Dans une discussion familiale qui s’est dĂ©roulĂ©e sur Signal, un point de dĂ©saccord a Ă©mergĂ© sur la notion de « propriĂ©tĂ© privĂ©e » et sur le fait, disais-je, que les français, manipulĂ©s par des dĂ©cennies de socialisme, ne respectent plus la propriĂ©tĂ© privĂ©e. Il m’a Ă©tĂ© rĂ©pondu, et j’ai trouvĂ© l’argument valide sur le moment, sans pour autant changer d’avis : « les français respectent la propriĂ©tĂ© privĂ©e : ils sont 60% Ă ĂŞtre propriĂ©taires de biens immobiliers et bien d’autres y aspirent ». Cette phrase est vraie, d’un bout Ă l’autre. Mais ce n’est pas un bon argument. J’essaye d’expliquer pourquoi ici.
Etat de fait versus Principe
En effet, on peut tout Ă fait dĂ©sirer ou convoiter un bien (ou un Ă©tat de fait) sans pour autant respecter la propriĂ©tĂ© privĂ©e. Respecter la propriĂ©tĂ© privĂ©e, c’est respecter une « règle de juste conduite abstraite ». C’est un principe moral. Respecter la propriĂ©tĂ© privĂ©e, c’est considĂ©rer que tout ĂŞtre humain est propriĂ©taire (et responsable) de sa vie, du fruit de son travail et de ce qu’il acquiert par des Ă©changes libres. On peut donc tout Ă fait dĂ©sirer ĂŞtre propriĂ©taire, et considĂ©rer qu’il est lĂ©gitime de voler le bien Ă quelqu’un d’autre (un riche, un salaud de capitaliste, etc.). Que les français, et les gens en gĂ©nĂ©ral, gardent un bon sens et une comprĂ©hension concrète de leur propre intĂ©rĂŞt, c’est fort heureux (il vaut mieux ĂŞtre propriĂ©taire si on peut) ; mais cela ne valide en aucune manière leur respect de la propriĂ©tĂ© privĂ©e. Ce sera juste un bon moyen, s’ils deviennent propriĂ©taires, d’avoir des gens en plus qui dĂ©fendront ce principe (par intĂ©rĂŞt personnel).
Je crois, et j’ai peut-ĂŞtre tort, qu’une grande partie de la population trouve lĂ©gitime de « voler » des biens Ă certains pour les donner Ă d’autres. La notion mĂŞme de « justice sociale », si bien dĂ©montĂ©e par Hayek, sert très exactement Ă cela. Justifier des transferts forcĂ©s. Rappelons-le : la très grande majoritĂ© de l’argent pompĂ© aux français ne sert pas Ă financer les fonctions rĂ©galiennes de l’Etat, mais de la redistribution forcĂ©e (part du rĂ©galien dans le budget de l’Etat autour de 20%). J’entends dĂ©jĂ les rĂ©criminations : « et la solidaritĂ©! ». Mais quel est donc le sens d’une solidaritĂ© forcĂ©e ? La solidaritĂ© implique la comprĂ©hension mutuelle d’intĂ©rĂŞts partagĂ©s, d’une unitĂ© de destin, qui incite Ă collaborer et Ă s’entraider, de manière rĂ©ciproque. Je ne vois pas en quoi elle justifie le vol. J’y reviendrai plus bas.
Morale
Je reconnais que cette approche basĂ©e sur le respect de principe d’une règle de juste conduite applicable Ă tous de la mĂŞme manière est très « dĂ©ontologique ». Larmore a montrĂ© que la morale est hĂ©tĂ©rogène : Ă cĂ´tĂ© de ce principe dĂ©ontologique, on trouve le principe consĂ©quentialiste et le principe de partialitĂ©.
J’appelerais ces trois principes : principe de partialité, principe conséquentialiste et principe déontologique. Ils se situent tous trois à un niveau élevé de généralité. Le principe de partialité sous-tend les obligations « particularistes » qui ne s’imposent à nous qu’en vertu d’un certain désir ou intérêt que nous nous trouvons avoir. (…) Le principe de partialité exprime donc une priorité du bien sur le juste. (…) Les deux autres principes pratiques – les principes conséquentialiste et déontologique – sont universalistes et représentent des obligations catégoriques. Le principe conséquentialiste exige que l’on fasse ce qui produira globalement le plus grand bien (la plus grande somme algébrique de bien et de mal), eu égard à tous ceux qui sont affectés par notre action. (…) Le principe déontologique exige que l’on ne fasse jamais certaines choses (ne pas respecter une promesse, dire des mensonges, tuer un innocent) à autrui, même s’il doit en résulter globalement un moindre bien ou un plus grand mal. (…) Contrairement au principe de partialité, ces deux principes impliquent des devoirs qui sont catégoriques et s’imposent à l’agent, quels que puissent être ses désirs ou ses intérêts. Ils expriment, par conséquent, une priorité du juste sur le bien. Il me semble que toute personne réfléchie reconnaît, dans une certaine mesure, les exigences de ces trois principes.
Je suis peut-ĂŞtre trop fixĂ© dans une approche dĂ©ontologique. Mais si je pars sur une approche consĂ©quentialiste, alors les partisans de la « justice sociale », et de la rĂ©partition (ce que j’appelle le vol lĂ©gal, ou la spoliation) doivent reconnaĂ®tre que le mode de fonctionnement actuel, ne respectant pas – Ă plein d’Ă©gards – la propriĂ©tĂ© privĂ©e n’atteint en aucune manière des consĂ©quences souhaitables. PaupĂ©risation, baisse gĂ©nĂ©rale du niveau de service, effondrement de l’Ă©cole, on pourrait continuer la liste. Tout cela pour un seul indicateur qui va dans leur sens (la baisse des inĂ©galitĂ©s). Ils n’ont donc raison ni sur l’aspect dĂ©ontologique, ni sur l’aspect consĂ©quentialiste. Ils prĂ©fèrent que les gens soit pauvres mais Ă©gaux, plutĂ´t que riches et inĂ©gaux. Et l’on a bien du mal, Ă retrouver lĂ -dedans, une notion de solidaritĂ©. Un tel dĂ©litement de la sociĂ©tĂ©, un tel effondrement moral, ne saurait ĂŞtre un bon exemple de solidaritĂ© bien pensĂ©e. Par ailleurs, cette relative « égalité » des gens dans la pauvretĂ© (mesurĂ©e par des indicateurs utilisĂ©s politiquement et Ă l’envers) cache bien mal la rĂ©alitĂ© concrète.
Partialité
Mais c’est lĂ oĂą l’on retrouve le troisième principe moral : le principe de partialitĂ©. Car, bien sĂ»r, tout le monde n’est pas pauvre dans ce système. Certains, dont les dirigeants, ceux qui sont proches du pouvoir, ou ceux qui ont la chance d’avoir dĂ©jĂ des moyens, ne souffrent pas autant que le reste de la population. Certains bien sĂ»r, ne sont pas des profiteurs immoraux, et essayent de faire bouger les lignes. Mais tout de mĂŞme, le système en est venu Ă ĂŞtre clĂ´t sur lui-mĂŞme. C’est ce qui se passe Ă mon avis : une petite « caste » tire les marrons du feu, pour soi et pour ses proches, en faisant du chantage moral au reste de la population au nom de l’Ă©galitĂ© et de la justice sociale. Ou de l’anti-racisme, ou de tout ce qui peut permettre de « menacer » d’exclusion sociale les opposants. Ils ont pillĂ© les ressources du pays, pris des mauvaises dĂ©cisions – au vu de l’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral – sur presque tous les sujets, pillĂ© les ressources des gĂ©nĂ©rations futures, pillĂ© l’Ă©pargne des français. Il est probable, et c’Ă©tait l’avis que j’exprimais au dĂ©but de ce billet, qu’une bonne partie des français les dĂ©teste au moins autant par jalousie que par rĂ©probation morale. Beaucoup se rĂŞveraient dans la mĂŞme situation, sans pour autant vouloir respecter des règles abstraites de juste conduite, et le droit de propriĂ©tĂ©.
Je ne demande qu’Ă avoir tort, et ça serait une grande source d’espoir que de savoir que les français, dans leur majoritĂ©, considère qu’il est injuste de voler quelqu’un, mĂŞme riche.