Étiquette : Raison

  • Citation #48

    Si la tolérance naît du doute, qu’on enseigne à  douter des modèles et des utopies, à  récuser les prophètes de salut, les annonciateurs de catastrophes. Appelons de nos voeux la venue des sceptiques s’ils doivent éteindre le fanatisme.

    Raymond Aron (1905-1983) philosophe, sociologue, politologue, historien et journaliste français.

  • Ceux qui ne veulent pas compter

    J’ai entendu l’autre jour un débat où il était question de la réforme de la carte judiciaire. Regrouper des tribunaux pour mutualiser les moyens, en gros. Optimiser le fonctionnement de la justice. Certains opposants (avocats, magistrats) critiquaient la réforme portée par Rachida Dati, au motif que c’était une réforme comptable, qui laissait de côté l’aspect humain. Certains mêmes décrivaient la méthode de Mme Dati comme une méthode « brutale ». On voit bien la critique qui est sous-entendue là  : toujours critiquer la méthode pour ne pas parler du fond. Comme les syndicats. Heureusement, le député UMP Georges Fenech était présent pour défendre l’action de rénovation du gouvernement, et a finalement expliqué que tous ces arguments ne portaient jamais sur le fond, mais visaient plus à  défendre les intérêts de corporations, et/ou de maires soucieux de conserver « leurs » tribunaux à  quelques mois des élections. Il a dû réaffirmer que le gouvernement ne visait pas « à  démanteler la Justice » (ce dont l’accusait une femme dont j’ai oublié le nom), mais à  optimiser son fonctionnement, et à  casser les conservatismes. C’est pour cette raison, selon lui, que la réforme n’a pas été redescendue au niveau local (régions, département). Un des intervenants expliquaient en effet qu’il aurait fallu laisser les gens qui connaissent les dossiers sur le terrain décider de quel tribunal doit ou pas être fermé. Georges Fenech a répondu à  cet argument – plutôt raisonnable à  première vue – que c’était justement le meilleur moyen pour que chacun s’accroche à  « son » tribunal et finisse par conclure que la réforme est bonne, mais pas dans sa ville.
    J’aurais bien voulu également que quelqu’un souligne que critiquer l’aspect « comptable » d’une réforme est un peu ambigu. Rappelons la définition de « comptable ».

    Définition :
    En parlant d’un personne, il s’agit de quelqu’un qui doit des comptes, qui responsable. En parlant d’une chose, cet adjectif désigne tout ce qui sert à  tenir, ou qui fait partie, d’une comptabilité, et ce qui déterminé par les techniques comptables. Rajoutons pour finir que l’étymologie vient de « contable » (XIIIe s.) « que l’on peut compter ».

    Je trouve ça plutôt sain, pour ma part, que les réformes soient comptables : ça fait des années que les politiques utilisent l’argent du contribuable sans compter, justement, et il est temps que ça cesse. Etre dans une logique comptable, c’est aussi et surtout chiffrer ce qu’on veut faire, porter le débat sur des choses objectives et non pas sur des questions idéologiques ou sur des procès d’intention.
    Par ailleurs, si pour que l’on puisse réformer, il est nécessaire d’aller interviewer chaque juge, chaque avocat, chaque greffier, et lui demander son avis sur la question, alors cela veut dire que la réforme est impossible. L’aspect comptable, justement, permet de connaitre quels sont les nombres de dossiers par juge, les nombres de juges et de tribunaux par habitant selon les régions et les villes, le temps moyen de traitement des dossiers, etc., tous ces éléments enfin qui permettent bien mieux que des grands discours de cerner la réalité concrète et objective. Combien de tribunaux doit-on fermer pour que chacun de ceux qui restent se retrouve dans une meilleure situation pour dispenser à  chaque citoyen une justice de qualité ? Voilà  la logique comptable. La qualité de la Justice ne se mesure pas au nombre de kilomètre que l’on doit faire pour arriver au tribunal. C’est pourtant un argument avancé par ceux qui ne veulent pas « compter ». Il ne faut surtout pas compter l’argent public dépensé, mais on peut compter, par contre, les kilomètres. Il faut arrêter de se moquer du monde.

  • Citation #47

    Le libéralisme est rationaliste. Il soutient qu’il est possible de convaincre l’immense majorité que la coopération paisible dans le cadre de la société sert mieux leurs intérêts justement compris que des batailles mutuelles et la désintégration sociale. Il a pleine confiance dans la raison de l’homme. Il se peut que cet optimisme ne soit pas fondé et que les libéraux se trompent. Mais alors il ne reste plus aucun espoir pour l’avenir de l’humanité.

    Ludwig Von Mises

  • L'argent fait-il maigrir ?

    L'argent fait-il maigrir ?

    C‘est assez rageant de constater que des intervenants dans des débats médiatisés, auréolés de leur statuts de spécialistes ou d’experts, viennent véhiculer des idées préconçues à  la radio ou à  la télé, sans recevoir de contradiction. J’ai entendu vendredi une émission portant sur l’obésité. Une sociologue était présente, et dont l’obésité est l’objet d’étude. Une explication qu’elle avançait souvent portait sur le fait que les comportements « déviants » par rapport à  la bouffe se retrouvaient plus souvent dans les milieux défavorisés que dans les milieux aisés. Et elle en déduisait, sans que personne ne vienne tempérer cet avis, que le niveau de vie était une facteur important de l’obésité. Or, deux choses peuvent varier ensembles, sans pour autant que l’un soit la cause de l’autre. Et à  aucun moment, les autres intervenants (qui étaient pourtant plus fins qu’elle), n’ont fait remarquer que le problème de l’obésité est un comportement face à  la nourriture dont la cause est bien plus le manque d’éducation que le manque d’argent. Et il se trouve (oh, surprise !) que globalement les milieux aisés financièrement sont aussi ceux où l’éducation prend une place plus importante. L’idéologie véhiculée par l’explication purement financière est donc la suivante : c’est le manque d’argent qui cause une expression par la nourriture, une affirmation sociale par la consommation excessive pour combler un manque (sous-entendu, manque d’argent). C’est présenter l’argent comme un but, et non comme un moyen. Et c’est vouloir à  tout prix éviter de dire que ceux qui laissent leurs enfants boire du coca devant la télé ou la console de jeux 5 heures par jour sont avant tout des « pauvres » éducationnels. Il est plus commode de les présenter comme des pauvres tout court : c’est de la faute du système, et de la société. Et ça évite d’aller regarder dans le détail, et d’insister sur la responsabilité parentale. Responsabilité, mot horrible !
    L’écologiste de service présente sur le plateau avait d’ailleurs une autre explication, tout aussi réductrice et simplificatrice : la pression doit être mise sur les groupes agroalimentaires pour qu’ils produisent des produits moins gras, moins sucrés, etc. Les méchants groupes industriels se faisant leur beurre sur le dos des pauvres, voilà  encore une belle explication. C’est-à -dire, au final, de la plus pure logique « diet » ou « light » : plutôt que d’apprendre à  manger de manière rationnelle (pas entre les repas, pas d’excès de graisse et de sucres), on va se fabriquer de la bouffe fadasse pour pouvoir s’empiffrer toute la journée sans dommages (soi-disant). Bel exemple d’écologie, et d’arguments insupportablement creux.
    Un argument simple suffit pourtant à  renverser cette « théorie » : on trouve des obèses chez les riches, et des gens sachant gérer leur rapport à  la bouffe chez les plus démunis. La richesse affective, l’éducation nutritionnelle expliquent – mieux que l’argent – le comportement sain vis-à -vis de la nourriture. Qu’une sociologue ne soit pas capable de mettre ces facteurs bien plus importants que l’aspect financier dans le coeur de son argumentation montre qu’elle souhaitait simplement faire passer un message idéologique, et non pas des résultats de recherche. L’argent, cause de tous les maux ? Je dirais plutôt l’absence d’éducation, quitte à  simplifier…

  • Karl Popper : la démocratie libérale en 8 points

    Karl Popper : la démocratie libérale en 8 points

    Avant de pouvoir vous présenter par morceaux l’interview d’Alain Boyer que j’ai réalisé vendredi dernier, voici le texte qu’il avait choisi pour illustrer la pensée de Popper dans le hors-série sur le libéralisme sorti par Le Point avant les présidentielles. Les principes libéraux explicités en huit points. Pas un de plus, pas un de moins.

    Rencontre avec Alain Boyer

    J‘avais écrit un petit billet en juin pour diriger les lecteurs vers un article magistral paru dans le Figaro, écrit par Alain Boyer, professeur de philosophie politique à  la Sorbonne. Cet article faisait le distingo entre morale de responsabilité et morale de conviction. Et expliquait en substance que Sarkozy faisait plus pour la promotion des idéaux de gauche que le PS, qui se contente de prendre des postures intellectuelles en accord avec ces idéaux, mais sans s’occuper de les promouvoir dans les faits.

    Quelle ne fut pas ma surprise de voir, en commentaire de cet article, une intervention d’Alain Boyer lui-même ! Je profitais de l’occasion pour lui proposer de l’interviewer, par écrit ou à  l’oral. Pour des raisons de temps, il m’a proposé une interview orale. Vendredi dernier, je me suis donc rendu à  son domicile, tout fébrile et intimidé, pour l’interviewer, avec mon petit enregistreur acheté pour l’occasion. Je l’ai interviewé sur son parcours, sur la politique française, sur la pensée de Karl Popper (dont il est un grand spécialiste), sur la gauche, sur l’Islam.
    J’ai eu le bonheur de rencontrer un homme très sympathique, très direct, d’une grande culture, et dont la réflexion juste et puissante n’a d’égal que son talent pour communiquer ses idées. Il n’est pas professeur pour rien ! Interview intense, donc (3h !), plus à  bâtons rompus que savamment construite (je ne suis pas journaliste). J’ai maintenant du travail pour transcrire par écrit cet échange, et que je compte vous proposer par morceaux, si possible thématiques.
    Pour vous donner de quoi patienter, chers lecteurs, je vous propose en attendant de publier ici sa contribution au hors-série du Point consacré au libéralisme, publié avant les élections présidentielles. Bien évidemment, son statut de spécialiste de Popper l’a naturellement conduit à  écrire l’article sur le philosophe autrichien. Le format choisi pour ce hors-série, consistait à  proposer un texte de Popper, et une présentation de sa pensée. Voici, pour commencer, le texte de Popper, admirable et synthétique. La contribution d’Alain Boyer suivra dans un prochain billet.

    Principes Libéraux

    1. L’Etat est un mal nécessaire : ses pouvoirs ne doivent pas être multipliés au delà de ce qui est nécessaire. On peut appeler ce principe le ”rasoir libéral » (par analogie avec le « rasoir d’Ockham », le fameux principe selon lequel les entités ne doivent pas être multipliées au delà de ce qui est nécessaire).
      Afin de montrer la nécessité de l’Etat, je ne fais pas appel à la conception hobbesienne (Léviathan, trad. Folio, I, ch. XIII.) de l’homo homini lupus. Au contraire, sa nécessité peut être montrée même si nous supposons que homo homini felis, ou même que homo homini angelus, en d’autres termes, si nous supposons qu’à cause de leur bonté angélique, personne ne nuit à personne d’autre. Dans un tel monde, il y aurait encore des hommes plus ou moins forts, et les plus faibles n’auraient aucun droit légal à être tolérés par les plus forts, mais devraient leur tenir gratitude d’être assez bons pour les tolérer. Ceux qui (forts ou faibles) pensent que cela n’est pas un état de choses satisfaisant, et que toute personne doit avoir un droit à  vivre, et une prétention (claim) légale à être protégée contre le pouvoir des forts, accorderont que nous avons besoin d’un Etat qui protège les droits de tous. Il est facile de montrer que cet Etat constituera un danger constant (ce que je me suis permis d’appeler un mal), fût-il nécessaire. Pour que l’Etat puisse remplir sa fonction, il doit avoir plus de pouvoir qu’aucun individu privé ou aucune organisation publique, et bien que nous puissions créer des institutions qui minimisent le danger que ces pouvoirs puissent être mal utilisés, nous ne pourront jamais en éliminer le danger complètement. Au contraire, la plupart des citoyens auront à  payer en échange de la protection de l’Etat, non seulement sous la forme de taxes, mais même sous la forme de certaines humiliations, par exemple, lorsqu’ils sont dans les mains de fonctionnaires brutaux.
    2. La différence entre une démocratie et une tyrannie est que dans une démocratie, les gouvernants peuvent être rejetés sans effusion de sang.
    3. La démocratie ne peut conférer aucun bénéfice aux citoyens. Elle ne peut rien faire, seuls les citoyens peuvent agir. Elle n’est qu’un cadre dans lequel les citoyens peuvent agir de manière plus ou moins cohérente et organisée.
    4. Nous sommes démocrates non parce que la majorité a toujours raison, mais parce que les traditions démocratiques sont les moins mauvaises que nous connaissons. Si la majorité se décide en faveur d’une tyrannie, un démocrate ne doit pas penser qu’il y a une contradiction fatale dans sa conception, mais que la tradition démocratique dans son pays n’était pas assez forte.
    5. Les institutions ne sont ne sont pas suffisantes si elles ne sont pas tempérées par des traditions, car elles sont toujours ambivalentes (…)
    6. Une utopie libérale, un Etat rationnellement crée sur une table rase sans traditions, est impossible. Le libéralisme exige que les limitations de la liberté de chacun rendues nécessaires par la vie en société doivent être minimisées et rendues égales pour tous autant que possible (Kant). Mais comment appliquer un tel principe a priori dans la vie réelle ? Touts les lois, étant universelles, doivent être interprétées afin d’être appliquées, et ceci nécessite certains principes de pratique concrète, qui ne peuvent être fournis que par une tradition vivante.
    7. Les principes libéraux peuvent être décrits comme des principes d’évaluation et si nécessaire de modification des institutions. On peut dire que le libéralisme est une doctrine « évolutionnaire » plutôt que révolutionnaire (sauf dans le cas d’une tyrannie).
    8. Parmi ces traditions, nous devons mettre en premier ce que l’on peut appeler le ”cadre moral » (correspondant au « cadre légal ») d’une société. Cela comprend le sens traditionnel de la justice ou équité (« fairness »), ou le degré de sensibilité morale que la société a atteint. Ce cadre sert de base pour rendre possible des compromis équitables entre des intérêts en conflit. Il n’est pas lui-même intouchable, mais il change relativement lentement. Rien n’est plus dangereux que sa destruction, laquelle fut consciemment visée par les Nazis, qui ne peut conduire qu’au nihilisme, à  la dissolution de toutes les valeurs humaines.

    Karl Popper, ”Public Opinion and Liberal Principles (1954), in Conjectures and Refutations, RKP, 1963, traduction originale d’Alain Boyer.

  • Le mythe de l'indépendance

    Le mythe de l'indépendance

    Ce texte est le premier d’une série consacrée au décryptage et à  l’analyse critique des messages véhiculés par les médias. Et c’est également le premier article « invité » sur ce blog, puisqu’il a été écrit par Zorro.
    Revue Prescrire
    Septembre 2007, page 697-98
    Auteur : « la revue Prescrire »

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