Le film FITNA est disponible sur internet. C’est le film anti-Coran, et anti-Islam (l’idéologie) du député controversé et néerlandais Geert Wilders. Je vous conseille d’aller le visionner, pour vous faire votre opinion. Et pour que l’on en discute : est-ce un film de propagande, ou un salutaire pamphlet contre une idéologie dangereuse ?
(suite…)
Résultats de recherche pour « islam »
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FITNA
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Quelles limites a la liberté d’expression ?
Discussion ouverte sur les limites que l’on doit poser à la liberté d’expression. Sans limites, les conversations sont rapidement polluées par des personnages provocateurs, virulents, et insultants. Je voudrais que tous les lecteurs et/ou internautes de passage participent à l’élaboration des règles de base permettant de continuer à faire de ce blog un espace d’expression libre et d’échange.
Suite aux discussions sur certains billets un peu polémiques (principalement sur l’Islam), il est apparu nécessaire de définir les limites à la liberté d’expression sur ce blog. Les insultes, les messages hors-contexte, provocateurs, prosélytes, ou simplement cons, sont venus perturber les discussions que certains essayent de prolonger dans un climat de respect et de calme (relatif). Pap est venu rappeler, à juste titre, que les excès de certains nuisent à la liberté d’expression des autres.
Pas de liberte sans limites
La liberté n’existe pas sans limite, c’est bien connu. Les limites que l’on pose à la liberté, c’est ce qu’on appelle la loi, ou le droit :
Le droit est l’ensemble des conditions qui permettent à la liberté de chacun de s’accorder à la liberté de tous.
Emmanuel Kant (1724 – 1804)Philosophe allemand
Pas de liberté sans limites à cette liberté.
La liberté d’expression indispensable à mes yeux, d’où le titre du blog, ressort de la liberté tout court : il n’y a pas de raison qu’elle ne connaisse pas de limites. Celui qui vient systématiquement pourrir le débat, en usant de sa liberté d’expression, amoindri celle de tous les autres. En les faisant fuir, ou en les amenant sur des terrains stériles.Je voulais partager avec vous mes réflexions sur ce sujet : pour définir avec vous les limites que nous souhaitons mettre à nos discussions. Je propose quelques pistes, mais je compte sur vous, en commentaire, pour amener votre contribution. Tout cela doit aboutir à une nouvelle charte des commentaires définissant les règles de bonne conduite sur ce blog.
Ebauche a commenter…
Quelques pistes pour amorcer la réflexion / discussion :
- toute attaque ou insulte visant la personne me semble déplacée. S’il est légitime d’attaquer violemment certains arguments ou idées, il est inadmissible d’insulter les intervenants. Ok avec ça ?
- Sur la forme, quelques remarques :
- les messages bourrés de fautes sont difficiles à lire. Je pense qu’il est utile que chacun se relise avant de cliquer sur publier…
- Les commentaires trop longs sont très pénibles à lire, et ils coupent la discussion. Un monologue n’est pas souhaitable pour discuter. Je pense qu’il faut essayer de s’autodiscipliner pour limiter la longueur de ses interventions. Si vous avez un exposé à faire, contactez moi et proposer un article à la communauté : ce sera plus constructif…
- Je suis en train de chercher un moyen de faciliter la mise en forme des commentaires : utiliser le soulignement, les citations des autres commentaires, les listes de points, rend les commentaires plus faciles à lire et force à structurer l’argumentation.
- la partie délicate concerne le fond des arguments : si quelqu’un vient, le plus poliment du monde, en respectant toutes les règles ci-dessus, dire à la cantonade que l’on devrait brûler tous les patrons, ou les juifs, ou les musulmans, quelle attitude prendre ? J’ai pris un exemple qui me parait facile à trancher, mais dans les faits, c’est plus délicat. C’est sur ce point que je voudrais particulièrement avoir votre point de vue : quelles limites poser à la liberté d’expression de chacun pour que la discussion s’en trouve renforcée. Pas de limites = discussion aux mains des plus virulents. Trop de limites = discussions un peu fades, politiquement correctes, entre personnes toujours un peu d’accord. Quel équilibre trouver ?
J’attends avec impatience votre avis sur ces questions, vos critiques / remarques ! J’espère que ça me permettra, entre autres, de dégager intelligemment les commentaires qui nuisent au débat, et de conserver ceux qui, même polémiques, font avancer la discussion. Merci.
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Interview d’Alain Boyer : septieme partie
Suite et fin de la partie de l’interview consacrée à l’Islam. Alain Boyer revient ici aux sources philosophiques du judaïsme, du christianisme et de l’islam. L’exposé est plus long, mais précise bien les différences existant entre ces trois courants de pensée. Et la difficulté intrinsèque pour une religion comme l’islam, dans laquelle le texte est sacré, à s’adapter à une société ouverte.
{suite de la partie précédente}
A. Boyer : […] Le judaïsme était fondamentalement une religion « pour les Juifs », c’est à dire un alliance particulière d’un peuple particulier avec le Dieu créateur de tous les hommes. Déjà il y a une petite difficulté, que certains Juifs croyants réfutent en s’appuyant sur le fait qu’on a mal interprété la Bible, mais il y a quand même l’idée de « peuple élu ». Elu, ça veut dire « choisi » en latin (on dit « mon élu(e) », pour dire « mon aimé(e) »). Donc le peuple élu, c’est le peuple préféré, les autres peuples étant restés dans le polythéisme. Mais le judaïsme, comme tu le sais, n’est pas prosélyte — sauf juste avant JC — fondamentalement, les Juifs veulent rester entre eux. C’est une forme de communautarisme religieux. Encore fois, je n’ai rien contre, si ils veulent être entre eux, mais ils n’ont pas l’intention de convertir le monde entier à leur religion.
Si on en revient au Christianisme, fondé par Jésus, bien sûr, Dieu pour les chrétiens, un homme admirable pour les autres (dont je suis, puisque j’ai perdu la foi catholique, j’ai oublié de le dire tout à l’heure, mais c’est important : en Mai 68 en devenant marxiste, je devenais athée, c’était conséquent, Dieu était l’image du père, et je n’ai jamais retrouvé cette foi. Parfois je regrette de ne plus l’avoir parce que c’est bien utile, quand on y croit, pour se consoler des deuils successifs), donc le christianisme, fondé par Jésus, mais qui n’a rien écrit (comme Socrate) a été fondé du point de vue scripturaire par saint Paul, qui est comme je le dis souvent à mes étudiants le seul être humain à ma connaissance a avoir été à la fois rabbin juif, éduqué en grec (la langue dans laquelle il écrivit), citoyen romain et chrétien ! Le seul homme a avoir ces 4 « qualités ». Et c’est lui le premier fondateur du christianisme comme « nouvelle religion ». Les Epîtres de Paul précèdent les Evangiles. C’est une histoire de conversion, parce qu’il a commencé par martyriser les chrétiens, c’est raconté par son disciple Luc, dans les Actes de apôtres. Deux phrases importantes : une dans l’Evangile, lorsque les Pharisiens, un des groupes qui, sous l’occupation romaine, (coloniale, impérialiste) ont décidé, non pas de collaborer, mais de ne pas se révolter contre les Romains, à partir du moment où ceux-ci acceptaient que la religion (la chose la plus importante) juive puisse être pratiquée, en particulier dans le Temple. C’étaient des gens très pieux, dont Jésus critique la pratique de certains (pas tous !), car ils lui semblaient pratiquer la Thora seulement de manière « extérieure », hypocritement. C’est le courant pharisien qui a donné le judaïsme après la destruction du Temple d’Hérode à Jérusalem (dont il ne reste que le fameux « Mur des Lamentations », enjeu politique actuel considérable !) par les Romains (Titus, pourtant amoureux de la Juive Bérénice..) , en 70.
Ce sont des gens qui comme Jésus croyaient à la vie après la mort, et ce contrairement aux Saducéens, les grands prêtres du Temps, mais qui se demandaient ce qu’était ce rabbin, ce docteur de la foi appelé Jésus. Les pharisiens viennent dire à Jésus, est-ce que tu es sur notre position, ou est-ce que tu es un zélote ? Les zélotes c’étaient ceux qui proposaient la révolte armée. Certains historiens émettent l’hypothèse que Juda était un zélote, voire un sicaire, et au fond pensait qu’il fallait passer à la lutte armée, et que le sacrifice de Jésus était quelque chose qui allait provoquer le soulèvement. Le soulèvement a eu lieu puisque Jésus est mort en 30 après JC (né .. en 3 avant JC ! ), et la révolte a eu lieu 40 ans après, en 69-70, mais sans rapport avec la crucifixion de Jésus. Les pharisiens veulent le piéger, en demandant à Jésus : « Est-ce qu’il faut payer l’impôt ? »
La question de l’impôt est toujours une question centrale, philosophiquement, politiquement, et économiquement. Dès qu’il y a Etat, il y a impôt. Et dès qu’il y a colonisation, il y a impôt. Faut-il payer le tribut à Rome ? La désobéissance civile, c’est d’abord refuser de payer l’impôt. Quand on n’est pas d’accord, et qu’on ne veut pas se révolter militairement. Mais c’est déjà une forme de révolte, puisque si on ne paye l’impôt, les Romains vont venir nous mettre en prison. On était sous Tibère, le premier tyran romain. L’envoyé de Tibère, c’était Ponce Pilate, c’était une domination très forte, mais ils laissaient la religion tranquille. Alors les Pharisiens demandent : « Faut-il payer l’impôt ? » et ils montrent à Jésus une pièce de monnaie, où il était écrit « César » (le nom de tous les empereurs). Jésus prend la pièce et dit « qu’est ce qu’il y a sur cette pièce de monnaie? » : c’est l’image de « César » (L’Empereur Romain, l’Etat incarné et quasi divinisé..) . Et il leur rend la pièce en disant cette phrase célèbrissime : » Il faut rendre à César, ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». L’évangile dit que les pharisiens sont repartis en se demandant ce qu’il avait bien voulu dire… Mais c’est une phrase qui a eu énormément de conséquences politico-philosophiques. Ce qui est à Dieu est plus important que ce qui est à César (la religion est au-dessus de tout). Mais en même temps, séparation du politique et du religieux.. C’est à dire pas de révolte contre les Romains, et dualité des autorités. Mais dualité hiérarchisée, Dieu est au-dessus de César, même s’il faut quand même obéir à César. La solution sera la conversion pacifique de l’Empire, a urique du martyr, et qui aura lieu avec la conversion de l’Empereur Constantin, trois siècles après ou presque, et qui est l’évènement le plus important de l’histoire de l’Europe ! Et le propos de Jésus est corroboré dans l’Epitre de Paul au Romains (« épître », c’est une lettre, il écrivait aux chrétiens de Rome), 13 ligne 1 ; Paul devenu chrétien, car converti sur le chemin de Damas, où Jésus lui était apparu et lui avait dit « Pourquoi me fais-tu du mal? » puisqu’il faisait partie des gens qui martyrisaient les premiers chrétiens, en tant que rabbin juif orthodoxe. Converti, donc, il annonce « la bonne nouvelle » (« évangile » en Grec), Claude était l’empereur à ce moment , mais Paul finira martyrisé par Néron, comme Pierre (lui, sur le mont Vatican), saint Paul dit donc « toute autorité vient de Dieu » (« Omnis potestas a Deo »). Cette phrase aura une importance considérable.
Le christianisme est donc fondé sur cette espèce de tension terrible, mais féconde, avec l’idée d’une séparation des autorités, mais en même temps qu’il faut obéir aux autorités politiques, quelles qu’elles soient, sauf si elles empêchent le culte chrétien, qu’on continuera à faire, même dans les « catacombes ». Mais il vaut mieux obéir à Dieu, en cas de conflit. C’est ce que Spinoza appellera le problème théologico-politique. Mais cette phrase de Jésus (« rendre à césar ce qui est à césar, et à dieu ce qui est à dieu ») ouvre la voie à l’idée d’une séparation possible du politique et du religieux. Mais Pierre a aussi dit « il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes », phrase sur la quelle s’appuieront les Protestants au 16e siècle, après l’horrible massacre de la Saint Bathélémy (1572), pour justifier le « tyrannicide ».
L’Islam, de l’autre côté, refuse plusieurs thèses du christianisme : d’abord l’idée de l’incarnation. si on me demande si je suis chrétien, je réponds « ça veut dire quoi être chrétien ? ». J’admire la morale évangélique (pas tout) ! Mais, « être chrétien », ça veut dire que Dieu s’est incarné, en Jésus. Jésus est Dieu, et il est ressuscité. On rajoute le Saint-Esprit, ça fait trois personnes en une seule nature. C’est le dogme chrétien : Sainte-Trinité. Cette idée, l’islam la refuse et fait de Jésus l’avant-dernier prophète. Les Juifs disent, quant à eux, que Jésus est un faux-prophète. L’islam reconnait que le christianisme fait partie des écritures saintes. Abraham, Marie sont très importants dans l’Islam. Alors que pour les juifs, Abraham oui ! mais pas Jésus ni sa mère ! (Il y a une plaisanterie juive là -dessus, qu’un ami (juif) m’a racontée : comment on est sûr que Marie était juive ? parce qu’elle prenait son fils pour un dieu ! C’est une blague sépharade…) L’islam abandonne l’idée de la nature divine de Jésus, revient à la circoncision (ce qu’avaient aboli Paul, Pierre et Jacques). La circoncision doit être celle du coeur (en hébreux, circoncision c’est le même mot que alliance, berith, c’est le signe de l’alliance d’Abraham avec son Dieu). L’islam est proche du judaïsme au point de vue doctrinal. Monothéiste. Mais ils retiennent du christianisme l’idée que la religion doit être universalisée. Ce que les juifs ne voulaient pas. Mais les musulmans n’ont pas à « rendre à césar ce qui est à césar , et à dieu ce qui est à dieu ». Ce qui fait que l’idéal coranique, c’est l’oumma (communauté), régie par la charia (droit) qui n’est pas toute abbérante (il y a des choses très bien dans la charia, l’idée de justice sociale…) mais qui est quand même du 7ème siècle ! Lapidation des femmes adultères ! (refusée par Jésus dans un des plus beaux passages de l’Evangile…)
à‡a date un peu…
à‡a date un peu, quand même ! Mais il n’y a pas cette possibilité d’ouverture que donnait la phrase de Jésus. C’est un problème. Le second problème, qui est important, c’est que, aussi bien pour les juifs que pour les chrétiens, les textes sacrés sont sacrés (ce sont des « auctoritates »), mais ce sont quand même des oeuvres d’hommes (à part les 10 commandements dictés à Moïse par Yavhé sur le mont Sinaï), tout le reste c’est l’oeuvre d’hommes. La Bible est écrite par des hommes. D’une certaine manière, ça peut être discuté. à‡a a été écrit par des hommes, à une certaine époque. La doctrine musulmane consiste à dire que le Coran est « incréé », comme …Jésus-Christ (= Messie) pour les Chrétiens. Il a le même statut que Dieu. Absolument intouchable. Evidemment interprétable, tout est interprétable, c’est ce qu’on appelle l’herméneutique, ça a été inventé pour l’interprétation de la Bible (Schleiermacher). Mais il y a quelque chose de beaucoup plus, je ne veux pas être insultant, de plus rigide dans l’adhésion au Coran. C’est Dieu. C’est Dieu lui-même qui prononce ces mots ! Puisqu’on sait en plus que Mahomet était illettré. Ce n’est pas lui qui parle, il n’est que le transmetteur. Il y a Mahomet qui parle, et on rapporte aussi ses propres propos humains (les hadiths), mais le Coran c’est Dieu ! Comme c’est Dieu, tout est absolument vrai ! on ne touche pas une virgule !
Ca, ça pose un problème, parce qu’il y a une sourate, la sourate 4 sur les femmes, qui contient un certain nombre de choses qui sont un progrès par rapport à ce qu’étaient les pratiques des nomades arabes à l’époque pré-islamique. On ne peut avoir que 4 femmes, avant c’était autant qu’on voulait. Mais Mahomet précise qu’on peut avoir aussi des maitresses. Il en avait lui-même 9. C’était un homme qui …aimait les femmes, et le sexe, contrairement à Jésus (d’après les textes). Il a deux caractéristiques, Mahomet, qui le distingue des autres fondateurs de religions comme Moïse ou Bouddha ou Jésus : c’est un homme qui aime les femmes, mais qu’il ne les rends pas égales en droit aux hommes,et surtout c’est un chef militaire, un conquérant. Historiquement, étant donné cette foi universelle, l’islam a fourni une idéologie pour conquérir un empire mondial ! En un siècle, les Arabes sont arrivés à Poitiers ! A partir de la Mecque, en un siècle ! Et de l’autre côté jusqu’en Chine et en Inde. Donc, potentiellement, le monde doit être musulman, pour son bien, son salut.
C’est ce que j’avais cru comprendre, qu’il y avait la distinction entre l’umma, le monde musulman, et le reste du monde qui est à laisser en paix si on ne peut pas faire autrement, soit à conquérir.
Absolument ! cela dit, alors qu’on était dans la période la plus noire du moyen âge occidental. Culturellement, il n’y avait plus que les couvents, c’était le moyen âge le moins cultivé (à part la parenthèse de Charlemagne), les musulmans ont développé à Bagdad, ou à Cordoue, des civilisations extrêmement raffinées, évoluées. A partir du 12ème siècle, je n’ai pas d’explication, c’est l’inverse qui s’est passé. L’Europe a pris son envol, profitant d’ailleurs de la science arabe, inspirée surtout des Grecs. Mais aussi, les chiffres, que les Arabes avaient pris chez les Indiens, notamment le zéro Les grammairiens indiens avaient inventé un signe pour décrire l’absence de phonème, c’est à dire avaient inventé le 0., que les Grecs n’avaient pas, pour des raisons philosophiques profondes. L’Un est avant tout, le rien, le « zéro », n’est pas.
Oui, on dit « szifr » en arabe, qui a donné « chiffres »
Oui. Donc les Arabes avaient importé et fait progresser la culture grecque. Il y a eu de très grands philosophes, Avicenne, Avérroès. Mais tout ça s’est arrété au 13ème sicèle. Alors qu’au 13ème siècle, l’occident commence la renaissance, la science, l’art, les républiques reviennent, les idéaux de liberté, la bourgeoisie commerçante. Le monde arabo-musulman, lui n’a pas bougé. Il y avait une lutte entre les philosophes éclairés, pour aller vite, et les théologiens dogmatiques, qui l’ont emporté. Et depuis, rien….
Pour un observateur non érudit, on a l’impression que c’est ce qui manque, en ce moment, cette prise de distance par rapport au texte, et que c’est ce qui remettrait cette culture en mouvement ?
Oui, simplement elle est nécessaire, mais elle est plus difficile ! Etre chrétien, c’est croire à la divinité du Christ, être musulman, c’est croire à la divinité du Coran. Du texte. C’est difficile d’être musulman, et de dire, « bon, la sourate 4 sur les femmes, c’est lié à l’époque, mais ce n’est plus valable maintenant ». Qu’il faille trois femmes pour le témoignage d’un homme, c’est dans le Coran. Et le Coran, c’est Dieu. Et Dieu est éternel et absolument véridique.
De là , effectivement, viennent beaucoup des difficultés d’adaptation à une société ouverte et démocratique.
Exactement. « Société ouverte » c’est une expression de Popper.
Justement, on va peut-être passer à Popper. En tout cas merci beaucoup pour ces éléments historiques et philosophiques, que je ne connaissais pas bien du tout, et …
Mais je ne veux pas être catégorisé comme anti-musulman. Simplement, si j’étais musulman, avec des convictions démocratiques et libérales, j’aurais un problème.
Oui clairement, l’Islam à un problème avec la démocratieIl faut qu’ils le règlent.
Oui, et je trouve que pour ça il faut qu’on entende des gens qui se revendiquent comme musulmans, désolé je sors un peu de l’interview, et qui en même temps prônent une distance par rapport aux textes. Certains le font, y compris dans des pays où l’islam est la règle, avec beaucoup de courage, mais ça reste rare, je trouve…
Le problème, c’est que pour les fanatiques, parfois dirigeants religieux, les musulmans dont tu parles, et qui existent, en Inde, en Egypte, en Iran, en Algérie, sont pour les fanatiques dogmatiques les pires ennemis. Parce que ce sont des traitres. Ce n’est pas l’adversaire chrétien. C’est le traitre interne. Alors lui, couic !
Justement, dans les pays démocratiques, c’est notre rôle d’aider cette prise de parole, et de la favoriser….?
Oui tout à fait.
Retrouvez les autres parties de l’interview dans le sommaire !
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Interview d’Alain Boyer : sixième partie
La dernière fois, nous avions discuté avec Alain Boyer (qu’il soit remercié d’être venu participer aux discussions en commentaires) de démocratie, de tyrannie, et de liberté. Une valeur fondamentale qui ressortait était la nécessité d’avoir une égalité de droit entre les individus. Avec la notion de Justice sous-jacente. Cette thématique, la tyrannie et la démocratie, avait une suite naturelle : la religion et ses excès, notamment à l’heure actuelle avec l’Islam. Ce sera l’objet de cette partie, ainsi que de la suivante…Bonne lecture, et n’hésitez pas à réagir en commentaire !
On va aborder l’Islam, alors, puisque c’est le sujet suivant. C’est un peu le sens des questions que je voulais poser sur l’Islam : j’ai l’impression qu’on a pu, en France, faire des concessions sur des choses justement qui font partie du socle de valeurs non négociables. Qu’en penses-tu ?
Je suis d’accord. Mais c’est un problème extrêmement délicat. Il est normal, et là , je suis popperien, qu’on fasse des erreurs, et qu’on apprenne. On n’a pas de solution toute faite. Il faut avoir cette conviction que quelqu’un qui pratique l’inégalité des hommes et des femmes est en contradiction avec le Droit français. « Mon témoignage d’homme vaut celui de trois femmes », non ! C’est impossible. Mais le problème est complexe. Comme dans tous les problèmes moraux et politiques, on utilise des notions plus ou moins floues, en philosophie on appelle ça des « concepts vagues », c’est le contraire de la pensée scientifique, mais c’est inévitable, et même nécessaire pour que le langage humain soit possible.
Un concept vague, c’est un concept dont les deux pôles (un concept c’est toujours une opposition) sont clairement identifiés. Par exemple une ville. Là on est dans une ville, et dans la forêt de Fontainebleau on est clairement à la campagne. Mais entre les deux, il y a un moment où la question se pose : »est-ce qu’on est dans une ville, ou à la campagne ? » Il n’y a pas de scission nette. C’est les Grecs qui avaient trouvé ça (ils ont presque tout trouvé), ils appellent ça le paradoxe du « tas » (un « sorite ») : à partir de combien de grains de sable il y a un tas ? si je prends un tas de grains de sable, et si j’enlève un grain, à la fin il n’y a plus de tas. A quel moment il n’y a plus de tas ?
Donc les concepts politiques sont souvent nécessairement vagues. Et le Droit doit trancher dans le vague. Il doit y avoir un moment de convention, ce n’est pas entièrement arbitraire, mais il faut bien dire : là on arrête. Où faut-il mettre le curseur ? Interdiction du voile dans les écoles, ou autorisation du voile dans les écoles ? Moi j’ai pas de réponse a priori. Il faut des expériences. Peser le pour et le contre. Par exemple, le « pour » l’interdiction est très évident, puisque c’est un symbole d’alénation ou parfois d’auto aliénation de la femme, en plus c’est un signe religieux ostentatoire, donc contraire à l’idée de laïcité, mais le « contre », c’est à discuter, est-ce que ces jeunes filles, il vaut mieux qu’elles reçoivent l’enseignement laïc, ou qu’elles soient envoyées dans une école islamique, où là elles n’apprennent que le Coran ? J’ai fini par être pour l’interdiction du voile dans les écoles, à cause des premières raisons, mais j’avoue que je n’ai pas de position absolument dogmatique. Ce qui me fait être pour, c’est que je pense que l’islamisme (à ne pas confondre avec l’islam) dont on connaît les effets, lui, est un ennemi, et lui a une politique. Une politique d’infiltration dans les démocraties européennes, qui est très dangereuse. Ils vont profiter de toutes les failles. Et donc il faut mettre un coup d’arrêt.
Ce que je trouve difficile, en terme politique, à ce niveau là , c’est que l’islamisme se sert, dans sa stratégie d’infiltration, de l’Islam au sens large pour venir pousser. Et c’est là où c’est difficile : la réflexion, avec les arguments que tu énonçais, ne peut pas se faire uniquement en évoquant le voile par rapport à un islam modéré, parce qu’on sait qu’ils se servent du voile pour…
Les barbus sont derrière. Et ils sont très très dangereux. La démocratie libérale est fondée sur l’idée que il n’y a pas qu’une conception possible du sens de la vie. Nous pouvons vivre en commun, en ayant des conceptions du sens de la vie différentes. Je cite toujours un beau poème d’Aragon (par ailleurs stalinien épouvantable), mais grand poète, et qui dans « la Rose et le Réséda », à propos d’un résistant communiste et d’un résistant catholique qui s’étaient fait fusiller par les Allemands, dit « celui qui croyait au ciel, et celui qui n’y croyait pas » : tous les deux ont lutté pour la même cause. Mon père était chrétien, mais il y a eu énormément de résistants communistes. Mais il n’y a pas eu que des résistants communistes.
Mais, donc, la conception du sens de la vie d’une chrétien, n’est pas la même que celle d’un athée, c’est évident. Pour un chrétien, il y a une vie après la mort. à‡a change fondamentalement l’attitude par rapport à la mort, par rapport à l’amour. Par exemple l’avortement, ça peut changer totalement selon qu’on est chrétien ou pas. Mais il faut trouver entre ces conceptions ce que John Rawls appelle un « overlaping concensus », un recouvrement, un « consensus par recoupement ». Les conceptions du bien sont différentes, mais il faut qu’elles aient une intersection commune. Ce qui n’est pas le cas avec le nazi. Sur les principes fondamentaux, il n’y a pas de consensus possible avec un nazi. Et avec un islamiste radical, non plus !
Par ailleurs, tu disais à juste titre qu’ils profitaient de l’Islam pour le radicaliser, mais ils profitent aussi de la démocratie ! Comme tous les extrémistes ! C’est formidable pour les extrémistes, la démocratie, puisqu’on leur permet de s’exprimer. Dans une tyrannie, ils n’auraient pas de droit au chapitre. On le voit en Irak : les Chiites, qui s’opposent aux Américains à l’heure actuelle, par exemple Moktadar al Sadr (dont le père a été fusillé par Saddam Hussein !), n’avaient pas le droit à la parole sous Saddam Hussein. Mais maintenant qu’il y a un « début de démocratie », par exemple la liberté de la presse, ou des élections (je ne soutiens pas la politique américaine, mais je décris les faits), ils en profitent pour faire ce qu’ils ne pouvaient pas faire. La démocratie permet aux extrêmes anti-démocrates de s’exprimer. Et là encore, c’est une question de concept vague, et de seuil : à quel endroit faut-il placer le curseur ? De la même manière, c’est pour moi un problème ouvert, j’avais fait il y a quelques années un cours sur politique et religion, et j’avais dans la salle des musulmans, des juifs, des catholiques, c’est à dire qu’il fallait que je fasse très attention pour ne pas blesser, et en même temps dire ce que je pense. Où placer le curseur entre la liberté d’expression (qui est aussi quelque chose sur laquelle on ne peut pas transiger, ça fait partie du socle, de l’intersection commune) et qui comprend la réciprocité (tu m’autorises à m’exprimer si et seulement si je t’autorises à t’exprimer), où placer le curseur donc entre cette liberté d’expression, et le respect des croyances différentes ?
On ne peut interdire le blasphème, on ne peut revenir à l’Ancien Régime. Mais doit-on accepter qu’une communauté se sente attaquée dans ses croyances, dans ses convictions « non-ouvertes », les plus profondes ? Personnellement, je n’aurais pas publié les caricatures de Mahomet. Mais je pense qu’une religion adulte devrait absolument tolérer ce genre de choses ; il se trouve que ce n’est pas le cas, alors ne jetons pas de l’huile sur le feu ! Je sais que j’ai des amis qui me disent : « si tu soutiens cette position, tu trahis la liberté d’expression ! »
A nouveau !
Mais je serais descendu dans la rue si Charlie Hebdo avait été condamné, par exemple. Les caricatures n’étaient pas drôles, d’ailleurs. Sauf une, sur Mahomet qui accueille les martyrs en disant « désolé, on n’a plus de vierges au Paradis » !
On peut parler un peu d’Islam si tu veux, je ne suis pas spécialiste, mais j’ai quelques petites idées…
Il faut tout d’abord distinguer l’Islam, religion tout à fait respectable comme toutes les autres, et l’islamisme. ça rejoint ce que je disais sur la gauche qui était traversée par des tendances totalitaires, c’est la même chose avec le religions. Toutes les religions sont traversées plus ou moins par des tendances totalitaires. Simplement, en ce moment, c’est le fondamentalisme musulman qui est le plus violent. Mais il y aussi un fondamentalisme en Israël, qui est extrêmement violent, et qui veut chasser les Arabes de la « terre sainte » donnée par Dieu aux seuls Juifs, il y a un fondamentalisme chrétien qui peut être aussi violent et raciste. Il ne faut pas uniquement parler de l’Islam. Je suis très prudent, parce que je ne suis pas musulman, et pas spécialiste de l’Islam. Contrairement à mon homonyme, qui écrit sur l’islam et sur le judaïsme. J’en parle librement, sans être spécialiste. Il faut d’abord revenir au christianisme, qui est une hérésie du judaïsme. Et, entre parenthèses, l’Islam sur bien des points que je pourrais détailler, est plus proche du judaïsme que du christianisme. […]Retrouvez les autres parties de l’interview dans le sommaire !
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Interview d’Alain Boyer : cinquième partie
Suite de l’interview d’Alain Boyer, professeur de philosophie politique à la Sorbonne. Après avoir discuté de l’histoire de son article paru dans le Figaro (entre les deux tours de la présidentielle), et expliquant la différence entre morale de responsabilité et morale de conviction, Alain Boyer nous explique aujourd’hui un de ses thèmes de cours « Tyrannie, Despotisme et Dictature ». On y parle, bien sûr, de démocratie et de droits de l’homme. Et on aborde – en fin de partie -, le sujet de la sixième partie (à venir) : l’Islam et les religions.
Puisque nous étions sur l’Université, j’aimerais rebondir sur ton sujet de cours (sur le site de la Sorbonne) « tyrannie, despotisme et dictature » ? pourquoi ce thème pour un cours ?
C’était un sujet de cours de l’année dernière. J’ai changé cette année en Master: « Impérialisme, colonialisme et esclavagisme » (toujours le problème de la liberté, mais je fais aussi un cours de licence sur « l’autorité », qui me met directement en cause ! ) d’une part, et ”Art, morale et Politique » de l’autre : je rêve depuis toujours de parler d’Antigone, de Macbeth ou du Baroque.. Il y a beaucoup de philo et de politique là dedans… Mais il est vrai que j’ai donné ce cours sur la tyrannie deux ans de suite, et il a apparemment intéressé les étudiants (et les auditeurs libres, que j’aime tant !) . Je recevais hier un étudiant marocain qui veut faire une thèse, et il m’a dit que c’était un sujet de cours qui intéressait beaucoup les gens qui viennent d’Afrique du Nord ou centrale, pour qui cette question est vraiment actuelle, malheureusement, il y avait aussi en cours des Sud-américains (j’adore avoir des étudiants étrangers..), qui ont connu la dictature, et qui savent ce que c’est.
C’est presque plus intéressant d’aborder la démocratie libérale en étudiant ses contraires. Il m’est arrivé de faire des cours qui s’appelaient « démocratie et libéralisme », mais ça a moins de « succès » que si j’aborde le problème en décrivant le « Mal ». Comme en littérature. Décrire la tyrannie, contrairement à cette idéologie dont on parlait tout à l’heure consistant à décrire les usines comme des camps de concentration, c’est montrer qu’une tyrannie c’est tout à fait autre chose que ce que nous vivons. J’ai sans doute une méthode particulière pour faire des cours, qui doit d’ailleurs un peu à 68, je ne suis pas (j’espère!) démagogue (le cours n’est pas un échange, c’est moi qui parle, et réponds aux questions) mais ils peuvent intervenir quand ils veulent. Je ne lis pas de texte, j’improvise à partir de ce que j’ai préparé pendant les « vacances », et avec quelques notes pour le plan et les références, et je me promène, et j’essaye d’animer le cours. C’est en général ce qui plait, ou parfois déplait! (je fais trop de parenthèses !) je ne suis pas quelqu’un qui se surestime, ou qui se croît autorisé à parler d’un ton ”grand seigneur », comme aurait dit Kant, mais on m’a dit que j’avais cette ”originalité ». L’idée c’est qu’un jour je leur parle de la critique de la tyrannie chez J.-J. Rousseau, un autre de la notion de dictature (institution républicaine romaine pour les situations exceptionnelles, ce qui est passionnant pour un philosophe !) chez Machiavel, ou Carl Schmitt, grand penseur anti libéral malheureusement devenu nazi, des choses techniques en philosophie, à partir de textes, et beaucoup d’histoire aussi.
Pour dire ce qu’était la tyrannie en Grèce, ce qu’était la dictature Romaine, qui était donc une institution, avant que Sylla et César ne la transforment en ce que c’est devenu, c’est à dire en despotisme, plus ou moins ; je me met à un moment à leur dire « dans un tyrannie, » – je suis allé moi-même en Chine à l’époque communiste ”dure », en 88, un an avant le massacre de Tien An Men— « quand je voulais parler avec des gens que j’avais rencontrés par hasard, de sujets politiques, je voyais que ces personnes se retournaient dans la rue pour vérifier s’il y avait quelqu’un derrière, ou au restaurant, me montrant qu’on ne pouvait pas parler de ces sujets. Je leur dit, à mes étudiants, avez-vous cette expérience ici ? » Ou, si à 11h du soir quelqu’un frappe chez vous violemment, vous pensez « c’est mon voisin qui a des problèmes d’inondation », ou vous pensez « c’est la police politique »? Ils me répondent, bien sûr, ”c’est le voisin ». C’est là un critère évident. Nous ne sommes pas dans une tyrannie. Dans une tyrannie, c’est la police politique qui frappe à la porte la nuit… ou qui écoute les conversations libres dans les jardins….
J’avais trouvé ce sujet intéressant, c’est utile de préciser ce que sont les choses réellement, parce qu’on s’en rappelle, avant les élections, certaines personnes disaient que Sarkozy était presque un fasciste, ou un dictateur en puissance….
Oui, quels ridicules procès d’intention ! C’est minable… Le vrai problème, c’est celui des réformes. Celle des 35 heures a été une énorme erreur. Mais il n’est pas facile de prévoir à l’avance les effets d’une réforme. Je leur ai dit, lors d’un autre cours sur ”Réforme ou Révolution? » (un titre venant de ..Rosa Luxemburg…), que dans les pays démocratiques, le problème des réformes, c’est ce qu’on appelle la ”courbe en J ». Il y a une temporalité du politique en démocratie, qui est en général de 4 ou 5 ans. Le peuple, en démocratie moderne, ne dirige pas lui-même, mais est capable d’éliminer les dirigeants s’ils n’ont pas fait leur boulot (Popper), et s’il y en a de potentiellement meilleurs qui se présentent. Donc il faut un contrôle démocratique tous les 4 ou 5 ans, en plus évidemment des droits de la presse, de manifester, etc.. Une réforme difficile à instaurer, a, au départ, peut-être pendant plusieurs années, des effets négatifs sur la majorité de la population. Ce qui fait que l’élection peut se produire au moment où la courbe est au plus bas (le point le plus bas du ”J »). Peut-être que c’est dans 10 ans seulement que les effets positifs se verront. Le cas le plus évident est le problème des retraites. Si on met à nouveau, contrairement à ce qu’avait fait Mitterrand, la retraite à 65 ans ou les régimes spéciaux à 40 ans, voire un peu plus, on ne verra pas tout de suite les effets bénéfiques de cette réforme, mais si on ne la fait pas, on ne pourra pas survivre, nos enfants ne pourront pas payer. Ils nous en voudront à juste titre parce qu’ils auront un poids énorme sur leurs épaules pour payer NOS retraites.
LE problème du politique, et les Français ne sont pas tous assez sensibles à ça, c’est de prévoir : or, dès qu’on leur parle de réformes un peu dures à avaler, ils attribuent ça au « fascisme » (!), à l’extrême droite. C’est un vision de la politique que je ne partage pas du tout. En démocratie, on ne doit plus envisager la politique interne comme une guerre. Et la, la France est marquée par la Révolution française. La gauche, c’était Danton, Robespierre, la droite c’était les monarchistes. La gauche et la droite, ça a commencé avec la guerre civile ! Mais je pense qu’il faut cesser de considérer le nécessaire conflit politique comme une guerre, c’est ce que Sarkozy a essayé de faire en jouant l’ouverture. C’est aussi pour cela, en plus des réformes essentielles, vitales, qu’il veut faire passer, que, malgré certaines réserves, je soutiens son gouvernement, sans évidemment perdre ma liberté de penser et donc de critiquer. Paradoxalement, je crains qu’il n’arrive pas à réduire suffisamment nos dettes … Mais il faut négocier des compromis, chercher l’intérêt général, pas se faire la guerre.
à‡a rejoint ce que tu disais concernant le Droit, et la ”compossibilité » des libertés. La mission noble de la politique, c’est de pouvoir traiter des problèmes sans aller jusqu’au conflit armé ?
Les Grecs ont inventé la politique, Castoriadis le disait toujours : ils n’ont pas inventé ”Le » politique, parce qu’il y a toujours eu plus ou moins du politique, du pouvoir, mais ”La » politique, la vie politique, c’est à dire la discussion sur les principes mêmes de l’organisation de notre vivre ensemble. à‡a c’est les Grecs, c’est au 5ème siècle avant JC, avec Clisthène, Périclès, Protagoras, etc. que ça s’est produit. Cette politique ”polémique » mais pacifique, ne doit pas être pensée en terme de guerre, nous sommes sur un crête de montagne, comme quand on fait de l’alpinisme, avec le vide des deux côtés, si on est encordés et que quelqu’un tombe d’un côté, il faut soi-même tomber de l’autre côté. Sauter de l’autre côté pour ne pas tomber tous. Mais il faut absolument ne pas tomber, en politique, parce qu’il n’y a plus de corde … Cette image de la crête est néanmoins valable pour la démocratie libérale : il y a deux abîmes, il ne faut pas dire, la démocratie c’est un acquis. Non, non. C’est toujours assez fragile. L’un des deux abîmes c’est la guerre civile, et l’autre la tyrannie. Deux atrocités. Eschyle et Sophocle le disaient déjà . Comment éviter les deux ”maux » politiques ? Ce qui implique d’ailleurs, par rapport à la réflexion que nous avons eue tout à l’heure sur la gauche et la droite, qu’il faut bien s’apercevoir que cet ordre horizontal (extrême gauche, gauche, centre, droite, extrême droite) est simplificateur et doit être complexifié au moins par un axe vertical : partisans de la dictature (d’un seul ou d’un parti), et partisans du pluralisme. Il y a une gauche à tendance dictatoriale, qui pense que la droite « c’est l’ennemi à abattre ». Bon, Robespierre (la gauche de la gauche, même s’il a fait guillotiner son « extrême-gauche », comme Lénine le refera), on dit « les conditions, les conditions » (la guerre contre la France), mais il a quand même instauré la « grande Terreur » APRES les victoires décisives de la République (Fleurus), c’était une vision « puritaine », et le puritanisme est toujours un totalitarisme en puissance.
L’idée de « pureté » est toujours une idée dangeureuse ?
Oui, presque toujours, mais c’est une belle idée, car il y a des saloperies dans le monde, la corruption, etc., mais dangereuse si elle est érigée en dogme intolérant La pureté morale est un noble idéal, et je suis loin de vouloir prêcher le laissez faire total, mais de nobles idéaux peuvent conduire à vouloir les imposer par la force : « La Terreur et la Vertu », disait Robespierre « l’incorruptible »… Que les « purs » indignés par le mal et incapables de proposer des réformes (nécessairement imparfaites !) allant dans le sens de l’honnêteté qu’ils prisent tant aillent dans des couvents ! J’étais à Prague la semaine dernière, en Septembre : une anecdote : ils m’ont raconté que les étudiants en 1989, au moment de la ”révolution de Velours », avaient un panneau « Le communisme pour les communistes ! ». Humour noir et profond ! Les puristes dans des couvents, dans des communautés, s’ils veulent rester purs, mais qu’ils n’imposent pas ce « purisme » aux autres. En revanche, je suis évidemment en faveur de la lutte pied à pied contre la corruption et les mafias. Mais la Gauche a elle-même engendré bien des dictateurs. Lénine, c’était un homme « de gauche » ! Fidel Castro c’est un dictateur et homme « de gauche », adulé par la très naïve Mme Mitterand… Mao et Pol Pot étaient de gauche, d’extrême gauche, or c’était l’horreur ! Il faut que la gauche tout entière prenne conscience de ça. Et du fait que la distinction libéralisme / totalitarisme est plus importante que la distinction gauche-droite.
Cette distinction enrichit effectivement la scission habituelle gauche / droite, de même que celle que tu rappelais entre morale de conviction et morale de responsabilité. Peux-tu nous en dire deux mots ?
Mon article est trop bref, j’ai dû opposer les deux, alors qu’il faut les combiner, ce qui n’est pas une mince affaire ! une authentique morale de la responsabilité n’est possible qu’avec des convictions, mais des convictions elle-mêmes ouvertes à la discussion. à‡a c’est du Popper… Avoir des convictions morales, mais admettre qu’on puisse les discuter, car une conviction à elle seule ne donne pas immédiatement les moyens de la défendre au mieux. Il faut raisonner. Par exemple, une conviction que j’ai, depuis que je m’intéresse à la politique, et je pense que je l’aurai toujours, c’est qu’il ne faut pas laisser des gens « dans le caniveau », c’est moralement inacceptable. L’ultra-libéralisme (rien à voir avec ce qui se fait en France avec Sarkozy…) est à mon sens moralement inepte. Donc il faut tout faire pour faire en sorte qu’il y ait un filet de sûreté. à‡a c’est un conviction ! Mais si je fais n’importe quoi en son nom, qu’au moins j’écoute les critiques, et que j’y réponde !
Quand tu parles de conviction ouverte, il y a quand même presque une antinomie dans l’expression ? Il y a là un paradoxe qu’il faut que les gens soient capables d’expliciter ?
Tout à fait ! C’est le point le plus délicat, sur lequel tu mets l’accent de manière très pertinente. Comment avoir des convictions morales fortes mais ouvertes à la discussion ? C’est un grave problème philosophique. Que Popper a posé, que Habermas a lui même étudié, dans son « éthique de la discussion ». Parce que si tout est en permanence ouvert à la critique effective, ce n’est pas possible. Il faut qu’il y ait des choses considérées comme inacceptables. Torturer un enfant, c’est inacceptable. Avoir pour conviction de ne jamais torturer, c’est essentiel, mais des philosophes prennent souvent un exemple, qui pourrait devenir réel : imaginons un fou qui ait installé une bombe atomique quelque part, et qui va détruire l’humanité, elle va exploser dans heure. Faut-il le torturer pour le faire parler ? Il est fou, et convaincu et suicidaire. On ne peut le convaincre et on n’a pas le temps de le soigner, si cela était même possible. On doit, malheureusement, le torturer. Mais torturer un enfant, non. En tout cas, comme je ne pense pas qu’il existe une morale qui ait une réponse à tous les cas possibles, il faut tenter politiquement d’agir de telle manière que de tels choix ne puissent pas se produire. Essayer, car rien n’est jamais acquis dans ce domaine, comme dans d’autres…
Mais sur ces convictions fortes, j’ai l’impression que disons, entre personnes modérées, ceux qui se gardent de la guerre civile et de la tyrannie, ces convictions fortes sont partagées, et les autres convictions sont accessibles à la raison, à la discussion ?
Il y a une conviction qui me parait absolument forte et moderne, c’est l’égalité en droit de tous les êtres humains.
La déclaration des droits de l’homme ?
Oui. Celle de 1789. Sauf que la Constitution qui a suivi était « machiste », puisque les femmes n’avaient pas le droit de vote. Il a fallu attendre en France 1945 pour que les femmes soient des citoyens à part entière !! Donc l’égalité en droit, et surtout, autant que possible (car cela prend plus de temps …), en fait : il faut la promouvoir, pas seulement la proclamer. C’est pour ça que je suis provisoirement favorable à l’idée de discrimination dite « positive », en anglais c’est mieux : « affirmative actions », actions positives. Une action positive en faveur de minorités qui sont, provisoirement espérons-le !, dans un équilibre précaire, pour de mauvaises raisons. Dans le trou… il faut pour elles une accélération, un coup de pouce, pour les faire sortir de l’eau. Passer le col. Et ensuite l’égalité de droit suffit. à‡a ne peut être que provisoire. Je suis, oui je crois « dogmatiquement », attaché à cette idée d’égalité de Droit. Je ne vois pas comment on pourrait dire « oh non,les femmes, ou telle catégorie de citoyens, n’auront pas les mêmes droits ». C’est intolérable.
C’est l’idée forte qui est dans la démocratie ?
Oui, et ça a une conséquence sur les religions. Parce que si il y a des religions qui disent « les homosexuels n’ont pas les mêmes droits que les autres », que c’est un péché (le catholicisme actuel), ou que les femmes n’ont pas le même poids (dans l’Islam d’après la Charia, il faut je crois 3 femmes pour contrer le témoignage d’un homme), c’est inacceptable ! Pas de concession. C’est à eux d’adapter leur système de pensée au Droit laïc égalitaire que nous avons. Et nous ne devons pas faire de concessions. Je ne suis rien qu’un citoyen comme les autres, mais je suis persuadé qu’avoir renoncé en toute conscience à certaines idées, comme celle d’autogestion socialiste, ne saurait me pousser à me complaire dans des idées nihilistes, qui condamnent toute action comme étant vaine. On doit accepter les contraintes du réel. Mais on doit aussi tenter de l’améliorer, de défendre en lui ce qu’il a de beau, et d’essayer de le rendre moins mauvais, plus juste, pour ”nous, mortels », comme disaient nos maitres Grecs.
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