Vous pouvez, jusqu’à un certain point, organiser d’en haut la concurrence entre les entreprises collectives, les contraindre à la rentabilité (calculée comment ?) ; vous pouvez décentraliser les décisions, « responsabiliser » les gestionnaires et les travailleurs: vous n’obtiendrez jamais la vraie concurrence, donc la vraie compétitivité, donc la vraie modernisation. Pour une simple raison : la concurrence n’est jamais voulue. Elle n’est pas agréable. La preuve en est que les entreprises concurrentes s’efforcent souvent de la neutraliser par des tarifs concertés et des ententes. Pour que la vraie concurrence existe, il faut qu’elle soit imposée par l’infrastructure de la propriété ; tout marxiste devrait le comprendre.
Jean-François Revel
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Citation #59
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Interview d’Alain Boyer : sixième partie
La dernière fois, nous avions discuté avec Alain Boyer (qu’il soit remercié d’être venu participer aux discussions en commentaires) de démocratie, de tyrannie, et de liberté. Une valeur fondamentale qui ressortait était la nécessité d’avoir une égalité de droit entre les individus. Avec la notion de Justice sous-jacente. Cette thématique, la tyrannie et la démocratie, avait une suite naturelle : la religion et ses excès, notamment à l’heure actuelle avec l’Islam. Ce sera l’objet de cette partie, ainsi que de la suivante…Bonne lecture, et n’hésitez pas à réagir en commentaire !
On va aborder l’Islam, alors, puisque c’est le sujet suivant. C’est un peu le sens des questions que je voulais poser sur l’Islam : j’ai l’impression qu’on a pu, en France, faire des concessions sur des choses justement qui font partie du socle de valeurs non négociables. Qu’en penses-tu ?
Je suis d’accord. Mais c’est un problème extrêmement délicat. Il est normal, et là , je suis popperien, qu’on fasse des erreurs, et qu’on apprenne. On n’a pas de solution toute faite. Il faut avoir cette conviction que quelqu’un qui pratique l’inégalité des hommes et des femmes est en contradiction avec le Droit français. « Mon témoignage d’homme vaut celui de trois femmes », non ! C’est impossible. Mais le problème est complexe. Comme dans tous les problèmes moraux et politiques, on utilise des notions plus ou moins floues, en philosophie on appelle ça des « concepts vagues », c’est le contraire de la pensée scientifique, mais c’est inévitable, et même nécessaire pour que le langage humain soit possible.
Un concept vague, c’est un concept dont les deux pôles (un concept c’est toujours une opposition) sont clairement identifiés. Par exemple une ville. Là on est dans une ville, et dans la forêt de Fontainebleau on est clairement à la campagne. Mais entre les deux, il y a un moment où la question se pose : »est-ce qu’on est dans une ville, ou à la campagne ? » Il n’y a pas de scission nette. C’est les Grecs qui avaient trouvé ça (ils ont presque tout trouvé), ils appellent ça le paradoxe du « tas » (un « sorite ») : à partir de combien de grains de sable il y a un tas ? si je prends un tas de grains de sable, et si j’enlève un grain, à la fin il n’y a plus de tas. A quel moment il n’y a plus de tas ?
Donc les concepts politiques sont souvent nécessairement vagues. Et le Droit doit trancher dans le vague. Il doit y avoir un moment de convention, ce n’est pas entièrement arbitraire, mais il faut bien dire : là on arrête. Où faut-il mettre le curseur ? Interdiction du voile dans les écoles, ou autorisation du voile dans les écoles ? Moi j’ai pas de réponse a priori. Il faut des expériences. Peser le pour et le contre. Par exemple, le « pour » l’interdiction est très évident, puisque c’est un symbole d’alénation ou parfois d’auto aliénation de la femme, en plus c’est un signe religieux ostentatoire, donc contraire à l’idée de laïcité, mais le « contre », c’est à discuter, est-ce que ces jeunes filles, il vaut mieux qu’elles reçoivent l’enseignement laïc, ou qu’elles soient envoyées dans une école islamique, où là elles n’apprennent que le Coran ? J’ai fini par être pour l’interdiction du voile dans les écoles, à cause des premières raisons, mais j’avoue que je n’ai pas de position absolument dogmatique. Ce qui me fait être pour, c’est que je pense que l’islamisme (à ne pas confondre avec l’islam) dont on connaît les effets, lui, est un ennemi, et lui a une politique. Une politique d’infiltration dans les démocraties européennes, qui est très dangereuse. Ils vont profiter de toutes les failles. Et donc il faut mettre un coup d’arrêt.
Ce que je trouve difficile, en terme politique, à ce niveau là , c’est que l’islamisme se sert, dans sa stratégie d’infiltration, de l’Islam au sens large pour venir pousser. Et c’est là où c’est difficile : la réflexion, avec les arguments que tu énonçais, ne peut pas se faire uniquement en évoquant le voile par rapport à un islam modéré, parce qu’on sait qu’ils se servent du voile pour…
Les barbus sont derrière. Et ils sont très très dangereux. La démocratie libérale est fondée sur l’idée que il n’y a pas qu’une conception possible du sens de la vie. Nous pouvons vivre en commun, en ayant des conceptions du sens de la vie différentes. Je cite toujours un beau poème d’Aragon (par ailleurs stalinien épouvantable), mais grand poète, et qui dans « la Rose et le Réséda », à propos d’un résistant communiste et d’un résistant catholique qui s’étaient fait fusiller par les Allemands, dit « celui qui croyait au ciel, et celui qui n’y croyait pas » : tous les deux ont lutté pour la même cause. Mon père était chrétien, mais il y a eu énormément de résistants communistes. Mais il n’y a pas eu que des résistants communistes.
Mais, donc, la conception du sens de la vie d’une chrétien, n’est pas la même que celle d’un athée, c’est évident. Pour un chrétien, il y a une vie après la mort. à‡a change fondamentalement l’attitude par rapport à la mort, par rapport à l’amour. Par exemple l’avortement, ça peut changer totalement selon qu’on est chrétien ou pas. Mais il faut trouver entre ces conceptions ce que John Rawls appelle un « overlaping concensus », un recouvrement, un « consensus par recoupement ». Les conceptions du bien sont différentes, mais il faut qu’elles aient une intersection commune. Ce qui n’est pas le cas avec le nazi. Sur les principes fondamentaux, il n’y a pas de consensus possible avec un nazi. Et avec un islamiste radical, non plus !
Par ailleurs, tu disais à juste titre qu’ils profitaient de l’Islam pour le radicaliser, mais ils profitent aussi de la démocratie ! Comme tous les extrémistes ! C’est formidable pour les extrémistes, la démocratie, puisqu’on leur permet de s’exprimer. Dans une tyrannie, ils n’auraient pas de droit au chapitre. On le voit en Irak : les Chiites, qui s’opposent aux Américains à l’heure actuelle, par exemple Moktadar al Sadr (dont le père a été fusillé par Saddam Hussein !), n’avaient pas le droit à la parole sous Saddam Hussein. Mais maintenant qu’il y a un « début de démocratie », par exemple la liberté de la presse, ou des élections (je ne soutiens pas la politique américaine, mais je décris les faits), ils en profitent pour faire ce qu’ils ne pouvaient pas faire. La démocratie permet aux extrêmes anti-démocrates de s’exprimer. Et là encore, c’est une question de concept vague, et de seuil : à quel endroit faut-il placer le curseur ? De la même manière, c’est pour moi un problème ouvert, j’avais fait il y a quelques années un cours sur politique et religion, et j’avais dans la salle des musulmans, des juifs, des catholiques, c’est à dire qu’il fallait que je fasse très attention pour ne pas blesser, et en même temps dire ce que je pense. Où placer le curseur entre la liberté d’expression (qui est aussi quelque chose sur laquelle on ne peut pas transiger, ça fait partie du socle, de l’intersection commune) et qui comprend la réciprocité (tu m’autorises à m’exprimer si et seulement si je t’autorises à t’exprimer), où placer le curseur donc entre cette liberté d’expression, et le respect des croyances différentes ?
On ne peut interdire le blasphème, on ne peut revenir à l’Ancien Régime. Mais doit-on accepter qu’une communauté se sente attaquée dans ses croyances, dans ses convictions « non-ouvertes », les plus profondes ? Personnellement, je n’aurais pas publié les caricatures de Mahomet. Mais je pense qu’une religion adulte devrait absolument tolérer ce genre de choses ; il se trouve que ce n’est pas le cas, alors ne jetons pas de l’huile sur le feu ! Je sais que j’ai des amis qui me disent : « si tu soutiens cette position, tu trahis la liberté d’expression ! »
A nouveau !
Mais je serais descendu dans la rue si Charlie Hebdo avait été condamné, par exemple. Les caricatures n’étaient pas drôles, d’ailleurs. Sauf une, sur Mahomet qui accueille les martyrs en disant « désolé, on n’a plus de vierges au Paradis » !
On peut parler un peu d’Islam si tu veux, je ne suis pas spécialiste, mais j’ai quelques petites idées…
Il faut tout d’abord distinguer l’Islam, religion tout à fait respectable comme toutes les autres, et l’islamisme. ça rejoint ce que je disais sur la gauche qui était traversée par des tendances totalitaires, c’est la même chose avec le religions. Toutes les religions sont traversées plus ou moins par des tendances totalitaires. Simplement, en ce moment, c’est le fondamentalisme musulman qui est le plus violent. Mais il y aussi un fondamentalisme en Israël, qui est extrêmement violent, et qui veut chasser les Arabes de la « terre sainte » donnée par Dieu aux seuls Juifs, il y a un fondamentalisme chrétien qui peut être aussi violent et raciste. Il ne faut pas uniquement parler de l’Islam. Je suis très prudent, parce que je ne suis pas musulman, et pas spécialiste de l’Islam. Contrairement à mon homonyme, qui écrit sur l’islam et sur le judaïsme. J’en parle librement, sans être spécialiste. Il faut d’abord revenir au christianisme, qui est une hérésie du judaïsme. Et, entre parenthèses, l’Islam sur bien des points que je pourrais détailler, est plus proche du judaïsme que du christianisme. […]Retrouvez les autres parties de l’interview dans le sommaire !
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Bonne année 2008 !
Il parait que l’on peut envoyer ses voeux jusqu’à fin janvier…alors voici les miens, avec un peu de retard sur le début de l’année.
Pour l’année 2008, je vous souhaite, au niveau personnel, le meilleur pour la santé. Le reste suivra, à savoir suivre vos envies, avoir plein de joies, réaliser des projets. Plein d’amour, aussi. En donner et en recevoir.
Au niveau collectif, je nous souhaite de vivre dans des société où les fous dangereux auront un peu moins de pouvoir, répandront un peu moins de peur et de haine, et où chaque être humain aura un peu plus la chance de pouvoir vivre pleinement sa liberté. En France, cela passe par une prise de conscience que l’organisation de la société de manière centralisée est certainement loin d’être optimale. Elle participe d’une illusion collective consistant à croire que l’on peut, et que l’on sait, ce qui pourrait être bon pour des catégories de personnes. Et de laisser une minorité le décider pour les autres. Ce sont les fondements même du totalitarisme. Il n’existe que des individus, et la somme de leurs interactions constitue la société. Laissons les individus chercher leur bonheur, et leur intérêt où bon leur semble, dans le respect des droits de chacun. C’est à cette condition qu’une société juste, pacifiée, pourra émerger.
Arrêtons d’avoir la prétention de construire des « modèles » de société voués à l’échec car trop généraux, et trop incapables de contenir la richesse et le potentiel de l’humanité. L’adaptation à l’environnement, la créativité, sont des capacités humaines dont on ne peut prévoir les conséquences. Les risques font partie intégrante de la vie. Les choses formidables aussi. Gardons la tête froide pour continuer à faire ce que l’humain sait faire : évaluer les gains potentiels, et les comparer aux risques associés. Ayons la sagesse de savoir douter, toujours, et surtout de la parole de ceux qui viennent nous asséner des grandes vérités, révélées ou non, censées nous expliquer le monde et la marche à suivre. Surtout de ceux qui nous expliquent que les intérêts particuliers des être humains s’opposent et sont la source de tout les conflits. L’humanité est plus riche que cela, plus intelligente, et plus imprévisible.
Bonne et heureuse année 2008 à vous tous, chers lecteurs !
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Monopoles légitimes et illégitimes
Retour sur quelques notions libérales, et distinction entre monopoles illégitimes (obtenus par la contrainte) et légitimes (obtenu par l’échange libre). Ce qui différencie un vrai monopole d’un monopole légitime, c’est l’interdiction – ou non – à des concurrents d’entrer sur le marché.
(suite…) -
Citation #58
Il est aisé de deviner le rôle que le gouvernement s’attribuera. Son premier soin sera de s’emparer de toutes ces caisses sous prétexte de les centraliser; et, pour colorer cette entreprise, il promettra de les grossir avec des ressources prises sur le contribuable. « Car, dira-t-il, n’est il pas bien naturel et bien juste que l’Etat contribue à une oeuvre si grande, si généreuse, si philanthropique, si humanitaire? »Première injustice : faire entrer de force dans la société, et par le côté des cotisations, des citoyens qui ne doivent pas concourir aux répartitions de secours. Ensuite, sous prétexte d’unité, de solidarité (que sais-je?), il s’avisera de fondre toutes les associations en seule soumise à un règlement uniforme. Mais, je le demande, que sera devenue la moralité de l’institution, quand la caisse sera alimentée par l’impôt; quand nul, si ce n’est quelques bureaucrates, n’aura intérêt à défendre le fond commun; quand, chacun, au lieu de se faire un devoir de prévenir les abus se fera un plaisir de les favoriser; quand aura cessé toute surveillance mutuelle et que feindre une maladie ne sera autre chose que jouer un bon tour au Gouvernement? […]
Bientôt qu’arrivera-t-il ? Les ouvriers ne verront plus dans la caisse commune une propriété qu’il administrent, qu’ils alimentent, et dont les limites bornent leurs droits. Peu à peu, il s’accoutumeront à regarder le secours en cas de maladie et de chômage non comme provenant d’un fond limité préparé par leur propre prévoyance, mais comme une dette de la société. Ils n’admettront pas pour elle, l’impossibilité de payer et ne seront jamais contents des réparations. L’état se verra contraint de demander sans cesse des subventions au budget. Là , rencontrant l’opposition des commissions des Finances, il se trouvera engagé dans des difficultés inextricables. Les abus iront toujours croissants, comme c’est l’usage, jusqu’à ce que vienne le jour d’une explosion. Mais alors on s’apercevra qu’on est réduit à compter avec une population qui ne sait plus agir par elle même, qui attend tout d’un ministre ou d’un préfet, même la subsistance, et dont les idées sont perverties au point d’avoir perdu jusqu’à la notion du Droit, de la Propriété, de la Liberté et de la Justice.
Frédéric Bastiat, 1850, à propos des caisses privées de l’époque
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4 axes pour réformer la France
Ce billet juste pour vous signaler un article intéressant à lire dans le Financial Times. Proposition de réformes libérales pour les pays du « noyau dur » européen (France, Italie et Allemagne) : libéraliser le marché du travail, réformer l’Etat, diminuer le poids fiscal et juridique qui freine l’entreprenariat et libéraliser l’Université. Tout un programme ! Mais utile et vivifiant à lire pour sortir du son de cloche habituel de nos médias français, où tout est souvent dans une optique « interventionniste », et où les gens, réformateurs ou conservateurs, pensent toujours en terme d’Etat. Et si les individus – vous – étaient les seuls vrais acteurs de la société ? Et si on leur redonnait leur liberté d’action ?
(suite…)