Notre libertĂ© est fragile, et menacĂ©e. En ces temps troublĂ©s, il nous faut la dĂ©fendre. Deux axes – ce ne sont pas les seuls – : libertĂ© absolue d’expression pour lutter contre l’idĂ©ologisation et la pauvretĂ© des dĂ©bats, et rĂ©formes institutionnelles limitant les abus de pouvoir.
Elites pourries
Pierre Mari avait malheureusement raison : une partie de nos Ă©lites est pourrie. Pourrie, dans le sens du dictionnaire : « corrompue moralement ». Sur la scĂšne internationale, comme dans la gestion des affaires intĂ©rieures, tout semble ĂȘtre en roue libre, sans aucune dignitĂ©, sans aucun sens. On parle de « lĂącher la bride » Ă Â des citoyens, de dĂ©crets pour « autoriser » (!) la vente de sapin de NoĂ«l, on dĂ©cide Ă Â notre place ce qui est nĂ©cessaire ou non, on libĂšre les islamistes au lieu de les laisser croupir en prison, on connait la fraude sociale monstrueuse sans rien y changer. Comment le peuple pourrait-il ne pas ĂȘtre en colĂšre, lui qu’on laisse crever Ă©conomiquement, socialement, pour protĂ©ger (trĂšs mal) les plus fragiles ? Depuis quand la mort des plus anciens et des plus malades conduit-elle Ă Â bloquer tout le reste du pays ? Depuis quand accepte-t-on de sacrifier la libertĂ© des plus jeunes pour les plus vieux ?
Car le coeur du sujet, Sylvain Tesson le dit magnifiquement, est bien notre attachement Ă Â la libertĂ© : « sommes-nous vĂ©ritablement passionnĂ©s par la libertĂ© ? ». Je suis profondĂ©ment attristĂ© par l’abandon somme toute assez facile de notre libertĂ©. Pour quelle raison acceptons-nous cela ? Pour sauver des vies. Les plus optimistes y verront la marque de notre solidaritĂ©. Sauf qu’il n’y a pas de preuves de l’efficacitĂ© du confinement, alors qu’il y a par contre des preuves de sa nuisance. Mais cette acceptation n’est que la consĂ©quence logique des multiples atteintes Ă Â la libertĂ© qui ont Ă©tĂ© faites, depuis de nombreuses annĂ©es. Plus le sens de la libertĂ© est rĂ©duit, plus est facile de faire l’entorse suivante. Je ne vais pas faire ici une liste complĂšte, mais il suffit de voir les atteintes Ă Â la propriĂ©tĂ© privĂ©e, la perversion fiscale, la gabegie gĂ©nĂ©ralisĂ©e, l’instrumentalisation idĂ©ologique permanente de la justice, le non-respect du vote dĂ©mocratique, on comprend que nous avons laissĂ©, collectivement et depuis trop longtemps filer notre libertĂ©. Il est temps de se ressaisir. Cela passe par plusieurs choses, mais je partage ici les deux piliers qui me semblent majeurs : libertĂ© d’expression, et rĂ©formes institutionnelles.
LibertĂ© d’expression
Pas de libertĂ©, sans libertĂ© d’expression. Tout commence par la description du rĂ©el, et par le dĂ©bat d’idĂ©es. Toutes les opinions doivent pouvoir s’exprimer, mĂȘme les plus dĂ©lirantes.
Nous avons maintenant affirmĂ© la nĂ©cessitĂ© â pour le bien-ĂȘtre intellectuel de lâhumanitĂ© (dont dĂ©pend son bien-ĂȘtre gĂ©nĂ©ral) â de la libertĂ© de pensĂ©e et dâexpression Ă Â lâaide de quatre raisons distinctes que nous allons rĂ©capituler ici :
1° PremiĂšrement, une opinion quâon rĂ©duirait au silence peut trĂšs bien ĂȘtre vraie : le nier, câest affirmer sa propre infaillibilitĂ©.
2° DeuxiĂšmement, mĂȘme si lâopinion rĂ©duite au silence est fausse, elle peut contenir â ce qui arrive trĂšs souvent â une part de vĂ©ritĂ© ; et puisque lâopinion gĂ©nĂ©rale ou dominante sur nâimporte quel sujet nâest que rarement ou jamais toute la vĂ©ritĂ©, ce nâest que par la confrontation des opinions adverses quâon a une chance de dĂ©couvrir le reste de la vĂ©ritĂ©.
3° TroisiĂšmement, si lâopinion reçue est non seulement vraie, mais toute la vĂ©ritĂ©, on la professera comme une sorte de prĂ©jugĂ©, sans comprendre ou sentir ses principes rationnels, si elle ne peut ĂȘtre discutĂ©e vigoureusement et loyalement.
4° Et cela nâest pas tout car, quatriĂšmement, le sens de la doctrine elle-mĂȘme sera en danger dâĂȘtre perdu, affaibli ou privĂ© de son effet vital sur le caractĂšre ou la conduite : le dogme deviendra une simple profession formelle, inefficace au bien, mais encombrant le terrain et empĂȘchant la naissance de toute conviction authentique et sincĂšre fondĂ©e sur la raison ou lâexpĂ©rience personnelle. John Stuart Mill
Il faut mettre fin Ă Â toute possibilitĂ© de pĂ©naliser la parole publique, et arrĂȘter la censure soft obtenue par une scandaleuse promiscuitĂ© entre les mĂ©dias et le pouvoir. Toutes les subventions, quelles qu’elles soient, vers des mĂ©dias, doivent ĂȘtre supprimĂ©es. Libre Ă Â chacun de publier des opinions et de faire de la propagande, mais ce n’est pas au contribuable de payer cela. Trouvez des lecteurs/auditeurs. Si vous avez besoin d’un exemple pour vous convaincre de cette urgence, regardez simplement la couverture mĂ©diatique des Ă©lections aux USA.
Réformes institutionnelles
Je viens de commander le livre de Jean-FrĂ©dĂ©ric Poisson, car il a raison : nous avons besoin de rĂ©formes institutionnelles. Pourquoi les suĂ©dois n’ont pas confinĂ© la population ? Non pas que leurs dirigeants soient plus intelligents, ou la pression populaire moins forte pour paniquer et dĂ©cider n’importe quoi sous le coup de l’Ă©motion ; non : simplement il n’est pas possible en SuĂšde d’interdire aux gens de circuler car la constitution protĂšge ce droit fondamental. Et en France aussi, me direz-vous ! Que fait le Conseil Constitutionnel ? Il est clair dans la Constitution et la DĂ©claration des droits de l’homme Ă Â laquelle elle fait rĂ©fĂ©rence, qu’il n’est possible d’entraver la libre circulation d’un individu que s’il nuit Ă Â autrui. Peut-on prouver que l’on nuit Ă Â autrui en se promenant simplement dans la rue ? Peut-on prouver que le confinement a permis de sauver des vies ? Non, et non. Cette absurditĂ© est donc non-constitutionnelle. Deux grands plans me paraissent Ă Â travailler sur les institutions : sortir de l’Ă©tatisme bureaucratique, et remettre de l’ordre dans la limitation des pouvoirs.
Sortir de l’Ă©tatisme bureaucratique
Pour l’absurditĂ© bureaucratique, je n’y reviens pas : David Lisnard a signĂ© une excellente tribune sur le sujet, et j’avais abordĂ© dans un article les dĂ©rives rĂ©glementaires.
(..) il existe des procĂ©dures de protection du domaine rĂ©glementaire contre les empiĂštements du pouvoir lĂ©gislatif. Il nâexiste pas, par contre, de procĂ©dures de protection du domaine lĂ©gislatif contre lâempiĂštement du pouvoir rĂ©glementaire. En dâautres termes : le gouvernement peut prendre des dĂ©cisions, et mettre en place des rĂ©glementations qui ne sont pas fidĂšles Ă Â lâesprit des lois.
Il faut par ailleurs prĂ©ciser que cette inflation rĂ©glementaire et bureaucratique, Ă©tatiste, est encouragĂ©e par une forme d’hybris, de dĂ©mesure, liĂ©e Ă Â l’exercice du pouvoir conçu comme nĂ©cessairement centralisĂ© et meilleur dĂ©cisionnaire que les individus.
Limitation du pouvoir
Ce n’est pas la source mais la limitation du pouvoir qui l’empĂȘche d’ĂȘtre arbitraire. F. Hayek
Sur le plan de la limitation du pouvoir, il y aurait besoin de spĂ©cialistes du sujet (droit constitutionnel), mais on peut dĂ©jĂ Â lister quelques pistes : rééquilibrer les rĂŽles respectifs du gouvernement et du parlement, redonner la dĂ©cision finale au Conseil constitutionnel, rĂ©introduire l’usage rĂ©gulier (et respectueux du vote) du rĂ©fĂ©rendum, modifier les modes de scrutin (passer au suffrage par Jugement majoritaire), supprimer les strates de pouvoir multiples en donnant la prĂ©fĂ©rence aux niveaux infĂ©rieurs.
Pour quâon ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrĂȘte le pouvoir. Monstequieu
La libertĂ© est une noble institution, faite des limites mĂȘmes qui la rendent possible (au niveau individuel comme collectif). C’est le socle moral de nos sociĂ©tĂ©s. Cessons donc de la laisser filer, sans sourciller : elle est fragile. J’ose espĂ©rer qu’il existe encore un certain nombre de voix, en France, prĂȘtes Ă Â porter un discours de vĂ©ritĂ© et de libertĂ©. Il est plus que temps.