En 2015, StĂ©phane Vial, philosophe et chercheur en design français (maintenant Ă©migrĂ© au Canada), a publiĂ© aux Editions PUF le Que Sais-je ? » « Le Design ». C’est un remarquable ouvrage, passionnant et d’une grande clartĂ©. Il donne un Ă©clairage Ă la fois historique, philosophique et Ă©pistĂ©mologique sur le Design en tant que discipline.
Méthodes de conception
Si le Design est en gĂ©nĂ©ral associĂ© Ă l’essor de l’industrie et aux arts dĂ©coratifs au XIXe siĂšcle, StĂ©phane Vial montre que ses racines sont fondamentalement liĂ©es Ă la naissance du projet architectural Ă la Renaissance, et notamment dans les travaux de Brunelleschi. Ce dernier formalise la sĂ©paration entre conception et rĂ©alisation.
Si l’histoire du Design montre bien que les batailles idĂ©ologiques et philosophiques sont nombreuses autour du sens mĂȘme de la discipline, l’auteur montre bien que cette racine perdure et constitue la colonne vertĂ©brale du Design. Par exemple, il cite plus loin Roger Tallon, grand designer français :

Le design n’est ni un art, ni un mode d’expression, mais bien une dĂ©marche crĂ©ative mĂ©thodique qui peut ĂȘtre gĂ©nĂ©ralisĂ©e Ă tous les problĂšmes de conception.
Roger Tallon (1929 – 2011) designer français, considĂ©rĂ© comme le pĂšre du design industriel français
Tension idéologique
Il y a une tension intrinsĂšque dans le Design liĂ©e Ă son essence, Ă ses racines et Ă son histoire : approche mĂ©thodique, qui a participĂ© Ă l’essor industriel formidable de la fin du XIXe et du XXe, il s’est Ă©galement structurĂ© comme discours critique et esthĂ©tique en rĂ©action Ă l’industrialisation massive, Ă la standardisation et au consumĂ©risme. StĂ©phane Vial montre bien cela en l’illustrant avec des designers emblĂ©matiques de certains de ces courants, en prĂ©cisant avec une rare clartĂ© les « modĂšles philosophiques » (et visions du design) dont ils sont les porteurs : William Morris pour le Arts & Craft (1860), Henry Van de Velde pour l’Art nouveau (1900), Walter Gropius pour le Bauhaus (1919), Raymond Loewy pour l’Industrial design (1929) ou encore Jacques ViĂ©not pour l’EsthĂ©tique industrielle (1951).
L’ouvrage est sur point tout Ă fait passionnant : il parvient Ă esquisser les grandes lignes de ce vastte tableau en restant trĂšs clair, et suffisamment dĂ©taillĂ©. Cette histoire est fascinante.
Extension du domaine du Design
StĂ©phane Vial montre ensuite comment le Design – et c’est bien naturel compte tenu de ses racines – a vu ses limites s’Ă©tendre dans un mouvement d’ »éclipse de l’objet » (Findeli & Bousbaci) :
Source de l’image : Projekt
L’auteur dĂ©crit de maniĂšre trĂšs claire diffĂ©rents modĂšles du projet en design (Conception-rĂ©ception, Double Diamant, modĂšle de projet selon D. Newman, Design Thiking). Je connais mieux cette partie, et j’ai Ă©tĂ© un peu surpris de voir que, si Armand Hatchuel et le CGS de l’Ecole des Mines Ă©tait citĂ© dans l’introduction, les travau du CGS n’Ă©taient pas mentionnĂ©s dans cette partie sur les thĂ©ories & mĂ©thodes en Design. Compte tenu de la qualitĂ© de l’ouvrage, j’en dĂ©duis qu’il existe des guerres de chapelles. Ce n’est qu’une hypothĂšse.
Manifeste trop ambitieux ?
Le livre termine sur un « Manifeste pour le renouveau social et critique du design« . Je trouve Ă titre personnel qu’il est clair et bien construit et j’en partage les intentions, mĂȘme s’il oublie un peu, Ă mon sens, de parler explicitement de mĂ©thode crĂ©ative, et de pragmatisme qui Ă mon sens sont indissociables du Design. D’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, je pense que ce manifeste n’a pas complĂštement clarifiĂ© le sens du mot « social » : prĂ©tendant dĂ©passer le clivage créé par son usage, il en reconduit le caractĂšre « tautologique ». Toute activitĂ© humaine est sociale. J’y vois la marque du constructivisme11. Par exemple, on peut s’appuyer sur le concept de catallaxie qui caractĂ©rise notre Ă©poque, injectant de la politique dans tout et dans toutes choses, et perpĂ©tuant l’illusion funeste que les humains « structurent » le monde, en oubliant que le monde, ses lois, son organisation, sont en grande partie hors de notre portĂ©e. Tout n’est pas « design-able ». Le design doit savoir, mĂȘme sur les aspects sociaux, connaĂźtre ses limites.
Ce ne sont que des remarques tout Ă fait marginales : j’ai trouvĂ© cet ouvrage splendide, extrĂȘmement bien structurĂ© et clair, passionnant. A lire en prioritĂ© par tous ceux qui, de prĂšs ou de loin, ont des activitĂ©s de conception.