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  • Politique et Ă©thique : proposition de segmentation

    Politique et éthique : proposition de segmentation

    [note de l’auteur : billet mis à  jour suite aux Ă©changes en commentaires… la discussion continue !]
    J’ai souvent le sentiment que les discussions politiques s’enlisent à  cause d’un manque de prĂ©cision dans les termes. Par ailleurs j’aime la controverse, qui se nourrit des diffĂ©rences de points de vue : explicitons-les ! Dans cet esprit, j’ai essayĂ© de trouver 2 oppositions fortes, structurantes, qui permettraient à  chacun de se positionner philosophiquement dans le champ politique.
    Le but de couples opposĂ©s n’est pas de forcer à  choisir : chacun des termes contient sa part de vĂ©ritĂ©, et le travail intellectuel qui nous incombe n’est pas de se positionner d’un cĂŽtĂ© ou de l’autre, en prĂ©tendant que l’autre est faux, mais de travailler à  l’articulation de ces contraires.

    Universalisme / Relativisme

    La premiĂšre tension à  laquelle chacun apporte comme il peut des Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse, c’est celle existant entre une logique universaliste (certaines valeurs transcendent les diffĂ©rences culturelles et sont valables pour tous les humains), et une logique relativiste (chaque personne humaine doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e dans sa particularitĂ©, sa spĂ©cificitĂ© culturelle). L’universalisme met l’accent sur une Ă©galitĂ© de droit entre tous les humains, quand la logique relativiste privilĂ©gie le respect des diffĂ©rences.
    Il est assez difficile de concilier ces deux visions : elles s’excluent mutuellement, logiquement. Il y a certainement des outils de pensĂ©e pour articuler ces deux pĂŽles.

    Collectivisme / individualisme

    La seconde tension est celle rĂ©sultant des morceaux de vĂ©ritĂ© contenus par l’individualisme d’une part, et le collectivisme d’autre part. L’individualisme est une pensĂ©e du droit, et de l’ordre ouvert spontanĂ©e d’une sociĂ©tĂ© basĂ©e sur la libertĂ©, tandis que le collectivisme justifie une organisation plus centralisĂ©e de la sociĂ©tĂ©, notamment pour organiser la solidaritĂ© entre ses membres, et penser l’organisation collective.
    Le collectivisme vise à  la justice sociale et à  la cohĂ©sion du groupe, tandis que l’individualisme pose la libertĂ© comme fin en soi.
    Un outil utile pour rĂ©concilier ces deux pĂŽles me semble ĂȘtre la notion de subsidiaritĂ©. C’est en gros la libertĂ© à  chaque niveau de dĂ©cision, en commençant par l’individu, d’organiser les choses jusqu’à  ce qu’un Ă©chelon plus large soit nĂ©cessaire. L’organisation sociale y est lĂ©gitime, mais en partant des besoins et de la libertĂ© des personnes, et/ou des groupes. C’est à  la fois une pensĂ©e de l’action libre au bon niveau, ET une prise en compte de constructions sociales dĂ©passant l’individu.

    En se positionnant sur ces deux axes on obtient le schĂ©ma suivant. J’ai fait figurer en rouge les risques ou travers de chaque position, en bleu les valeurs ultimes, et en vert le registre d’éthique mobilisĂ©.
    Il ne me reste plus qu’à  inventer un petit questionnaire court, permettant en une dizaine de questions, de se positionner sur ce tableau. Ce serait une bonne maniĂšre d’en tester la pertinence, non ? Surtout, surtout, n’hĂ©sitez pas à  « boxer » ce schĂ©ma, et ce post : j’aimerai rendre robuste ce modĂšle, et j’accepterai tout à  fait qu’il soit en partie faux.
    J’ai continuĂ© la rĂ©flexion avec le dĂ©coupage de Kling

  • Sapiens

    Sapiens

    C’est à  coup sĂ»r un livre trĂšs vivifiant que le « Sapiens », de Yuval Noah Harari. Ce qui explique son trĂšs grand succĂšs. J’avoue l’avoir lu avec intĂ©rĂȘt, et que j’ai y pris beaucoup de plaisir.

    Raccourcis idéologiques

    Mais je dois commencer par une critique, avant de passer aux louanges. Car dĂšs le dĂ©but, dĂšs la premiĂšre phrase, une inexactitude m’a sautĂ© à  la tronche. Ce qui a eu le dĂ©sagrĂ©able effet de me mettre dĂšs le dĂ©but, dans une forme de « prudence » vis-à -vis des propos de l’auteur. La voilà  :

    Il y a environ 13,5 milliards d’annĂ©e, la matiĂšre, l’Ă©nergie, le temps et l’espace apparaissaient à  l’occasion du Big Bang. L’histoire de ces traits fondamentaux de notre univers est ce qu’on appelle la physique.

    Faux, archi-faux ! La physique n’est pas une « histoire ». Chacun sait cela. On peut faire l’histoire des thĂ©ories de la physique ou de la connaissance (Ă©pistĂ©mologie), l’histoire des institutions de la physique et de ses physiciens, mais la physique reste « la science qui tente de comprendre, de modĂ©liser, voire d’expliquer les phĂ©nomĂšnes naturels de l’univers. Elle correspond à  l’Ă©tude du monde qui nous entoure sous toutes ses formes, des lois de sa variation et de son Ă©volution. » (Wikipedia). Prudence, donc. DĂšs la premiĂšre page, l’auteur assĂšne une faussetĂ© pour construire une rhĂ©torique. Ou pour le dire mieux, l’auteur met le pathos avant le logos notions centrales en rhĂ©torique). En prĂ©parant ce billet, je suis allĂ© lire quelques recensions sur le web, et ces critiques sont bien prĂ©sentes à  d’autres endroits (The Guardian, Sens Critique).

    Les défauts de ses qualités

    Le gros point positif de ce livre, c’est qu’il ose balayer vite beaucoup de choses, en assumant des partis pris, des raccourcis. C’est un travail de « visionnaire », plus que de pur scientifique. Et pourquoi pas ? Un historien n’a pas à  rester enfermĂ© dans sa discipline, et peut mĂȘler anthropologie, histoire, Ă©pistĂ©mologie, vulgarisation, Ă©conomie, pour proposer quelque chose. C’est bien le rĂŽle de l’essai. Cet essai, donc, souffre des dĂ©fauts de ses qualitĂ©s : plein d’inexactitudes, de raccourcis, de partis pris, mais stimulant, audacieux. On pourrait lui reprocher, alors, un manque de vision (mais cette critique tombe à  l’eau car un deuxiĂšme tome vient complĂ©ter le premier).

    Je pourrais continuer à  l’infini les exemples : sur l’argent, son apparition et son rĂŽle, c’est trĂšs limitĂ© (surtout quand on sort de la lecture d’un livre de spĂ©cialiste sur le sujet). Voire franchement manipulateur. Sur le capitalisme et l’Ă©conomie, mĂȘme modĂšle : raccourcis, et manque sĂ©rieux de rigueur. Il n’est mĂȘme pas fait mention du fait qu’en termes d’institutions, le capitalisme est tout de mĂȘme adossĂ© à  quelque chose qui s’appelle la propriĂ©tĂ© privĂ©e, l’Ă©tat de droit, et le respect des contrats. MĂȘme la logique fondamentale des Ă©changes et des emprunts n’est pas exacte.

    La lecture des mythes et grandes fictions collectives de Harari est stimulante, mais à  nouveau trop superficielle : l’argent, la Nation et Dieu au mĂȘme niveau ? Dans ce cas, tout se vaut, ce qui est une forme de nihilisme.

    Tranhumanisme assumé

    Sa philosophie de fond, au final, est lisible en fin d’ouvrage, elle me semble ĂȘtre transhumaniste. C’est un vrai sujet de rĂ©flexion. L’homme, en augmentant sa capacitĂ© à  jouer avec les gĂšnes, avec le nano, avec l’hybridation du vivant et de la technique, est-il à  l’aube d’une nouvelle Ăšre ? L’auteur semble penser que ce n’est plus une question. On peut ne pas ĂȘtre d’accord.

    Pour finir, il faut rendre hommage à  l’auteur : c’est facile à  lire, riche d’enseignements (à  prendre avec prĂ©caution, comme je l’ai dit), d’histoires passionnantes sur l’histoire de l’humanitĂ©. Au final le succĂšs d’un tel livre est plutĂŽt inquiĂ©tant : si des idĂ©es aussi nihilistes sur le fond, et peu rigoureuses sur la forme plaisent à  autant de monde, cela en dit long sur l’Ă©tat de l’humanitĂ© en ce dĂ©but de millĂ©naire. Restons optimistes : ce ne sont pas les idĂ©es ou la philosophie de fond qui ont fait le succĂšs du livre, mais sa capacitĂ© – rĂ©elle – à  stimuler, provoquer, susciter un dĂ©bat et une rĂ©flexion.

  • La vĂ©ritĂ© sur la monnaie

    La vérité sur la monnaie

    Comme je travaille dans le champ de l’innovation, je n’ai pas pu Ă©viter les fameuses blockchain et autre crypto-monnaies. Dans une des sessions de travail, je me suis rendu compte que, basiquement, je ne savais pas grand-chose sur la monnaie. J’en ai tous les jours dans ma poche, j’en utilise tous les jours, et je ne sais pas bien ce que c’est !

    La vérité sur la monnaie, de Pascal Salin

    J’ai donc ressorti de ma bibliothĂšque un livre sur le sujet, que j’avais commencĂ© il y a longtemps et que j’avais trouvĂ© trop ardu, avec une motivation renouvelĂ©e. Il s’agit de l’ouvrage « La vĂ©ritĂ© sur la monnaie », de Pascal Salin. Pascal Salin est un philosophe et Ă©conomiste de l’Ă©cole autrichienne d’Ă©conomie, dans la lignĂ©e de Von Mises et Hayek. C’est une Ă©cole de pensĂ©e dont je me sens trĂšs proche, car elle est libĂ©rale (dans tous les sens du terme), et propose des raisonnements toujours basĂ©s sur les connaissances, et la logique, et non pas sur l’idĂ©ologie. J’avais vraiment adorĂ© son ouvrage majeur, « LibĂ©ralisme« , et je ne saurais assez vous en recommander la lecture. J’avais Ă©galement eu l’honneur, lorsque je tenais mon blog politique, d’aller l’interviewer et Ă©changer longuement avec lui.
    « La vérité sur la monnaie » est un excellent livre sur le sujet.

    Pédagogie et fondamentaux

    Passionnant, difficile parce que rapidement « technique ». Passionnant, parce que Pascal Salin propose de reconstruire ce qu’est la monnaie, à  partir d’une expĂ©rience de pensĂ©e : Robinson sur son Ăźle, seul au dĂ©but, puis commerçant avec d’autres Ăźles. L’auteur commence par rappeler et dĂ©finir des notions fondamentales, avant de faire apparaitre la monnaie. Par exemple, l’Ă©pargne : « tout choix fait en faveur d’un bien futur de prĂ©fĂ©rence à  un bien actuel est un choix d’Ă©pargne ». L’Ă©pargne n’est pas nĂ©cessairement un concept financier ou monĂ©taire. L’Ă©pargne est inhĂ©rente à  l’action humaine. A partir de là , on peut dĂ©finir l’investissement. Et ainsi de suite. Peu à  peu, on voit apparaitre les notions d’emprunt, d’Ă©change, de droits de propriĂ©tĂ©s, et l’auteur nous guide pour comprendre les fonctions de la monnaie. Celle-ci est toujours une rĂ©serve de pouvoir d’achat.

    Monopole = mauvaise monnaies

    Ce qui ressort du livre, c’est une vaste description de la place de la monnaie dans les Ă©changes, des fonctions des « banques ». Un des fils conducteurs est que les Etats, et les hommes de l’Etat, se sont donnĂ©s, presque partout un monopole sur l’Ă©mission de monnaie (les banques centrales Ă©tant les prĂȘteurs en dernier ressort, ce sont elles qui « garantissent » la convertibilitĂ© des monnaies). Ce monopole conduit à  des monnaies de mauvaises qualitĂ©, car la concurrence n’exerce plus son rĂŽle de rĂ©gulateur puissant. Cette situation conduit Ă©galement à  des situations oĂč sous couvert de pseudo-rĂ©gulation, les banques centrales et les hommes de l’Etat manipulent les monnaies, souvent pour camoufler des actions d’endettement. On ressort de la lecture avec une vision beaucoup plus nette de ce qu’est une monnaie, et les diffĂ©rentes institutions monĂ©taires privĂ©es ou publiques. Et Ă©galement avec une vision claire des actions à  mener pour faire changer la donne et retrouver un systĂšme bancaire libre. De maniĂšre surprenante, c’est plus simple qu’il n’y parait : un Etat qui prendrait la dĂ©cision unilatĂ©ralement de limiter les Ă©missions de monnaies de sa banque centrale et d’ouvrir à  nouveau le secteur à  la concurrence pourrait crĂ©er un prĂ©cĂ©dent. Rien n’est donc perdu, mĂȘme si le manque de connaissances de nos politiques est, sur ce sujet, particuliĂšrement inquiĂ©tant.

  • Chroniques

    Chroniques

    J’ai terminĂ© ce livre il y a dĂ©jà  quelques temps, mais je prends seulement maintenant le temps d’en faire la recension. C’est une petite autobiographie de Bob Dylan, « Chroniques« . Il y raconte ses dĂ©buts, sa passion/vocation pour le folk, son arrivĂ©e à  Greenwich village. On y dĂ©couvre aussi les affres de l’enregistrement de l’album « Oh Mercy« , avec Daniel Lanois à  la Nouvelle-OrlĂ©ans. Enorme travailleur, intuitif et visionnaire.

    Elements glanĂ©s…

    C’est une super autobiographie : le style sec, tranchĂ©, et en mĂȘme temps romantique nous permet de « ressentir » la personnalitĂ© de Dylan un peu mieux. J’en retiens trois Ă©lĂ©ments trĂšs intĂ©ressants :

    • son imaginaire nostalgique, amoureux d’un monde qui avait dĂ©jà  disparu quand il est nĂ©. Un monde à  moitiĂ© rĂ©el, à  moitiĂ© fanstamĂ©, faits de noblesse, de justice, d’identitĂ© assumĂ©e et claire. Bob Dylan assume de chercher un monde passĂ©, et les restes de ce monde dans ce qui bouge. Une intĂ©ressante maniĂšre de penser le monde, originale, conservatrice non de ce qui existe, mais de l’esprit de ce qui a Ă©tĂ©.
    • son refus d’ĂȘtre rĂ©cupĂ©rĂ© par les mouvements de contestation des annĂ©es 69-70. Dylan n’ira pas à  Woodstock, et vivra sa vie de pĂšre de famille loin de la cĂ©lĂ©britĂ©. Il a au sens propre fuit ce monde de « professionnels de la prostestation ». Il ne s’y reconnait pas. J’aime cette facette trĂšs simple de Dylan, loin du mythe ou de l’icĂŽne : mĂ©fiant de la notoriĂ©tĂ©, amoureux de sa libertĂ©, protecteur de sa vie intime.
    • sa fidĂ©litĂ© aux personnes : on sent dans son propos que ses rencontres, ses amitiĂ©s, comptent plus pour lui que les grandes idĂ©es (qui à  mon avis ont pour Dylan dĂ©jà  Ă©tĂ© Ă©crites il y a longtemps).

    A lire ! Pour les fans de Dylan, c’est vraiment un rĂ©gal, car on y croise par-ci par-là  des morceaux connus, des chansons aimĂ©es qui prennent une autre dimension. Mais ça devrait plaire aussi aux autres, il me semble.

  • Le libĂ©ralisme n’est pas une idĂ©ologie

    Le libĂ©ralisme n’est pas une idĂ©ologie

    Un simple petit coup de gueule, inquiet, prĂ©occupĂ©. Je suis effondrĂ©, en ces temps de pĂ©riode Ă©lectorale, par le manque de culture gĂ©nĂ©rale de la plupart des gens censĂ©s ĂȘtre des « élites », à  propos du libĂ©ralisme. Je n’aime pas ce terme – « élite » – , mais il est censĂ© parler, de nos jours, d’une partie de la population qui a eu la chance d’acquĂ©rir une certaine forme de « culture ». Le libĂ©ralisme en fait partie, n’en dĂ©plaise à  tous les bobos qui se contentent moralement en mĂątinant leurs discours de socialisme, voire de communisme.

    Découvrez le libéralisme

    J’invite tous ceux qui veulent simplement rĂ©flĂ©chir (quelle horreur ! les opinions suffisent, non ?) à  tout d’abord lire la dĂ©finition du libĂ©ralisme, et à  ensuite se questionner intimement pour savoir en quoi ils sont opposĂ©s au libĂ©ralisme. J’ai lu quelques auteurs qui sont considĂ©rĂ©s comme des libĂ©raux. Les textes sont disponibles, et j’ai dĂ©jà  donnĂ© des liens ailleurs. Le libĂ©ralisme est l’inverse d’une idĂ©ologie.

    Une part de notre identité

    C’est une pensĂ©e de la rĂ©alitĂ©, Ă©volutionniste, et dont le fond est simplement de protĂ©ger les individus, les personnes, contre toute forme d’oppression. Que ce soit celle des autres individus, ou celle des collectifs. C’est une philosophie qui dĂ©fend les droits individuels, et la libertĂ© (avec ses limites, la libertĂ© n’existant pas sans limites). C’est une philosophie adossĂ©e à  une rĂ©flexion profonde sur le droit, et le statut du droit. C’est un des fondements de notre civilisation, comme l’a rappelĂ© Philippe Nemo dans son excellent livre « Qu’est-ce que l’Occident ?« .
    Rejeter le libĂ©ralisme, comme le fond la plupart des candidats, c’est rejeter notre histoire, notre identitĂ©, pour de basses raisons populistes (dans le meilleur des cas), ou extrĂ©mistes (dans le pire). Que les mĂ©dias s’en fassent l’Ă©cho, cela ne m’Ă©tonne pas. Par pitiĂ©, vous qui savez lire, et rĂ©flĂ©chir, prenez le temps de comprendre ce qu’est le libĂ©ralisme.

  • L’Europe chrĂ©tienne ?

    L’Europe chrĂ©tienne ?

    J. H.H. Weiler a Ă©crit en 2005 un remarquable petit livre, « L’Europe chrĂ©tienne ? », qui propose une « excursion » dans la thĂ©matique de l’identitĂ© chrĂ©tienne de l’Europe. Il y travaille en tant que spĂ©cialiste du droit europĂ©en, et constitutionnaliste. Ce livre a comme point d’ancrage historique le dĂ©bat qui avait passionnĂ© (?) les europĂ©ens, et qui visait à  savoir s’il fallait mentionner dans le prĂ©ambule de la constitution europĂ©enne les « racines chrĂ©tiennes » (peu importe la formule, la question Ă©tait de savoir s’il fallait mentionner ou non l’identitĂ© religieuse, chrĂ©tienne, de l’Europe). On sait la suite, les Français notamment ont oeuvrĂ© pour que cela ne soit pas le cas.

    Europe évidemment chrétienne

    L’argumentation de Weiler est passionnante :

    • il montre qu’il est trĂšs Ă©trange que ce soit à  ceux qui veulent mentionner ces racines chrĂ©tiennes d’argumenter pour le faire, et non l’inverse. La civilisation europĂ©enne, occidentale, est à  l’Ă©vidence, factuellement de racines chrĂ©tiennes. Ce serait donc assez logique que la charge de la preuve repose sur ceux qui veulent gommer ces faits. Pourquoi ne pas en faire mention ? au nom de quoi ?
    • Il montre ensuite de maniĂšre trĂšs simple et claire, à  quel point une partie des peuples europĂ©ens sont en dĂ©nĂ©gation de leur propre identitĂ©. Il explique en quoi l’Europe gagnerait à  renoncer à  sa christophobie (« chrĂ©tien », « christianisme » sont devenus presque des tabous)
    • il montre que plusieurs constitutions nationales, notamment l’anglaise, l’allemande et la polonaise, font mention de maniĂšre trĂšs Ă©quilibrĂ©e de ces racines chrĂ©tiennes. Il ne s’agit pas d’imposer une religion officielle, mais simplement de reconnaitre notre identitĂ©, à  la fois issue du christianisme et laĂŻque, ce qui fait de nos sociĂ©tĂ©s des sociĂ©tĂ©s ouvertes et tolĂ©rantes. Pas de tolĂ©rance sans reconnaissance de l’Autre. Pas de reconnaissance de l’Autre sans une identitĂ© solidement assumĂ©e

    Préfacé par Rémi Brague

    Vraiment, je recommande la lecture de ce livre trĂšs dense et direct. J’ai beaucoup aimĂ© l’humilitĂ© de l’auteur, qui appuie son argumentation sur deux encycliques du pape Jean-Paul II (Redemptoris missio et Centesimus annus). La pensĂ©e chrĂ©tienne garde une grande pertinence pour penser l’Europe ; il est d’autant plus dommage de ne pas en avoir fait mention dans notre Constitution.
    Comme la prĂ©face a Ă©tĂ© signĂ©e par l’excellent RĂ©mi Brague, je recopie ici sa conclusion :
    Weiler risque en passant une formule qui fera teinter plus d’une oreille : « La dĂ©mocratie n’est pas un objectif ; (…) elle est un moyen, indispensable si l’on veut, mais un simple moyen tout de mĂȘme. Une dĂ©mocratie est en fin de compte aussi bonne ou mauvaise que les gens qui en font partie ». Si la dĂ©mocratie n’est qu’un moyen, quelle est la fin dont elle est le moyen ? Weiler ne le dit nulle part clairement. La philosophie politique classique de la GrĂšce aurait rĂ©pondu : la vertu, la formation de l’excellence (aretĂš) humaine. La façon dont Weiler rappelle le critĂšre de la qualitĂ© d’un rĂ©gime politique, à  savoir la qualitĂ© morale des citoyens qui y vivent, suggĂšre qu’il va dans cette direction. J’aurais quant à  moi dit la mĂȘme chose dans un langage plus moderne, et rappelĂ© une idĂ©e commune à  un juif (pas trĂšs bon, il est vrai…), Spinoza, et à  un catholique, Lord Acton : la libertĂ© n’est pas un moyen, mais une fin ; la seule fin en soi est la libertĂ©. Encore faut-il comprendre que cette libertĂ© n’est pas celle de se rendre l’esclave de ses penchants les plus stupides, voire les plus suicidaires, mais au contraire de laisser libre cours en soi à  l’excellence humaine.