Catégorie : 📚 Livres

  • Ce que le monde doit au protestantisme

    Ce que le monde doit au protestantisme

    Le livre de Jean Robin « Ce que le monde doit au protestantisme » est un drôle d’objet : mal édité, écrit en grande partie par ChatGPT, volontiers simpliste, il n’en est pas moins intéressant dans son propos. La thèse en est simple : si l’Occident a vu naître en son sein un certain nombre de grands progrès pour l’humanité, il le doit en grande partie à la réforme protestante qui a permis, encouragé, et soutenu l’essor des sciences et de la liberté, de la démocratie et de la tolérance.
    Or, comme nous allons le constater, il y a un avant et un après la Réforme protestante, dans quasiment tous les domaines qui comptent. Donc certes, le protestantisme n’est pas le début de l’histoire, et les protestants se sont appuyés sur des connaissances, des sagesses et des savoirs qui les précédaient. Mais le bond gigantesque que le protestantisme a permis comme aucune autre croyance auparavant, et comme aucune autre croyance depuis, en fait une spécificité qui la distingue de toutes les autres croyances qui existent dans l’univers, y compris l’athéisme (qui n’est pas une croyance mais un système de pensée). C’est parce que cette spécificité a été niée jusqu’à présent qu’il convient de lire ce livre avec raison et ouverture d’esprit, que vous soyez protestant ou pas.

    Mal foutu

    La thèse est connue (Jean Robin cite d’ailleurs un certains nombres d’auteurs qui ont mis en avant cette idée … ), et l’effort de l’auteur consiste ici à lister, dans différents domaines (sciences, technologies, philosophie, politique, arts & littérature, etc.), les créateurs majeurs protestants, ou qui ont baigné dans un monde protestant.
    Le texte de Jean Robin est très court, convaincant, et volontairement partial (ce qui du coup n’amène pas beaucoup de possibilités de discussions). Les parties écrites avec ChatGPT sont fastidieuses à lire, et le côté « liste » est vraiment dissuasif.
    J’avais en tête que ce serait un ouvrage philosophique, ou un éclairage sur l’histoire des idées, mais ce n’est pas cela. C’est une recension assez complète, et unique ?, de tous les génies protestants.

    Intéressant quand même

    Mais cela reste une somme intéressante : d’une part certains auteurs mentionnent tous ces créateurs/inventeurs sans jamais expliciter le fond protestant dans lequel ils ont baignés (notamment Yuval Noah Harari), et d’autre part les listes d’auteurs importants par domaines sont utiles, et la présence dans chaque chapitre de citations assez nombreuses me sera très utile pour ma collection.

    Un étrange objet donc, pas inutile, mais très perfectible dans sa forme.

  • La Révolution racialiste

    La Révolution racialiste

    Mathieu Bock-côté signe avec « La Révolution racialiste » un bel essai, sans appel, sur le wokisme et d’autres virus idéologiques (comme il les nomme très justement). Le problème avec Bock-Côté, c’est que j’écoute son émission chaque semaine en podcast : j’ai donc déjà entendu ses raisonnements toujours justes et équilibrés, percutants sans être caricaturaux. Le livre ne m’apporte pas tant que ça du coup. Mais si vous ne savez pas ce qu’est le wokisme, ou le racialisme, et si vous voulez le découvrir dans le détail ce livre est pour vous.

    Documenté et honnête

    Bock-côté, à l’instar d’un Finkielkraut, connaît ses adversaires, les lit, les comprend et analyse leur manière de raisonner. Jusqu’à la nausée parfois, car dans le livre, l’auteur cite abondamment les cinglés manipulateurs qui sont les porteurs de cette idéologie dangereuse. Le quatrième de couverture le dit bien :
    On ne saurait segmenter une société sur une base raciale sans condamner chaque groupe à s’enfermer dans sa couleur de peau, qui devient dès lors l’ultime frontière au coeur de la vie sociale.
    La vision racialiste, qui pervertit l’idée même d’intégration et terrorise par ses exigences les médias et les acteurs de la vie intellectuelle, sociale et politique, s’est échappée de l’université américaine il y a vingt ans. Et la voilà qui se répand au Canada, au Québec et maintenant en France.
    Elle déboulonne des statues, pulvérisant la conscience historique, elle interdit de parler d’un sujet si vous n’êtes pas héritier d’une culture, et vous somme de vous excuser « d’être blanc », signe de culpabilité pour l’éternité. Le racialisme sépare et exclut, n’apporte pas de libertés qui qu’en disent ses hérauts, et, plus dangereux, modélise une manière de penser le monde.

    Dis de manière plus directe : les woke sont des gros racistes anti-blancs. Toute la misère vient des blancs, seuls responsables de tous les maux. Tout cela serait ridicule, et risible, si une partie des gens n’y prêtaient pas le flanc, soucieux de surtout, surtout, ne pas paraître racistes. Affligeant en 2023 : ce qui pouvait se comprendre dans les années 1980, il y a quarante ans, est franchement un signe de véritable connerie, et de manque de structure intellectuelle.

    Egalitarisme radical et contre-universalisme

    Derrière cette soupe idéologique, on retrouve à nouveau une logique égalitariste radicale (prête à couper des têtes pour que toutes fassent la même taille), et dans le même mouvement une négation de l’universalisme (qui ne serait qu’une forme de racisme déguisé).
    Tout cela est bien inquiétant : cela confirme le constat que ceux qui ont le pouvoir sont soit cinglés, soit suffisamment manipulateurs pour surfer sur de telles inepties pour garder le pouvoir. En trahissant l’intérêt du peuple. Un petit extrait pour finir, mais ce livre, en confirmant ce que l’on voit, énerve par la justesse de son constat, et confirme la léthargie de la population française, qui se laisse, sur ce sujet comme sur d’autres, malmener.
    La société occidentale est engagée dans une dialectique mortifère : le « développement de la puissance politique indigène » est indissociable de la soumission des élites, fascinées et effrayées par l’agressivité décomplexée de ceux qu’elle voit comme les nouveaux damnés de la terre. Si le décolonialisme ne représente évidemment pas l’opinion dominante chez les populations associées à la « diversité », on ne fera pas l’erreur d’oublier que ce sont les minorités idéologiques les plus résolues qui font l’histoire.
    On rencontre le paradoxe multiculturaliste : souvent, ceux qui revendiquent leur identité de « racisés » sur un mode militant refusent d’être renvoyés à leurs origines mais ne cessent de les brandir. Le régime diversitaire et l’idéologie multiculturaliste favorisent l’exacerbation de l’identité d’origine en décourageant l’intégration substantielle ou l’assimilation.

  • La dernière avant-garde

    La dernière avant-garde

    Romaric Sangars est écrivain, essayiste et rédacteur en chef de l’excellente section Culture du magazine L’incorrect. J’ai eu la chance d’aller faire dédicacer son dernier ouvrage, « La dernière avant-garde » dans la librairie Philippe Brunet (et de passer une bien bonne soirée ensuite avec la bande de l’Inco). Je lui ai dit que je le trouve « bouleversant », et c’est ce que je pense. Je lui ai dit aussi que je trouve qu’il est un très grand passeur de symboles et de sens. Je vais essayer d’expliquer cela. En précisant en préambule que le style de Romaric Sangars, flamboyant, lyrique et romantique, précis également, est vraiment très agréable, avec les accents d’un auteur qui mêlerait Chateaubriand avec Philippe Muray. Un régal !

    S’appuyer sur le Christianisme et les cisterciens

    Le sous-titre le dit (Le Christ ou le Néant) : il s’agit pour Romaric Sangars de puiser dans les racines chrétiennes de l’Occident pour retrouver du ressort et faire revivre notre monde décadent, en lui réinsufflant désir, passion, goût du défi, projection vers l’avenir. Ce qui est passionnant, dans cet essai, c’est que le sujet est traité par le biais du prisme de l’art et de son histoire. Que nous dit l’art sur l’état de notre société ?
    L’auteur revient sur un moment particulier de l’histoire, chez les Cisterciens, avec Bernard de Clairvaux11. Bernard de Fontaine, abbé de Clairvaux, né en 1090 à Fontaine-lès-Dijon et mort le 20 août 1153 à l’abbaye de Clairvaux, est un moine bourguignon, réformateur de la vie religieuse catholique.. Il explicite en quoi, spirituellement, philosophiquement, ce moment a constitué un tournant majeur en Occident : Bernard de Clairvaux (et les cisterciens) ont re-interprété et donné une nouvelle perspective, humaniste, au symbole du Christ, et de l’incarnation. Parvenant à joindre les contraires dans un même symbole, faisant tenir les opposés en équilibre, la croix montre qu’il faut penser le corps spirituellement et l’esprit de manière charnelle :
    Ni simple matière, ni signe transparent, le corps crucifié renverse sa signification par une transmutation spirituelle. Le corps est un signe, mais un signe crypté, à traduire. Parallèlement, l’esprit est quelque chose qui s’incarne. Toute la spiritualité chrétienne est fondée sur cette permutation […].
    Pour sortir du dualisme, et pour réintégrer dans la pensée et dans l’art une visée qui sans nier le réel cherche à le transfigurer. Pour Romaric, les deux fruits de la crucifixion, symboliquement, sont « le réalisme transfigurateur et le déploiement de la personne ». C’est ce qu’a apporté Bernard de Clairvaux avec le « troisième avènement ». Le troisième avènement, c’est le Christ qui s’incarne en chacun de nous. Bernard a rêvé cela, et l’a traduit dans sa spiritualité en l’étendant à chaque être humain.
    Passant de l’universel à une personne précise et de l’absolu au relatif, le processus de l’incarnation venait de franchir un nouveau degré dans l’Histoire humaine en intégrant une articulation inédite. C’était désormais un phénomène aux échos infinis qui pouvait se répliquer en chacun, n’importe où, à n’importe quelle époque, et cette nouvelle interprétation de la kénose22. La kénose est une notion de théologie chrétienne qui signifie que Dieu se dépouille de certains attributs de sa divinité., son actualisation intime, Bernard allait la nommer « troisième avènement », ou « avènement intermédiaire ». Cet avènement intermédiaire, voilà ce qui allait nous offrir un destin. Ce qui avait lieu dans la grande Histoire sacrée avait désormais un reflet dans l’humilité de nos brèves existences. De là, des possibilités narratives jusqu’alors inconnues à l’humanité. De là, l’intérêt inédit, du moins à ce niveau, de représenter un visage singulier, un paysage réel, une aventure personnelle, alors que l’Esprit divin pouvait y reluire, justifiant tous ces sujets jugés autrefois dérisoires, mettant à disposition des artistes l’entièreté du monde créé.
    Il y a énormément d’autres choses passionnantes dans ce remarquable essai, que je relirai. Je n’avais à vrai dire jamais eu une explication si claire et si directe de la symbolique du Christ sur sa croix. Et un éclairage aussi limpide sur les implication philosophiques du Christianisme… à part dans Nemo.

    Le pendant charnel et sensible de Philippe Nemo

    Je ne peux pas faire d’éloge plus direct et plus sincère pour saluer cet essai : il résonne de toutes part avec l’excellent livre de Philippe Nemo « Qu’est-ce que l’Occident ?« . Nemo revenait sur chacun de ce qu’il appelle les 5 miracles de l’Occident, et notamment : la « Révolution papale » des XIe-XIIIe siècles, qui a choisi d’utiliser la raison de la science grecque et du droit romain pour l’inscrire dans l’histoire éthique et eschatologique bibliques, réalisant ainsi la première véritable synthèse entre « Athènes », « Rome » et « Jérusalem » ».
    Il y est question de l’énorme travail mis en branle par Grégoire VII, et les moines. On découvre aussi, dans Nemo, comment les réflexions, à la même époque que Bernard de Clairvaux, d’un Saint Anselme33. Anselme de Cantorbéry (en latin : Anselmus Cantuariensis), connu comme le « Docteur magnifique » (Doctor magnificus), est un moine bénédictin italien né à Aoste (Italie) en 1033 ou 1034 et mort à Cantorbéry (Angleterre) le 21 avril 1109. impulsent une bascule profonde dans la manière de considérer nos péchés, notre salut, et la valeur de notre action individuelle. Il s’agit de l’invention de la responsabilité (ni plus, ni moins) donc de la liberté :
    Résumons l’argument. La justice requiert que l’homme fournisse réparation du péché originel. Mais il ne le peut. Dieu le peut, mais il ne le doit pas. C’est pourquoi le rachat ne peut être accompli que par un homme-dieu, seul être qui, tout à la fois, le doive et le puisse. D’où l’Incarnation et la Croix. Or, celles-ci étant survenues, la question désespérante de la disproportion entre faute et salut est résolue. Le Christ, en effet, expie alors qu’il est totalement innocent ; il gagne, de ce fait, un excédent infini de mérites – un « trésor de mérites surérogatoires », comme on dira plus tard – désormais disponible pour abonder la dette infinie résultant du péché de l’homme. Ainsi, le salut n’est plus une simple perspective. La grâce de Dieu a été donnée. L’humanité est d’ores et déjà sauvée par le sacrifice du Christ. De cette doctrine anselmienne de l’expiation résultait implicitement un changement de perspective quant à la valeur de l’action humaine. Si le « péché originel » a été intégralement racheté, il ne reste plus alors à chaque homme qu’à racheter les « péchés actuels » accomplis pendant sa propre vie et dont il est individuellement responsable. […] Dans ce schéma, l’action humaine retrouve un sens, puisque, désormais, toute action humaine, quoique finie, compte dans le bilan. Quoi que fasse chacun, en bien ou en mal, cela importe réellement.
    Voilà qui complète l’éclairage de la symbolique de la crucifixion d’une autre manière.

    Le mot de la fin

    Vous pouvez aller écouter/voir Romaric parler de son livre chez Lignes Droites, ou lire son interview dans les pages de L’incorrect. Mais je lui laisse ici le mot de la fin. Cette foi dans la possibilité de perpétuer la lumière divine dans l’humain, exprimée avec force, et beauté, je la partage.
    Alors certes, la civilisation née du christianisme, poursuivie sous la forme profane et désormais dépassée de la « modernité occidentale », après s’être globalisée, est aujourd’hui en pleine crise. Pour autant, les vérités spirituelles dont cette civilisation s’est faite le véhicule avant de les dévoyer, ces vérités-là sont inarrêtables. Après leur manifestation, tout se trouve à jamais troué d’infini. A nous rendre fou, à nous faire totalement dérailler, à nous faire regretter l’ancien esclavage tant le vertige nous parait insoutenable. Comment assumer une telle liberté et une telle exigence que celles qu’a délivrées le Christ ? Comment supporter une telle dignité et ce à quoi elle nous oblige ? Et comme il est plus rassurant d’aller se terrer parmi les mammifères ou de se muer en zombie fanatique.
    Les anciens cycles ayant été définitivement débordés, la posture d’avant-garde ne se révèlera par conséquent jamais ni dépassée ni caduque, du moment qu’on ne se trompe pas de champ d’action. Il n’y a qu’un contexte plus ou moins opaque, qu’un rétrécissement temporaire sur la voie majeure, mais une seule ligne et aucune recommencement.
    La lumière lui quelle que soit l’épaisseur des ténèbres ; quelle que soit l’épaisseur des ténèbres, la lumière poursuit sa course. Et tout au long de sa course, afin de se révéler, la lumière réclame de pouvoir atteindre de nouvelles beautés. Car du point de vue du dieu que nous portons en nous, et qui s’incarne : c’est la beauté qui justifie la lumière. Que les nihilistes se déchaînent par leurres ou par balles, qu’enragent les iconoclastes, que se révoltent les somnolents, mais beaucoup de beautés nouvelles, encore, manquent à la lumière.
    Nous n’en avons pas fini.

  • L’Empire du Bien

    L’Empire du Bien

    Cela faisait un moment que l’Empire du Bien, de Philippe Muray, était dans ma pile. Sacré plume, incisive, avec un sens de la formule incroyable, et surtout quel contenu ! L’auteur y décrit notre monde avec un regard plus que critique : il déteste ce qu’est en train de devenir l’Occident. Refusant de voir le Mal, tentant de l’occulter, évacuant la réalité de la condition humaine (mort, solitude, absurde et liberté), ses contemporains (qu’il a décrit ailleurs comme des « homo festivus », et qu’il décrit dans l’Empire du Bien comme des « cordicolâtre » – adorateur du coeur, des bons sentiments) lui donnent visiblement une franche nausée.

    Incroyable interprète

    Bien sûr, ce n’est pas la notion de Bien en tant que telle que critique Muray, c’est le vernis de Bien qui habille la volonté entêtée de ne pas vouloir considérer le mal, tout en animant un petit cinéma visant à faire croire qu’il n’a jamais été autant présent. Le Bien domine, mais une sorte de « Bien réchauffé » :
    Oui, le Bien a vraiment tout envahi ; un Bien un peu spécial, évidemment, ce qui complique encore les choses. Une Vertu de mascarade ; ou plutôt, plus justement, ce qui reste de la Vertu quand la virulence du Vice a cessé de l’asticoter. Ce Bien réchauffé, ce Bien en revival que j’évoque est un peu à l’ »Etre infiniment bon » de la théologie ce qu’un quartier réhabilité est à un quartier d’autrefois, construit lentement, rassemblé patiemment, au gré des siècles et des hasards ; ou une cochonnerie d’ »espace arboré » à de bon vieux arbres normaux, poussés n’importe comment, sans rien demander à personne ; ou encore, si on préfère, une liste de best-sellers de maintenant à l’histoire de la littérature.
    Davantage la nostalgie du Bien que le Bien réel impossible. Voilà. Une sorte de prix de consolation. Un Bien de consolation, en somme.
    Ca ne pouvait plus durer les barbaries ! ça suffisait les horreurs ! Tout le monde au lit ! En clinique ! Tubes, chimie, visites, télé dans la chambre. Silence, on soigne ! L’hôpital ne rigole plus de la charité, c’est ensemble désormais, main dans la main, qu’ils prennent à coeur notre avenir. Sous anesthésie au besoin. Cure de sommeil. Calmants. Dodo.

    C’était, en 1991, un incroyable interprète de son époque.

    Libre

    Ce qui se ressent, au fil des pages, acerbes, dures, c’est un homme libre. Critiquant ceux qui veulent toujours plus contrôler les autres (par des lois), les empêcher de faire ce qu’ils veulent, ceux qui veulent que rien ne dépasse (le Consensus comme éthique de la discussion : « Le doute est devenu une maladie »), il décrit très bien, en avance, la formidable police de la pensée que sont devenus les médias.
    Quiconque sera surpris en flagrant délit de non-militance en faveur du Consensus se verra impitoyablement viré, liquidé, salement sanctionné. Comment la réalité tiendrait-elle devant de pareils sortilèges ? Les évènements n’existant presque plus, il faut en décréter de toute pièces, et dans le plus grand arbitraire.
    J’avoue avoir été touché par ses pages sur le collectivisme, car c’est un sujet qui me parle. J’ai une méfiance assez grande des mouvements collectifs, et me trouve plus dans mon élément face à des individus.
    Le télécollectivisme philanthrope hérite parfaitement, et en douceur, du despotisme communiste ainsi que des plastronnages vertueux de sa littérature édifiante, ses pastorales aragonesques comme ses idylles éluardiennes. Tous les cerveaux sont des kolkhozes. L’Empire du Bien reprend sans trop les changer pas mal de traits de l’ancienne utopie, la bureaucratie, la délation, l’adoration de la jeunesse à en avoir la chair de poule, l’immatérialisation de toute pensée, l’effacement de l’esprit critique, le dressage obscène des masses, l’anéantissement de l’Histoire sous ses réactualisations forcées, l’appel kitsch au sentiment contre la raison, la haine du passé, l’uniformisation des modes de vie. Tout est allé vite, très vite. Les derniers noyaux de résistance s’éparpillent, la Milice des Images occupe de ses sourires le territoire. Du programme des grosses idéologies collectivistes, ne tombent au fond que les chapitres les plus ridicules (la dictature du prolétariat au premier plan) ; l’invariant demeure, il est grégaire, il ne risque pas de disparaître. Le bluff du grand retour de flamme de l’individualisme, dans un monde où toute singularité a été effacée, est donc une de ces tartes à la crème journalistico-sociologique consolatoire qui n’en finit pas de me divertir. Individu où ? Individu quand ?Dans quel recoin perdu de ce globe idiot ?

    Dur, mais diablement salutaire

    Alors, bien sûr, ce livre est dur. Parfois trop, révélant une certaine misanthropie de l’auteur. Mais il tape souvent juste, et j’aime cette prise de risque, et ce côté foutraque : ça râpe, c’est dense, ça pique, et ça fait un bien fou. J’aurais bien aimé rencontrer ce gars là. Quel souffle d’air frais, quelle liberté ! Il me reste donc à entrer dans ma bibliothèque de citations quelques formules magnifiques trouvées dans ce livre, et certainement, un jour à lire son journal.
    Et vous ? Connaissez-vous les livres de Muray ? Avez-vous lu ses chroniques dans la Revue des Deux mondes ou dans Marianne ? Recommandez-vous un ou l’autre de ses romans ?

  • Gorgias

    Gorgias

    Gorgias est un classique de la philosophie, dense, compact, écrit par Platon, et qui raconte une discussion entre Gorgias, sophiste et maître de rhétorique, et Socrate qui on le sait, critiquait beaucoup les sophistes car, manipulant les mots et les idées pour être efficaces, ils n’avaient pas pour but la vérité et la justice.

    Dialogue à trois

    Le dialogue est en fait à trois : Gorgias, qui ne parle pas tant que cela, Socrate bien sûr, et Calliclès qui est un jeune politicien et qui utilise l’art de Gorgias. Ce n’est donc pas à proprement parler un ouvrage sur la rhétorique et ses techniques, mais plutôt un ouvrage sur la valeur morale de la rhétorique. Peut-on influencer les gens ? Si oui, quels moyens sont légitimes ?
    Socrate est sans pitié : il force, avec sa manière habituelle de conduire les échanges, en toute logique, ses interlocuteurs à reconnaitre que la rhétorique est un art oratoire qui sert à manipuler les gens, à jouer sur les croyances, quitte à travestir la vérité, ou à n’être pas juste. Donc à servir des intérêts particuliers et non des idéaux.
    « Socrate : Veux-tu alors que nous posions qu’il existe deux formes de convictions : l’une qui permet de croire sans savoir, et l’autre qui fait connaître ?
    Gorgias. – Oui, tout à fait.
    Socrate. – Alors, de ces deux formes de convictions, quelle est celle que la rhétorique exerce, « dans les tribunaux, ou sur toute autre assemblée », lorsqu’elle parle de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas ? Est-ce la conviction qui permet de croire sans savoir ? ou est-ce la conviction propre à la connaissance ?
    Gorgias. – Il est bien évident, Socrate, que c’est une conviction qui tient à la croyance. »

    A lire et à relire

    Si vous voulez en avoir un excellent résumé, complet, je vous invite à lire ce billet de blog superbement bien structuré et complet de Beaudoin Le Roux : Gorgias. Je pense pour ma part que c’est un livre majeur et que je le relirai : sa densité, l’ampleur des questions qu’il aborde, le rendent incroyablement puissant. La force de la logique et du raisonnement de Socrate est implacable. Il y a des arguments à opposer à l’idéalisme d’un Socrate : mais vu la branlée que se prennent Gorgias et Polos son disciple, il vaut mieux travailler un peu avant de s’y risquer !

  • L’anneau du pêcheur

    L’anneau du pêcheur

    Jean Raspail était décidément un auteur hors du commun : Le Camp des Saints, bien sûr, que tout le monde connaît, mais aussi Septentrion, m’avaient beaucoup plus. Et je n’ai pas été déçu par L’anneau du pêcheur, dans lequel je me suis donc plongé avec bonheur et où j’ai pu savourer son écriture si vive et si directe. Et cette histoire !

    Une histoire de dingue : les antipapes

    L’histoire s’appuie sur ce qui s’est passé au moment du Grand Schisme d’Occident : en 1378 à la mort du pape Grégoire XI, qui résidait à Avignon : son successeur, Urbain VI, n’est pas accepté par les cardinaux français, qui élisent un autre pape, Clément VII. Celui-ci revient s’installer à Avignon tandis qu’Urbain VI reste à Rome.
    Cette période de l’histoire est passionnante (je la découvrais) : il y a eu pendant plus de 50 ans, deux papes « officiels », l’un en Avignon, l’autre à Rome. Après de nombreux rebondissements (dont certains sont racontés dans le livre), Benoît XIII (Pedro de Luna, cardinal aragonais) est élu Pape en Avignon en 1394. Il finira par devoir s’exiler dans une place forte, Peniscola, et finira presque seul. Mais il réunira un conclave pour nommer un successeur avant de mourir, et l’un des cardinaux, prolongera à Rodez cette lignée d’antipapes, avec la nomination d’un Benoît XIV. Le roman pose comme thèse de départ que cette lignée de papes parallèles, les Benoît, s’est prolongée jusqu’à notre époque. C’est le deuxième récit parallèle dans le roman, où l’on suit un responsable du Vatican, parti à la recherche du dernier Benoît. Ce roman est donc l’histoire d’une lignée de Papes secrets qui se perpétue au cours des siècles.

    L’anneau du pêcheur : passionnant mélange de fiction et de réalité

    Le livre se dévore facilement, car il est bien écrit, rythmé et passionnant. Car avec quelques recherches, on se rend compte que la plupart des éléments de l’histoire sont vrais. Tous les personnages de l’époque du Schisme sont réels : Pedro de Luna, bien sûr, mais aussi le dominicain Vincent Ferrier, ou encore Jean Carrier. Et dans l’époque moderne on entend parler d’un certain Cardinal R, central dans la recherche du dernier Benoît. Comment ne pas faire le rapprochement avec celui qui deviendra … Benoît XVI ?
    Bref, vous l’aurez compris : superbe roman, historique et mystique, passionnant et intriguant.