. J’ajouterai dans ma collection un certain nombre de citation de Julien Freund, car beaucoup de passage sont trĂšs forts, et trĂšs bien formulĂ©s. Je partage ici quelques idĂ©es fortes que j’en retiens. Freund part d’un constat simple et incontestable : le conflit a toujours fait partie de l’histoire humaine, de tout temps. Au lieu de porter un jugement moral sur le conflit, il convient plutĂŽt de le regarder pour ce qu’il est, d’en dĂ©crire les caractĂ©ristiques : comprendre comment les conflits Ă©mergent et se forment, comment ils se dĂ©veloppent ou se dĂ©samorcent, et comment ils se dĂ©roulent et s’arrĂȘtent. C’est trĂšs exactement le programme du livre de Freund. Il s’appuie beaucoup sur Clausewitz, Schmitt, Simmel, et aussi sur Weber et Aron. Il y apporte visiblement sa contribution Ă©clairĂ©e.
    Les conflits se caractĂ©risent par la bipolarisation : la tension entre deux pĂŽles opposĂ©s, qui structurent l’ensemble des rapports d’acteurs autour d’un conflit, et qui rendent impossible l’existence d’un autre point de vue. On rejoint le « Choisis ton camp, camarade! ».
    J’ai presque terminĂ© la lecture. J’en suis au chapitre sur la paix qui est dans le mĂȘme esprit : on ne peut faire la paix qu’avec des ennemis, ce qui indique bien que « conflit » et « paix » sont les deux faces d’une mĂȘme mĂ©daille, d’un mĂȘme ensemble de phĂ©nomĂšnes proprement humains. Si vis pacem, para bellum contient donc une rĂ©elle sagesse stratĂ©gique, bien sĂ»r, mais Ă©galement philosophique, que nous aurions tort d’oublier.

    Changement de perspective

    La lecture de cet essai force à  se poser des questions, et à  changer la maniĂšre de se poser un certain nombre de questions. Si penser un monde humain sans conflit relĂšve largement du fantasme ou de l’utopie, voire peut conduire à  oublier que les conflits permettent de rĂ©soudre des problĂšmes, il faut bien l’intĂ©grer dans notre maniĂšre de penser le monde. C’est difficile pour moi, qui suis de nature pacifique, et avec une tendance à  Ă©viter les conflits.
    Comme pour le poison (« C’est la dose qui fait le poison ») oĂč il s’agit de remplacer l’idĂ©e de qualitĂ© par celle de quantitĂ©, il faut opĂ©rer un changement de perspective. Le conflit fait partie du monde et des humains. Notre rĂȘve d’un monde sans conflit nous fait louper une partie du rĂ©el, et probablement conduit à  ne pas voir un certain nombre de conflits, car nous en nions simplement l’existence. C’est un renversement de perspective difficile pour moi, et je crois pour notre Ă©poque. Il faut repenser le conflit. C’est ce que Sociologie du conflit, de Julien Freund, permet de faire. Qu’en pensez-vous ? Cela m’a donnĂ© envie, en tout cas, de lire son ouvrage majeur « Qu’est-ce que la politique ? », dont est tirĂ© cette phrase :

    On a beau ironiser sur le concept de patrie et concevoir l’humanitĂ© sur le mode anarchique et abstrait comme composĂ©e uniquement d’individus isolĂ©s aspirant à  une seule libertĂ© personnelle, il n’empĂȘche que la patrie est une rĂ©alitĂ© sociale concrĂšte, introduisant l’homogĂ©nĂ©itĂ© et le sens de la collaboration entre les hommes. Elle est mĂȘme une des sources essentielles du dynamisme collectif, de la stabilitĂ© et de la continuitĂ© d’une unitĂ© politique dans le temps. Sans elle, il n’y a ni puissance ni grandeur ni gloire, mais non plus de solidaritĂ© entre ceux qui vivent sur un mĂȘme territoire. [
] Dans la mesure oĂč la patrie cesse d’ĂȘtre une rĂ©alitĂ© vivante, la sociĂ©tĂ© se dĂ©labre non pas comme le croient les uns au profit de la libertĂ© de l’individu ni non plus comme le croient d’autres à  celui de l’humanitĂ© ; une collectivitĂ© politique qui n’est plus une patrie pour ses membres cesse d’ĂȘtre dĂ©fendue pour tomber plus ou moins rapidement sous la dĂ©pendance d’une autre unitĂ© politique. Là  oĂč il n’y a pas de patrie, les mercenaires ou l’étranger deviennent les maĂźtres. Sans doute devons-nous notre patrie au hasard de la naissance, mais il s’agit d’un hasard qui nous dĂ©livre d’autres.
    Julien Freund (1921 – 1993) philosophe, sociologue et rĂ©sistant français
  • Septentrion

    Septentrion

    Jean Raspail a Ă©crit le roman Septentrion en 1979. C’est un roman Ă©trange, mystĂ©rieux, et mĂ©taphysique. J’y ai retrouvĂ© avec plaisir la plume incroyable de Jean Raspail (je ne connaissais que Le camp des saints). Il a un style puissant et simple, touchant sans jamais ĂȘtre miĂšvre, tendre et viril à  la fois.
    Le roman dĂ©marre avec des scĂšnes trĂšs fortes : une partie de la population devient presqu’ahurie, par un phĂ©nomĂšne inexpliquĂ©, tandis que les diffĂ©rents canaux de communication se coupent. Un groupe de personnes, qui sont restĂ©es lucides, sentent le danger et dĂ©cident de fuir à  bord d’un train. Ce dĂ©marrage trompe le lecteur sur la nature du roman, car on n’entendra plus vraiment parler de tout cela par la suite : ce n’est que le contexte de dĂ©part. Un groupe de volontaires, constituĂ© par les circonstances et le hasard, circule à  bord d’un train. C’est une belle troupe, mĂȘlant femmes et enfants, militaires, aventuriers, une prostituĂ©e, et un Ă©crivain qui est le narrateur.

    Le Septentrion, pays absurde ?

    Au fur et à  mesure de la lecture, nous comprenons que ce train sera le reste de leur vie. Le train et ses habitants deviennent une mĂ©taphore de la vie. L’issue est connue. Je n’en dis pas plus pour ne pas dĂ©florer l’histoire. Le charme de ce livre ne tient pas à  l’histoire, mais au style, et à  ce qui arrive aux personnages. Leurs arrĂȘts pendant le trajet, à  diffĂ©rents endroits – villes abandonnĂ©es, riviĂšres splendides, forĂȘts pleine de mystĂšres – sont les points d’accroches de ce pĂ©riple absurde. Absurde au sens Camusien, bien sĂ»r. Leur fuite aussi, et leur volontĂ© de prĂ©server ce qui fait leur identitĂ© et leur humanitĂ©, face à  l’ennemi qui les pourchasse, structure le rĂ©cit. Le rapport au mystĂšre du narrateur n’est pas univoque, et il laisse une grande place à  l’interprĂ©tation du lecteur. C’est ce qui fait de ce roman une trĂšs belle oeuvre mĂ©taphysique : trĂšs personnelle, Ă©mouvante et lyrique à  certains moments, dĂ©crivant à  la perfection ce qui fait la beautĂ© de la vie, et son absurditĂ©, elle laisse le lecteur, comme dans un tableau, contempler et attraper ce qui lui parlera le mieux. On n’est pas vraiment tenu en haleine, mais c’est un choix qui Ă©tait le bon. Vous le verrez si vous lisez Septentrion, de Jean Raspail.
    Il ne me reste qu’à  courir lire L’anneau du pĂȘcheur qui, d’aprĂšs Jean Raspail, est son chef d’oeuvre.

  • Eloge de la force

    Eloge de la force

    J’aime bien Laurent Obertone. J’avais lu, je m’Ă©tais forcĂ© à  lire devrais-je dire, son terrible « La France orange mĂ©canique ». Eloge de la force est trĂšs diffĂ©rent. Obertone est un homme courageux et sincĂšre, et il suffit de lire sa fiche Wikipedia pour comprendre la maniĂšre dont il est (forcĂ©ment) traitĂ© par la bien-pensance : il dit la vĂ©ritĂ©, il regarde le rĂ©el en face, donc il est d’extrĂȘme-droite. Ce serait drĂŽle si ça ne nous tuait pas à  petit feu, et si ce n’Ă©tait pas, en caricatural, la mĂȘme chose dans une partie des mĂ©dias.

    Eloge de la force : Livre de combat

    Son dernier livre « Eloge de Force » (Editions du Ring) se dĂ©vore d’une traite. Il est tranchant comme une lame de rasoir, et va droit au but. Le constat est clair, sans appel, et je le partage : l’ennemi c’est l’Etat (dans sa forme actuelle) obĂšse, et qui ne fait plus respecter la Loi et la Justice. Et qui, non content de ne pas assurer ses fonctions de base, vient fourrer son nez technocratique et socialiste dans tout le reste. Ce n’est pas comme si nous n’avions pas Ă©tĂ© prĂ©venu par les libĂ©raux :

    ”L’Etat, c’est la grande fiction par laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dĂ©pens de tout le monde.

    FrĂ©dĂ©ric Bastiat(1801 – 1850) Ă©conomiste, homme politique et penseur libĂ©ral français

    Réel, Vérité, Liberté

    Laurent Obertone dĂ©roule vite : le rĂ©el, c’est tout ce qui compte. Et pour arrĂȘter de subir, il faut commencer par là . Son livre, structurĂ© en 10 rĂšgles simples, donne des moyens et le chemin pour agir. Prenant le risque d’une forme de grandiloquence, puisqu’il donne des conseils, à  la premiĂšre personne au lecteur, Laurent Obertone montre la voie. Le livre n’est finalement jamais excessif, car il dit vrai. ArrĂȘter d’avoir peur, prendre conscience de la rĂ©alitĂ© de nos moyens face à  l’ampleur des problĂšmes à  rĂ©gler, devenir tranchant, et s’armer dans tous les sens du terme. Dire la vĂ©ritĂ©, partout, sans jamais blesser les autres. Etre prĂ©cis, travailler, ĂȘtre humble. Se changer pour changer le monde.
    Eloge de la force d’Obertone est une mine d’or comportementale. Et une bouffĂ©e d’oxygĂšne : voir qu’il existe des gens qui ressentent la rĂ©alitĂ© de la mĂȘme maniĂšre que nous, c’est inestimable. C’est une bouffĂ©e d’oxygĂšne parce que c’est un appel vibrant, lucide, sincĂšre à  la libertĂ©. Ni plus, ni moins. Vous savez, ce truc qui figure en tĂȘte de notre belle devise, et qui est si fragile ? Et qui meurt si on ne l’entretient pas chaque jour ?

    Le prix de la libertĂ© c’est la vigilance Ă©ternelle.

    Thomas Jefferson(1743 – 1826) homme d’État amĂ©ricain, troisiĂšme prĂ©sident des États-Unis

    Pour finir, j’ai adorĂ© ce livre qui tape comme un coup de poing. Fini les histoires, on se parle en vrai. Indispensable. Et à  titre personnel, j’ai cornĂ© presque toutes les pages car il y a plein de phrases ciselĂ©es et magnifiques, et une citation en tĂȘte de chaque chapitre, qui toutes vont rejoindre ma collection.
    Jetez-vous sur ce livre de combat magnifique, hymne à  la liberté et à  la résistance. Et dévorez-le. Puis relisez-le. Et faites lui de la publicité.