CatĂ©gorie : 📚 Livres

  • L’erreur est humaine

    L’erreur est humaine

    Vincent Berthet, docteur en sciences cognitives, signe avec « L’erreur est humaine » un ouvrage clair et synthĂ©tique, assez complet, sur la rationalitĂ© humaine et ses limites. C’est une bonne introduction au domaine des sciences cognitives, par le prisme de l’économie comportementale. Il y partage un certain nombre de clefs de comprĂ©hension du cerveau humain, et recense notamment une bonne partie des biais cognitifs qui rendent notre rationalitĂ© tout à  fait discutable, du moins limitĂ©e. Si le sujet des biais vous intĂ©resse, je vous recommande aussi mon modeste article sur deux biais complexes : historicisme & polylogisme.

    L’erreur est humaine : Biais, heuristiques et … statistiques

    Les exemples, prĂ©cis, clairs et nombreux permettent une lecture facile et une vraie plongĂ©e dans l’univers de ces biais, des heuristiques et des statistiques mal interprĂ©tĂ©es par notre cerveau. J’ai Ă©tĂ© content d’y trouver un passage sur les statistiques « Bayesienne« , et je crois qu’il serait bon que chacun intĂšgre ces notions. Je ferai un post sur le sujet. S’appuyant sur les travaux de Kahneman (systĂšme 1 / systĂšme 2), j’ai Ă©tĂ© surpris de pas trouver de rĂ©fĂ©rence aux travaux d’Olivier HoudĂ©, qui a pourtant Ă©largi cette approche, et qui l’a vulgarisĂ©e dans un excellent Que Sais-je ? « Le raisonnement« .
    Loin de condamner la rationalitĂ©, ce concept de « rationalitĂ© limitĂ©e » permet de replacer nos capacitĂ©s cognitives dans une perspective Ă©volutionniste. Si ces biais et raccourcis mentaux existent, c’est qu’ils ont une fonction adaptative, et qu’ils permettent dans un certain nombre de situations complexes, d’ĂȘtre efficaces. L’auteur revient donc sur des cas concrets oĂč l’intuition et les heuristiques sont plus efficaces – donc plus rationnelles – que l’analyse complĂšte — souvent impossible – de la situation.

    Quelques limites

    L’ouvrage aurait gagnĂ© en profondeur avec une mise en perspective philosophique et morale : montrer les limites Ă©thiques à  l’utilisation des nudges (techniques d’utilisation des biais cognitifs pour orienter le comportement) par les pouvoirs publics ou les entreprises, pour finalement les recommander en conclusion est un peu court. Vincent Berthet en parle ici en vidĂ©o, si vous voulez en savoir plus.
    De mĂȘme, une vraie rĂ©flexion sur le sens de la rationalitĂ© aurait permis de mieux Ă©clairer la discussion : que pourrait bien signifier que l’humain soit non rationnel ? Etre rationnel ne signifie pas ĂȘtre infaillible, mais capable de penser son rapport au rĂ©el (y compris à  ses propres limites). MalgrĂ© ces quelques manques, l’ouvrage reste trĂšs utile. L’erreur est humaine, certes, mais mieux comprendre nos biais et limites permet de mieux penser. Et ainsi de ne pas persĂ©vĂ©rer dans l’erreur.

    Errare humanum est, perseverare diabolicum.

    NB : cette recension a d’abord Ă©tĂ© publiĂ© dans le magazine L’incorrect. Je les remercie de leur confiance.

  • Trois coups de tonnerre

    Trois coups de tonnerre

    Jean Clayrac signe avec « Trois coups de tonnerre » un petit essai trĂšs intĂ©ressant, et rudement bien Ă©crit. Jean Clayrac est le pseudonyme de l’auteur, Ă©galement taulier du site Un Regard Inquiet, que je vous invite à  dĂ©couvrir. Le livre est sous-titrĂ© « Confession d’un antiraciste ordinaire », il est trĂšs bien rĂ©sumĂ© par le 4Ăšme de couverture :

    Un antiraciste ordinaire, naguĂšre certain de sa bonne moralitĂ©, a pris conscience, l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente, de ses compromissions intellectuelles et des drames qu’elles avaient engendrĂ©s. Il se plonge dans une rĂ©flexion sur leurs causes idĂ©ologiques, morales et finalement existentielles, pour ouvrir la voie à  une refondation intellectuelle.

    C’est de la refondation de la gauche dont il s’agit. Et donc d’une partie de la sociĂ©tĂ© française, tant l’idĂ©ologie dĂ©crite dans l’essai – oĂč elle y est dĂ©masquĂ©e, dĂ©construite, expliquĂ©e, analysĂ©e – imprĂšgne les esprits en 2021 en France.

    Prise de conscience tardive ?

    Mieux vaut tard que jamais, se dit-on au dĂ©but de l’essai. Car les trois coups de tonnerre sont l’affaire George Floyd, les actes de sauvageries de l’Ă©tĂ© 2020, et l’assassinat de Samuel Paty. 3 affaires relativement rĂ©centes qui, en retentissant comme des coups de teonerre, ont ouvert les yeux de l’auteur. On se demande comment du coup avaient retenti pour lui le 11 septembre, le Bataclan et tous les autres attentats islamistes. Mais mieux vaut tard que jamais ; et le livre, de fait, rĂ©pond à  cette question de maniĂšre trĂšs prĂ©cise et assumĂ©e. C’est tout l’intĂ©rĂȘt.

    MĂ©canismes et causes de l’aveuglement volontaire

    Jean Clayrac, avec une honnĂȘtetĂ© rare, et une prĂ©cision chirurgicale, explique pas-à -pas les mĂ©canismes du dĂ©ni de rĂ©el dans lequel une partie de la gauche s’est enfermĂ©e depuis trĂšs longtemps, les raisons de ce dĂ©ni. Les formes prises par ce dĂ©ni aussi. Tout y est trĂšs documentĂ©. C’est l’analyse des causes idĂ©ologiques du dĂ©ni (antiracisme bĂȘlant, oubli de l’histoire, ethnocentrisme). Et on retrouve, bien sĂ»r, le point central des travaux de Bock-CĂŽtĂ© : paraĂźtre vertueux, socialement, a Ă©tĂ© un des moteurs de ce dĂ©ni.
    Une fois explicitĂ© tout cela, l’auteur poursuit son introspection, en Ă©crivant « nous ». J’entends dans ce nous autre chose qu’une maniĂšre de ne pas dire « je » : il parle pour son « camp » idĂ©ologique, la gauche. Il cherche donc les causes morales du dĂ©ni. Et il les explique trĂšs bien : lĂąchetĂ©, conformisme, intelligence compromise.

    A faire découvrir à  tous vos amis de gauche

    Si le livre ne m’a pas appris tant que cela, il m’a permis de me mettre un peu dans les chaussures de quelqu’un d’idĂ©ologisĂ©. Je suis admiratif du chemin parcouru par l’auteur (mais est-ce vraiment le cas, ou ce point de vue n’est-il qu’une maniĂšre rhĂ©torique d’emmener dans son rĂ©cit de maniĂšre assez large, y compris, surtout, ceux qu’il cherche à  faire bouger ?). Le livre est remarquablement clair, bien Ă©crit, et dĂ©coupĂ© en courts chapitres qui rendent la lecture et la progression du propos tout à  fait limpide. En fait, je me suis dit en le terminant que j’allais l’offrir à  mon ami de gauche, car cet essai explique mieux que moi une partie des idĂ©es qui sont les miennes. L’essai permet certainement de faire bouger certaines consciences. On ne peut que l’espĂ©rer…

  • Bitcoin : comprendre et investir

    Bitcoin : comprendre et investir

    Philippe Herlin, Ă©conomiste spĂ©cialisĂ© en finance et en cryptomonnaies, vient de sortir chez Eyrolles un trĂšs bon guide pratique des cryptomonnaies. J’ai eu la chance de cĂŽtoyer l’auteur lorsque j’animais le rĂ©seau de blogs libĂ©raux-conservateurs LHC. Tous deux alignĂ©s sur l’Ă©cole autrichienne d’Ă©conomie, nous avions à  l’Ă©poque tentĂ© de fĂ©dĂ©rer les blogueurs « de droite ». Nous continuons de nous recroiser de temps à  autre dans des Ă©vĂšnements politiques.

    Cryptomonnaies et finance décentralisée

    J’ai commencĂ© à  m’intĂ©resser aux cryptomonnaies cet Ă©tĂ©. FatiguĂ© de constater que l’argent que je mets sur des livrets à  la banque ne rapporte rien, je me suis dit que certainement il serait intĂ©ressant de tester un peu ces cryptomonnaies, et leurs usages. J’avais dans le cadre de mon boulot, un aperçu assez dĂ©taillĂ© de la blockchain, de sa philosophie (j’avais dĂ©couvert le fascinant projet Ethereum et la startup ).
    Pour les nĂ©ophytes comme moi, le livre d’Herlin est super : pratique, relativement simple à  comprendre, il va droit au but, et permet un survol assez global des cryptomonnaies, bitcoins, tokens, et autre plateforme DeFi. Un peu technique par moment, il est reste tout à  fait clair. Il est trĂšs utile : je me demandais si au-delà  du simple placement spĂ©culatif, les cryptomonnaies prĂ©sentaient d’autres intĂ©rĂȘts, et j’ai dĂ©couvert grĂące au livre tout un univers dĂ©jà  avancĂ© de services financiers. A lire, donc pour tous ceux qui veulent dĂ©couvrir cet univers.

    Bitcoin : une monnaie dure, sans Etat

    L’histoire du bitcoin est assez fascinante. Au-delà  des aspect trĂšs techniques (passionnants eux-aussi), il s’agit de l’histoire de la crĂ©ation d’une monnaie (moyen de transaction) pair-à -pair sans autoritĂ© centrale, et à  stock fixe. BasĂ©e sur une technologie blockchain, les bases de donnĂ©es enregistrant les transactions sont cryptĂ©es, et recopiĂ©es sur des ordinateurs multiples du rĂ©seau. Il devient ainsi impossible de falsifier des opĂ©rations (en truquant un registre), puisque toutes les autres copies du registre montreront la fraude. Par ailleurs, dĂšs sa crĂ©ation, le stock de Bitcoins a Ă©tĂ© fixĂ© à  21 millions, sans possibilitĂ© d’en crĂ©er de nouveaux. On est proche du stock d’or, mais en plus « dur » en terme de ratio stock / flux (on peut extraire – difficilement – de nouvelles – petites – quantitĂ©s d’or, mais on ne peut pas crĂ©er de nouveaux Bitcoins). En plein dans la filiation de l’Ă©cole autrichienne, c’est donc une monnaie à  l’abri (presque) des agissements des hommes de l’Etat, ou des banques centrales, et donc des manipulations arbitraires de sa valeur. D’oĂč sa soliditĂ© et sa montĂ©e en puissance, notamment dans les pays oĂč les monnaies sont trĂšs volatiles, et/ou les systĂšmes bancaires sont absents ou dĂ©faillants. Ainsi, 30% des nigĂ©rians, par exemple, ont dĂ©jà  utilisĂ© des cryptomonnaies. Nous aurions tout intĂ©rĂȘt, collectivement, à  faire progresser l’usage de Bitcoin pour le rendre plus viable, et moins susceptible de se faire rĂ©cupĂ©rer/descendre par les Etats.

    Livre pratique et synthétique

    Je vous recommande vivement ce livre, trĂšs riche en ressources, liens et rĂ©fĂ©rences. Et trĂšs pĂ©dagogique. Il se termine sur des conseils d’investissements, et sur les outils, ce que je cherchais. Passionnant univers que ces cryptomonnaies, et passionnante progression depuis les dĂ©buts en 2008-2009. A ce jour, plus de 500 milliards de dollars sont capitalisĂ©s en Bitcoins ! A nous de jouer, pour retrouver, en partie, une souverainetĂ© monĂ©taire individuelle.

  • Histoire de France

    Histoire de France

    ProphĂšte, mais pas que…

    Si vous aimez l’histoire, et l’histoire de France, alors il faut vous prĂ©cipiter sur l’Histoire de France de Jacques Bainville. Il est souvent prĂ©sentĂ© comme celui qui avait « prophĂ©tisé », en 1920, la seconde guerre mondiale, par des considĂ©rations tout à  fait justes sur l’histoire croisĂ©e de la France et de l’Allemagne, et sur le TraitĂ© de Versailles (Les consĂ©quences politiques de la paix). Je ne goute guĂšre les « prophĂ©ties ». EncensĂ©es quand elles ont Ă©tĂ© justes, on oublie rapidement de parler de toutes celles que ne se sont avĂ©rĂ©es ĂȘtre que des foutaises. Il est normal de louer la pertinence de l’analyse de Bainville, mais je trouve qu’il mĂ©rite aussi d’ĂȘtre saluĂ© comme un historien exceptionnel, et une trĂšs belle plume.

    Histoire de France synthétique

    Bainville le dit trĂšs bien dans l’avant-propos (à  lire pour lui-mĂȘme) de son Histoire de France :

    Nous n’avons pas tentĂ© une oeuvre originale : on peut Ă©claircir l’histoire, on ne la renouvelle pas. Nous n’avons pas non plus soutenu de thĂšse. Nous nous sommes efforcĂ© de montrer comment les choses s’étaient produites, quelles consĂ©quences en Ă©taient rĂ©sultĂ©es, pourquoi, à  tel moment, telle dĂ©cision avait Ă©tĂ© prise plutĂŽt que telle autre. Ce qu’on dĂ©couvre, au bout de cette analyse, c’est qu’il n’est pas facile de conduire les peuples, qu’il n’est pas facile non plus de fonder et de conserver un État comme l’État français, et l’on en garde, en dĂ©finitive, beaucoup d’indulgence pour les gouvernements.

    Peut-ĂȘtre ce sentiment est-il la garantie de notre impartialitĂ©. Mais comment serions-nous de parti pris puisque notre objet est de prĂ©senter dans leur enchaĂźnement les Ă©vĂ©nements de notre histoire ? Nous ne pouvons la juger que par ses rĂ©sultats. Et, comparant notre condition à  celle de nos ancĂȘtres, nous sommes amenĂ©s à  nous dire que le peuple français doit s’estimer heureux quand il vit dans la paix et dans l’ordre, quand il n’est pas envahi et ravagĂ©, quand il Ă©chappe aux guerres de destruction et à  ces guerres civiles, non moins redoutables, qui, au cours des siĂšcles, ne l’ont pas Ă©pargnĂ©.

    Cette conception de l’histoire est simple. C’est celle du bon sens. Pourquoi juger la vie d’un pays d’aprĂšs d’autres rĂšgles que celle d’une famille ? On peut Ă©crire l’histoire à  bien des points de vue. Il nous semble que l’accord gĂ©nĂ©ral peut s’établir sur celui-là .

    Les Ă©lĂ©ments d’un tel livre se trouvent partout. On demandera seulement s’il est possible, en cinq cents pages, de raconter, d’une maniĂšre à  peu prĂšs complĂšte, deux mille ans d’histoire de France. Nous rĂ©pondons hardiment : oui. La tĂąche de l’historien consiste essentiellement à  abrĂ©ger. S’il n’abrĂ©geait pas, — et la remarque n’est pas nouvelle, — il faudrait autant de temps pour raconter l’histoire qu’elle en a mis à  se faire. Toutefois chaque gĂ©nĂ©ration a une tendance naturelle à  donner plus d’importance à  la pĂ©riode contemporaine qu’aux temps plus reculĂ©s. C’est la preuve que de grandes quantitĂ©s de souvenirs tombent en route. Au bout de quatre ou cinq cents ans, on commence à  ne plus guĂšre apercevoir que les sommets et il semble que les annĂ©es aient coulĂ© jadis beaucoup plus vite que naguĂšre. Nous avons tĂąchĂ© de maintenir une juste proportion entre les Ă©poques, et, pour la plus rĂ©cente, puisque cette histoire va jusqu’à  nos jours, de dĂ©gager les grandes lignes que l’avenir, peut-ĂȘtre, retiendra.

    Et il rĂ©ussit cet effort de maniĂšre magistrale. Les chapitres sont courts, denses, et le fil de la narration est simple à  suivre. Il s’agit vraiment d’une histoire de France, et non d’une histoire des Ă©vĂšnements en France. Bainville raconte l’histoire de la nation française, de la royautĂ© bien sĂ»r, mais de l’Etat aussi, des frontiĂšres. Cette vision « narrative » de l’histoire de France me parle beaucoup, et j’aurais aimĂ© dĂ©couvrir Bainville au LycĂ©e, car cela m’aurait certainement donnĂ© plus de goĂ»t pour l’histoire. Il est bon de prĂ©ciser que cet effort de synthĂšse repose sur une trĂšs grande Ă©rudition : il est clair que Bainville a beaucoup lu, et chacun des chapitres montre une vue trĂšs globale du sujet. Les jeux d’alliance entre les grands d’Europe, au fil du temps et des circonstances, sont remarquablement dĂ©crits, et certains mĂ©canismes politiques rĂ©currents aussi. Le lien permanent entre gĂ©ographie et politique, par exemple est un des fils conducteurs du livre. Il s’agit, pour le dire simplement, d’un grand classique d’histoire, mais aussi de gĂ©opolitique. A mettre en bonne place dans la bibliothĂšque de tout honnĂȘte Homme.

  • A contre-courant

    A contre-courant

    J’ai commandĂ© l’essai d’Isaiah Berlin, « A contre-courant », aprĂšs avoir lu le bouquin de Vargas Llosa, « L’appel de la tribu« . Il parlait de Berlin comme d’un grand intellectuel, d’une grande honnĂȘtetĂ©, et sa vie digne d’un roman attisait encore un peu plus la curiositĂ©. Je n’ai pas Ă©tĂ© déçu.

    Berlin, magistral historien des idées

    Berlin Ă©tait effectivement un grand intellectuel, à  en juger par les textes regroupĂ©s dans « A contre-courant. Essais sur l’histoire des idĂ©es. » Berlin passe en revue des auteurs variĂ©s, en soulignant à  chaque fois pourquoi ils Ă©taient « à  contre-courant » de certains paradigmes ou dogmes de leur Ă©poque. Notamment des penseurs anti-rationalistes ou des contre-lumiĂšres.
    Si l’on devait rĂ©sumer l’approche et l’attitude d’Isaiah Berlin en quelques mots clefs, je dirai qu’il est :

    • rigoureux et Ă©rudit : tel un chercheur, cet historien des idĂ©es fait preuve d’une rigueur impressionnante dans ses analyses, d’une grande objectivitĂ© Ă©galement. Il est par ailleurs extrĂȘmement Ă©rudit, et la somme de rĂ©fĂ©rences citĂ©es pour chaque petit chapitre laisse songeur. Quel travail !
    • adogmatique et pluraliste : plus qu’objectif comme je l’Ă©crivais, Berlin sait se glisser dans la pensĂ©e et la vie des auteurs qu’il Ă©tudie. Il ne s’occupe pas de chercher un accord entre ses propres idĂ©es et celles des auteurs, mais à  Ă©clairer comment leur pensĂ©e, complexe, souvent moins cohĂ©rente que celle, plus systĂ©mique, des LumiĂšres, parvient nĂ©anmoins à  Ă©clairer et à  apporter à  l’humanitĂ©. Un vrai pluralisme philosophique.

    L’exemple de Machiavel

    J’ai Ă©tĂ© particuliĂšrement impressionnĂ© par le chapitre sur Machiavel, que je connais un peu. Comme dans une enquĂȘte, Berlin cherche pourquoi Machiavel est toujours aussi mystĂ©rieux, commentĂ©, et suscite autant d’interprĂ©tations diffĂ©rentes. Il contredit la version classiquement dĂ©fendue, à  savoir que Machiavel aurait sĂ©parĂ© la morale de la politique, ce qui en ferait un auteur sulfureux. Preuve à  l’appui, auteurs nombreux à  l’appui, il montre qu’une autre hypothĂšse est plus probable. Loin d’ĂȘtre un auteur a-moral, Machiavel a « simplement », sans en faire mention explicitement, construit son oeuvre sur une morale diffĂ©rente de la morale chrĂ©tienne dominante à  son Ă©poque. Machiavel tient des raisonnements appuyĂ©s sur une morale paĂŻenne, prĂ©-chrĂ©tienne, et c’est probablement ce qui a choquĂ© et continue de choquer les lecteurs.

    Machiavel institue une opposition (…) entre deux façons de concevoir la vie, et par consĂ©quent entre deux morales. L’une est la morale du monde paĂŻen : les valeurs essentielles sont le courage, l’Ă©nergie, la force d’Ăąme devant l’adversitĂ©, la rĂ©ussite dans les affaires publiques, l’ordre, la discipline, le bonheur, la force, la justice. l’important, surtout, est d’affirmer ses revendications lĂ©gitimes, et de disposer d’un pouvoir et de connaissances suffisants pour pouvoir les satisfaire. (…) Machiavel y voit les meilleurs moments de l’humanitĂ©, et, en bon humaniste de la Renaissance, souhaite les faire revivre. Face à  cet univers moral (…), on trouve, d’abord et avant tout, la morale chrĂ©tienne. L’idĂ©al chrĂ©tien met au premier plan la charitĂ©, la misĂ©ricorde, le sacrifice, l’amour de Dieu, le pardon accordĂ© aux ennemis, le mĂ©pris des biens de ce monde, la foi dans la vie future. Les chrĂ©tiens croient au salut de l’Ăąme individuelle, qui possĂšde, à  leurs yeux, une valeur infinie, qui est bien plus importante en tout cas que l’objectif politique ou social, ou tout autre objectif terrestre, quel qu’il soit, sans aucune commune mesure avec des considĂ©rations d’ordre Ă©conomique, militaire ou esthĂ©tiques quelconques.

    Comme le dit trÚs bien Berlin, à  la fin de ce chapitre trÚs dense et passionnant :

    L’Ă©thique de Machiavel, comme celle d’Aristote et de CicĂ©ron, est une Ă©thique sociale et non individuelle.

    A contre-courant

    Comme le dit trĂšs bien Roger Hausheer (spĂ©cialiste de Berlin), qui prĂ©face le livre, Berlin est aussi à  contre-courant parce qu’il va chercher des auteurs parfois peu connus, et parce qu’il a identifiĂ© qu’ils ont, d’une maniĂšre ou d’une autre, par leurs pensĂ©es « à  contre-courant » de leur Ă©poque, enrichi, prĂ©figurĂ©, rendu possible les Ă©volutions futures de divers courants de pensĂ©e. Et donnĂ© à  voir, à  penser, une maniĂšre d’ĂȘtre « humain » qui sans ĂȘtre nĂ©cessairement celle qui est la nĂŽtre, vient l’enrichir de reflets nouveaux, complĂ©mentaires, indispensables. Ainsi, nous suivons, de maniĂšre passionnante et toujours enrichie d’Ă©lĂ©ments de biographies forts utiles, des Ă©lĂ©ments de pensĂ©e de Vico, Hamann, Herzen, Sorel ou une rĂ©flexion sur Verdi, basĂ©e sur la pensĂ©e de Schiller. Et quelques autres plus connus que sont Montesquieu, Machiavel et Hume. Pour terminer, le mot de la fin de la prĂ©face d’Hausheer me parait bien rĂ©sumer l’attitude et la musique qui se dĂ©gage des essais de Berlin regroupĂ©s dans « A contre-courant » :

    Si l’on peut attribuer à  Berlin une ontologie, elle consisterait à  dire que ce qui existe de la façon la plus incontestable, et dont nous avons la connaissance la plus directe et la moins criticable, ce sont les ĂȘtres humains, placĂ©s dans une conjoncture historique donnĂ©e – nous-mĂȘmes et les autres, c’est-à -dire des hommes concrets, individuels, uniques, autonomes, libres et responsables à  des degrĂ©s divers. Nous avons une vie intĂ©rieure, faite de pensĂ©es, de sentiments, d’Ă©motions, nous formulons consciemment des principes et des buts, et nous nous efforçons de nous y conformer dans nos activitĂ©s extĂ©rieures. Vouloir rĂ©duire ces rĂ©alitĂ©s aux lois et aux catĂ©gories des sciences de la nature, moins intelligibles parce que purement causales ou statistiques – ou vouloir les transformer, ce qui ne vaut pas mieux, en Ă©lĂ©ments fonctionnels dans le cadre d’un systĂšme abstrait quelconque, mĂ©taphysique, tĂ©lĂ©ologique, ou mĂ©canique – mĂȘme si la tĂąche diabolique, humaine, ou divine, que l’on s’est fixĂ©e, en devient plus facile, c’est vouloir nier, en fin de compte, ces vĂ©ritĂ©s, les plus immĂ©diates, les plus frappantes, que tous les hommes connaissent au sujet d’eux-mĂȘmes. Bien souvent, on finit par s’en prendre à  ces vĂ©ritĂ©s mĂȘmes, qu’on enferme, qu’on Ă©touffe, qu’on mutile, avec les consĂ©quences que l’on sait, et qui apparaissent avec Ă©vidence dans les essais (d’Isaiah Berlin). (…) Des voies diffĂ©rentes, qui toutes permettent à  l’homme de s’acheminer vers sa pleine rĂ©alisation, peuvent se croiser et se bloquer rĂ©ciproquement. Des entitĂ©s d’une valeur intrinsĂšque ou d’une beautĂ© inestimables autour desquelles un individu ou une civilisation pourraient vouloir construire tout un genre de vie, se trouvent engagĂ©es dans des conflits mortels. L’issue en est, forcĂ©ment, l’Ă©limination d’un des protagonistes, et donc une perte absolue et irrĂ©mĂ©diable. La tendance gĂ©nĂ©rale des Ă©crits de Berlin est de souligner et de creuser cette idĂ©e de conflit et de perte inĂ©vitables, pour mieux faire ressentir la nĂ©cessitĂ© des choix absolus. Il a mis à  mal ces visions, gĂ©nĂ©ratrices d’harmonie et de tranquillitĂ©, qui, certes, attĂ©nuent la souffrance et les causes de tension, mais qui, en mĂȘme temps, sapent la vitalitĂ© et l’Ă©nergie des hommes, et leur font oublier ce qu’ils ont d’essentiellement humain. Sans cesse, il nous rappelle au sentiment de la libertĂ© et de la responsabilitĂ© qui sont les nĂŽtres. Lorsqu’on rassemble ses Ă©crits, dispersĂ©s dans tant de revues et de pĂ©riodiques souvent inaccessibles, on se trouve devant un des exposĂ©s les plus complets, les plus convaincants, les plus impressionnants et les plus satisfaisants qui aient jamais Ă©tĂ© fait de la conception intĂ©gralement libĂ©rale et humaniste de l’homme et de la condition humaine.C’est pourquoi ils mĂ©ritent d’ĂȘtre mis à  la disposition des hommes de notre temps.
  • Je suis le prix de votre libertĂ©

    Je suis le prix de votre liberté

    J’ai achetĂ© ce livre, « Je suis le prix de votre liberté », pour faire un acte de soutien. J’avais suivi de prĂšs, effarĂ© mais pas surpris, l’affaire Mila. Je ne regrette pas, car c’est un beau livre, Ă©crit par une personnalitĂ© surprenante. Claire, pudique, Ă©mouvante à  force d’ĂȘtre digne, courageuse et solide. Comme un diamant. C’est un livre qui va a l’essentiel.

    La tristement célÚbre « affaire Mila »

    Pour ceux qui ne connaissent cette affaire, elle se rĂ©sume en quelques lignes : Mila, une adolescente trĂšs utilisatrice de rĂ©seaux sociaux, se retrouve prise à  partie par des musulmans haineux en ligne. Courageusement, elle ne se laisse pas faire et leur rĂ©ponds par une vidĂ©o – provoquante mais qui rĂ©pondait à  des menaces de viol ! – « Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul. Merci, au revoir ». DĂ©chainement de violence, menaces de morts, de viols par milliers, plaintes multiples : Mila se retrouve malgrĂ© elle au coeur d’un Maelstrà¶m qui bouleverse sa vie. Elle vit, depuis, une vie en demi-teinte, sous protection policiĂšre, obligĂ©e de se dĂ©guiser pour ne pas ĂȘtre reconnue. Insupportable histoire oĂč la victime voit sa vie s’effondrer mais oĂč la meute reste libre de continuer à  hurler. Insupportable histoire qui rĂ©vĂšle la lĂąchetĂ© d’une grande partie de la population, dĂ©jà  prise à  la gorge par la peur soigneusement installĂ©e par les coupeurs de langues et les coupeurs de tĂȘtes.

    Dignité et lucidité

    Le livre se dĂ©vore en quelques minutes. Il glace le sang et laisse pantois, effrayĂ©. Il donne aussi de l’espoir, car l’effort de Mila et de sa famille, soutenus par le remarquable Richard Malka, pour tenter de retrouver une vie, est d’une grande dignitĂ©. Mila, dans ce livre trĂšs personnel, se donne aussi des marges de manoeuvres pour parler un peu d’autre chose. Elle reste trĂšs lucide sur la situation. J’en pleure de rage, de honte, de peur pour mes enfants, qu’une telle situation soit possible en France, qu’on ait laissĂ© les choses aller aussi loin dans le dĂ©ni, la lĂąchetĂ© et l’impuissance. Toujours le mĂȘme mĂ©lange rĂ©pugnant de conformisme, de peur, de manque d’exercice de la libertĂ© d’expression. De rejet du rĂ©el.

    La réalité de la menace islamiste

    Quel est ce rĂ©el – que Mila s’est pris en pleine tronche, avec une violence inouĂŻe – que le prechi-precha politiquement correct ne souhaite plus aborder ? Il est qualitatif et quantitatif. Qualitatif : Nous sommes en guerre. Pas parce que nous aimons la guerre, mais parce que nous sommes attaquĂ©s. L’islam radical, politique, est une idĂ©ologie guerriĂšre et totalitaire. Nous l’avons laissĂ© se developper sur notre sol, et gangrener les esprits et les quartiers. Faire comme si nous n’Ă©tions pas en guerre, c’est le premier renoncement, qualitatif. Ce que l’affaire Mila rĂ©vĂšle aussi c’est l’aspect quantitatif : ils sont lĂ©gions, parmi les jeunes musulmans français, ceux qui trouvent normal d’ĂȘtre homophobe ou antisĂ©mite, et de menacer ceux qui osent critiquer leur religion. Contrairement à  ce que veulent bien nous servir les mĂ©dias en guise de berceuse, ce n’est pas une minoritĂ©. L’ampleur de la vague de haine que Mila a subie montre que si c’est une minoritĂ©, elle est loin d’ĂȘtre faible. En creux, elle permet de voir, parmi les amis de l’Ă©poque de Mila, que le nombre de personnes prĂȘtes à  soutenir une amie contre le dĂ©chainement est trĂšs faible. La peur, le conformisme, ont fait le vide autour de Mila. Cela a renforcĂ© sa souffrance et sa peine. AttaquĂ©e d’un cĂŽtĂ© par des imbĂ©ciles haineux, et lĂąchĂ©e de l’autre par des couards conformistes.

    Soutenons tous Mila !

    J’ai Ă©tĂ© sĂ©duit et dĂ©rangĂ© par ce petit livre. Il est d’une grande simplicitĂ© et maturitĂ©. Il mĂ©rite un dĂ©tour, et du soutien. Mila mĂ©rite tout notre soutien, sans l’ombre d’une rĂ©serve. La rĂ©action de Mila, et la suite de son parcours, et ce livre, sont un cri contre l’injustice. C’est l’esprit de justice, et non la colĂšre, qui anime Mila. Je ne peux pas me retenir de vous partager la conclusion que j’ai trouvĂ©, à  l’image du livre et de Mila, et de sa situation, belle à  pleurer, que dis-je, à  sourire :

    Vous parler de cette maniĂšre m’a follement soulagĂ©e. J’ai l’impression que vous arrivez à  me comprendre sans mĂȘme me regarder dans les yeux en ce moment mĂȘme. Ressentez-moi, et souriez-moi. Je ne veux voir personne pleurer à  cause de ce qu’on m’a fait. J’ai simplement besoin qu’on me fasse honneur de cette maniĂšre, parce que le sourire est la meilleure rĂ©ponse à  l’obscurantisme. Ils ne cesseront de me harceler que quand je serai morte. Je pense mĂȘme qu’ils s’en prendront à  tout ce qui peut me ressembler lorsque je ne serai plus là , parce qu’ils chercheront toujours un os à  ronger.
    Moi, je suis condamndĂ©e à  payer le prix de ma libertĂ©. Si une si grande partie de ce peuple a Ă©tĂ© lĂąche et qu’il n’a pas pu me sauver, alors qu’il se ressaisisse un jour et qu’il trouve la force de s’Ă©lever pour se battre. Je veux donner toute mon Ă©nergie, toute la magie qu’il y a encore en moi pour qu’il n’y ait plus jamais une autre Mila.
    J’ai maintenant 18 ans, et je prends aujourd’hui mon indĂ©pendance, sans savoir de quoi sera fait demain.
    Je veux juste un avenir.
    Toutes mes amitiĂ©s à  celles et ceux qui sont avec moi jusqu’ici. Nous sommes merveilleux.