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  • Citation #151

    La politique consiste dans la volonté de conquête et de conservation du pouvoir ; elle exige, par conséquent, une action de contrainte ou d’illusion sur les esprits, qui sont la matière de tout pouvoir.

    Paul Valéry (1871 – 1945) écrivain, poète et philosophe français.

  • Les fables immorales

    Les fables immorales

    Je vais initier une nouvelle série de billets, sous le thème « fables immorales ». Je les rangerai dans la catégorie « Bas les masques » que je n’avais plus utilisée depuis longtemps, mais qui correspond tout à fait à cela. Des récits ou des messages médiatiques qui semblent dire quelque chose, ou qui s’en donnent l’apparence, mais qui au final ne sont que des manipulations – plus ou moins habiles – en vue du pouvoir sur les opinions. Ce sont des fables qui se donnent l’apparence de porter une morale, mais dont la morale réelle, cachée derrière un masque séduisant, est souvent très différente.
    J’ai choisi une image du Voyage de Chihiro, du grand Miyazaki, pour illustrer l’article car le « monstre », Kaonachi, incarne de manière allégorique le mensonge, et l’incitation à la consommation excessive. Il distribue de l’or à tout le monde, et finit par dévorer ceux qui acceptent. Il est insatiable. Chihiro est la seule à refuser, et à continuer à lui dire la vérité (image trouvée sur le site MediaTarn). Il symbolise bien à mes yeux la démarche de ceux qui déforment la vérité pour arriver à leurs fins.

    A l’école aussi…

    J’ai trouvé utile d’en montrer quelques-unes car elles sont – entre autres – utilisées pour conditionner nos enfants, dès l’école. D’où le nom de « fable ». Il me semble scandaleux que les professeurs, sciemment ou non, se fassent les vecteurs de tels fables immorales, et il convient, à l’instar d’autres initiatives 🌟 🌟 Reconquête a par exemple initié le mouvement Protégeons nos enfants qui vise à rendre visible la propagande à l’école de les dénoncer, ou au moins d’être conscients de tout cela pour pouvoir contrer la propagande.

    La philosophie nous apprend à douter de ce qui nous parait évident. La propagande, au contraire, nous apprend à accepter comme évidentes des choses dont il serait raisonnable de douter.

    Aldous Huxley (1894-1963)
    écrivain, romancier et philosophe britannique.

    Les adultes ensuite considèrent comme « vraies » un certain nombre de ces fables, qui structurent une partie de nos actions, de nos discours, de nos modèles mentaux. C’est à mon avis assez grave, suffisamment pour en rendre lisible certaines, et en démonter les ressorts.
    Pour chacune d’entre elles, j’utiliserai la même structure : d’abord le récit, la fable, sous sa forme « archétypale ». Ensuite les modèles mentaux implicites ou explicites qui la structurent, et enfin les raisons pour lesquelles cette fable est, à mes yeux, porteuse d’une morale fausse, injuste, laide et viciée. C’est-à-dire qu’elle prétend ériger en modèles d’action ou de pensée des éléments qui sont en contradiction soit avec les faits (avec le réel), soit avec les valeurs morales (la morale communément admise, l’humanisme), soit avec la raison (la logique, les raisonnements critiques). A suivre, donc !

  • Citation #150

    La lutte contre toutes les formes de discrimination participe de ce même mouvement qui entraîne l’humanité vers une civilisation mondiale, destructrice de ces vieux particularismes auxquels revient l’honneur d’avoir créé les valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent son prix à la vie.

    Claude Levi-Strauss (1908 – 2009) anthropologue et ethnologue français.

  • Espoir ?

    Espoir ?

    Il est très difficile en ce moment, quand on s’informe un peu, d’avoir beaucoup d’espoir. Entre les guerres, les attentats, les violeurs, et la corruption généralisée des élites, il n’y a pas beaucoup de raisons de se réjouir. Mais je me suis fait la remarque en regardant au fil des moments dans le métro, ou le soir, ou à mes moments perdus, qu’il y avait encore en France de vrais élites intellectuelles, rigoureuses, capables de doute et de débat, et que rien n’était perdu. Il y a de l’espoir ; mais il est urgent de dégager la clique de minables pervers qui nous dirigent (droit vers le mur). Je partage donc avec vous quelques-unes des liens qui m’ont, même si elles n’éclairent pas la situation d’un regard particulièrement optimiste, mis du baume au coeur : il reste de vrais esprits, courageux, un peu partout. Tout le monde ne recherche pas le « consensus », certains restent encore attachés à la vérité.

    • Une passionnante et remarquable conférence de Raphaël Liogier, philosophe et sociologue, invité à l’IHU Marseille Méditerranée (oui Didier Raoult fait aussi partie de ceux que j’admire) : « L’éthique peut-elle se passer de morale ?« 
    • Une très intéressante et stimulante interview d’Ariane Bilheran [1][1] Le site personnel d’Ariane Bilheran : son site, philosophe et psychologue, dont les travaux portent sur les manipulations, la perversion, le totalitarisme, qui décrit les mécanismes de contrôle social monstrueux qui se sont mis en place à notre époque
    • Un fil très intéressant sur Twitter, alimenté par @Elpis_R, et qui regroupe pas mal de ressources et de contre-arguments à la fumeuse théorie du réchauffement climatique, devenue une véritable religion pour certains. On y trouve – entre autres – pas mal de verbatims de scientifiques qui démontent ces croyances et soulignent l’absence de preuves.
    • Une analyse intéressante d’Olivier Piacentini, essayiste et économiste, invité par l’excellent Cercle Aristote (créé et animé par Pierre-Yves Rougeyron, juriste et politilogue). Comment ne pas avoir envie d’écouter une conférence dont l’orateur commence par s’appuyer sur Philippe Nemo pour définir l’Occident ?Il faut découvrir le travail extraordinaire du Cercle Aristote

    Bonne lecture et bonne écoute. Certes, l’espoir est faible. Mais en regardant l’intervention de Christian Perronne devant des parlementaires européen, je me dis que la vérité finit parfois par éclater. La cour de justice de l’Etat de New-York vient d’ordonner la réintégration et le dédommagement des personnes suspendues injustement pour cause de non-vaccination COVID. C’est ce qui se passe dans un état de droit ; nous verrons si la France en est toujours un. Je me permets d’en douter raisonnablement.

  • Citation #149

    Pascal avait raison bien sûr : il ne sert pas à grand-chose de se disputer sur le « mot », le « nom » que l’on utilise, car ce qui importe c’est la définition, le sens, qu’on lui donne. L’effort de définition, d’ailleurs, peut entraîner de vrais disputes « verbales » : se mettre d’accord sur les faits que nos mots décrivent, sur notre manière d’appréhender le réel, n’est jamais complètement neutre, ni complètement possible. C’est d’ailleurs ce que rappelle Monsieur Phi dans cette super vidéo, et à qui je laisse le commentaire de la fin : « Mieux vaut une dispute verbale qu’une entente qui repose sur un malentendu. »

    Je ne dispute jamais du nom, pourvu qu’on m’avertisse du sens qu’on lui donne.

    Blaise Pascal (1623 – 1662) mathématicien, physicien, inventeur, philosophe, moraliste et théologien français.

  • John Stuart Mill, libéral utopique

    John Stuart Mill, libéral utopique

    Camille Dejardin, docteur en science politique et professeur agrégée de philosophie, vient de publier aux Editions Gallimard « John Stuart Mill, libéral utopique » (sous-titré Actualité d’une pensée visionnaire (coll. Bibliothèque des idées, 2022), essai qui prolonge sa thèse de doctorat dévolue à  la redécouverte de la théorie politique millienne. C’est un livre remarquablement bien écrit, d’une grande clarté conceptuelle, et – bien sûr – on ne peut plus expert sur la pensée de John Stuart Mill.

    Biographie intellectuelle

    Car Camille Dejardin s’intéresse uniquement aux idées, et dresse dans cet ouvrage un panorama très complet de la pensée de Mill. Elle n’y glisse que les éléments biographiques qui éclairent le parcours intellectuel de Mill. Il est à  souligner que son enfance et sa formation, et sa vie, sont tout à  fait hors du commun. L’auteur commence l’ouvrage avec un thèse simple mais tout à  fait juste : Mill, souvent associé à  l’utilitarisme parce son père était un adepte de Bentham, penseur central du libéralisme, est un auteur qui dépasse largement ces étiquettes tant son génie a embrassé largement tous les sujets, avec une honnêteté et une exigence impressionnante, en gardant toujours à  l’esprit la vue d’ensemble sans jamais perdre ni le goût des détails, ni le sens de la nuance. Un vrai penseur du réel, en quelque sorte.

    La démarche de John Stuart Mill (1806-1873), pourtant communément connu comme « utilitariste » et « libéral » canonique, en est on ne peut plus éloignée. Et son génie est d’avoir su allier la modernité d’une conception globalement matérialiste, agnostique et pragmatique, s’émancipant des traditions tout en demeurant ouverte à  une pluralité de métaphysiques, avec une exigence de transcendance et même, pourrait-on dire, une exigence d’exigence qui anticipe et préempte à  bien des égards les écueils sur lesquels l’utilitarisme, l’économicisme et le libéralisme des deux derniers siècles nous ont jetés.

    Camille Dejardin illustre fort à  propos l’ouverture d’esprit et le goût de l’échange de Mill par une liste incroyable :

    Il faut (…) saluer la prouesse, tant linguistique et intellectuelle et que proprement humaine, que constituent la relation et l’abondante correspondance qu’il réussit à  entretenir avec des interlocuteurs aussi hétéroclites que Thomas Carlyle, Edwin Chadwick, Alexander Bain (qui devint l’un de ses biographes), John Austin, Thomas Hare, Herbert Spencer, Florence Nightingale, Gustave d’Eichthal, Alexis de Tocqueville, Auguste Comte et jusqu’à  Jules Michelet et Louis Blanc (pour ces quatre derniers, dans un français parfait), aux côtés de nombreux autres parlementaires, juristes et publicistes britanniques ou étrangers.

    Penseur complet de la démocratie moderne, et de la vie bonne

    L’ouvrage dans sa première partie revient sur la pensée riche et complexe de Mill, qui prend à  la fois le meilleur du socialisme, du conservatisme et du libéralisme (en donnant une primauté à  ce dernier). La deuxième partie explicite le titre « Utopie libérale », en montrant comment Mill a toujours réfléchi, à  partir du réel, à  proposer une meilleure organisation sociale, une meilleure société, en insistant toujours sur les ressorts individuels. C’est une sorte d’ »aristo-démocratie » qu’il définit ainsi, tout en réfléchissant aux conditions d’existence de celle-ci (notamment l’éducation), et aux limites qu’il convient de fixer à  l’action humaine. Sur certains de ces points, je me trouve moins en accord avec Mill, mais cela reste incroyable de voir qu’il a, comme Tocqueville, prévu une grande partie des problématiques que le développement des sociétés libérales allaient provoquer, et auxquelles nous sommes confrontés.

    Religion de l’humanité

    Il a également réfléchi sur le besoin de spiritualité et a proposé une sorte de « religion de l’humanité » qui assumerait la nécessité de formes de transcendance et de sacré, sans sortir pour autant du champ de la rationnalité. Passionnant. Je ne résiste pas, comme Camille Dejardin, à  citer ce passage de Mill, tiré de Utility of Religion :

    [il s’agit d’instaurer] une moralité fondée sur une appréhension large et avisée du bien du tout, ne sacrifiant ni l’individu au collectif ni le collectif à  l’individu, mais reconnaissant leur juste place respectivement au devoir et à  la liberté et la spontanéité. Elle s’enracinerait dans les natures supérieures grâce à  la sympathie, à  la bienveillance et à  la passion pour l’idéal d’excellence, et dans les autres grâce aux mêmes sentiments, cultivés et encouragés à  la hauteur de leurs capacités, ainsi qu’à  la force supplémentaire de la honte. Cette moralité exaltée ne tirerait pas son autorité de quelque espoir de récompense ; au contraire, la récompense qui serait ainsi recherchée, et la pensée qui constituerait une consolation dans les épreuves et un soutien dans les moments de faiblesse, ce ne serait pas la perspective problématique de l’existence future, mais l’approbation, dans tout cela, de ceux que nous respectons et idéalement de tous ceux, vivants ou morts, que nous admirons et révérons. […] Appeler ces sentiments du nom de « moralité », à  l’exclusion de tout autre titre, est leur faire trop peu d’honneur. Ils sont véritablement une religion, de laquelle, comme pour toute autre, les bonnes oeuvres manifestes (habituellement entendues sous le nom de moralité) ne représentent qu’une partie, et constituent plutôt les fruits que la religion elle-même. L’essence de la religion est la direction forte et sincère des émotions et des désirs vers un objet idéal, reconnu comme excellence suprême devant légitimement primer sur tous les objets de désirs plus égoïstes. Cette condition est remplie par la Religion de l’Humanité à  un degré équivalent et dans un sens aussi profond quand les religions surnaturelles dans ce qu’elles ont de meilleur, et même d’avantage à  d’autres égards.

    Cela rejoint une autre piste de lecture qui m’attend dans ma pile (Hermann Cohen).

    Excellent ouvrage

    J’ai tout de même eues quelques petites frustrations à  la lecture. L’auteur montre, par quelques petites références à  des discussions actuelles en s’appuyant sur des auteurs contestables, son appartenance à  la gauche politique, et sort de son rôle de passeur. Rien de grave – c’est son droit le plus strict, surtout dans le cadre d’un essai – mais cela montre ses limites. Voir les noms de Piketty, Stiglitz ou Pierre Rabhi est surprenant dans le cadre de cet essai (quid de Bastiat, et Hayek – qui est celui qui a oeuvré pour regrouper et faire connaitre l’oeuvre de Mill?). Tout comme de voir quelques approximations sur les relations de cause à  effet concernant la fécondité (que l’on retrouvait d’ailleurs aussi dans Le monde sans fin), ou une confusion entre régulation et réglementation. Tout cela n’est pas bien grave : il est logique que l’auteur fasse résonner la pensée de Mill avec ses propres aspirations et positions, c’est le propos de son livre. Mill est un penseur très actuel. Et je partage son avis. Je la remercie d’avoir, avec autant de clarté, proposé un voyage assez complet dans l’oeuvre foisonnante de Mill. Le livre est bourré de citations de Mill que je vais ajouter à  ma collection personnelle. Un très bon ouvrage, rigoureux, citant toujours les sources, et apportant un regard passionnant sur un auteur non moins passionnant ! Sa conclusion personnelle est magnifique, je trouve, et j’en utilise un extrait pour lui laisser le mot de la fin :

    Mais contre le repli sur soi pouvant mener à  la soumission conformiste et court-termiste au monde comme il va, Mill nous rappelle que se donner sa propre loi revient toujours à  se mettre en rapport avec une loi supérieure – politique ou morale. Dans cette perspective, l’individu « souverain de lui-même » ne l’est donc jamais sans référentiel, sans repères, sans bornes. Ce sont eux, au contraire, qui donnent sens et donnent chair à  sa souveraineté. S’il veut oeuvrer pour lui-même, tout un chacun doit apprendre à  se penser comme partie prenante d’une « chose commune » qui garantit sa liberté et qui vit en retour de l’exercice constructif de celle-ci.

    Je vais aller maintenant écouter cette conférence de Camille Dejardin, que j’ai tenu à  ne pas découvrir avant d’écrire cette recension.
    Cet article a été publié dans le magazine L’incorrect de novembre 2022, et sur le site : Purgatoire terrestre