Étiquette : Conservatisme

  • Finkielkraut est-il de gauche ?

    Finkielkraut est-il de gauche ?

    En écoutant l’excellente émission de Bock-Côté en podcast, dont l’invité était le grand Alain Finkielkraut, j’ai entendu plusieurs éléments dans les échanges qui m’ont fait toucher du doigt ce qu’est « être de gauche », ou penser « depuis la gauche ».

    Gauche et droite ?

    Je ne cherche pas ici à trancher l’intérêt du clivage « gauche/droite ». Il est de fait toujours présent dans la tête de pas mal de monde, et structure une partie du jeu politique. Bien qu’étant pour ma part attaché à un modèle plus précis des positionnements politiques (avec au moins 3 axes différents, progressiste – conservateur – libéral), il est important de comprendre ce que les gens y mettent. Par ailleurs, Finkielkraut fait partie des intellectuels que j’apprécie beaucoup, que j’ai lu, et dont la rigueur intellectuelle suffit à le classer au-dessus de ces débats (qu’ils soient à deux, ou trois, ou dix catégories) : ceux qui sont attachés au réel et à la vérité, comme Finkielkraut, sont toujours capables de distinguer, y compris dans les schémas mentaux et les positions de leurs adversaires, des morceaux de vérité.
    Enfin, Alain Finkielkraut fait partie des penseurs « de gauche » qu’une partie de la gauche idéologue a rejeté. Ils le prétendent, pour le stigmatiser et le faire taire (c’est raté), comme étant maintenant « réactionnaire », « conservateur », « de droite ». Il est donc, pour toutes ces raisons, intéressant de répondre à cette question : « Finkielkraut est-il de gauche ? »

    Extrême-droite

    Lors de l’échange entre Bock-Côté, Watrigant et Finkielkraut un premier point sautait aux yeux : questionné par ses hôtes sur sa définition de l’extrême-droite, Finkielkraut s’est emberlificoté dans une explication pauvre conceptuellement, émotionnelle, et presqu’illogique (il faut faire disparaitre le cordon sanitaire qui bloque le RN hors du champ de la respectabilité, mais Houellebecq se trouve quand même bien du mauvais côté de ce cordon). Passons sur ce point, qui signale plus un positionnement de centriste sensible sur le sujet de l’antisémitisme qu’autre chose.

    Voir depuis la gauche

    Le point central de l’entretien portait sur l’immigration et les « yeux grands fermés » de notre « élite » à ce sujet. La réponse de Finkielkraut était admirable et son exposé contenait à peu près tout ce qu’il y a à en dire. C’était une réflexion partant de nos sociétés bâties autour d’une morale des droits de l’homme et du citoyen, et donc autour d’une idée du « semblable ». Egalité en dignité et en droits des humains et des citoyens. Tout son exposé, fin et précis, m’a semblé être une vision très réaliste du sujet (il a rappelé la phrase de Péguy que j’avais découverte grâce à lui « Il faut toujours dire ce que l’on voit ; surtout-il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. »). Mais une vision qui parle depuis la gauche : deux mots n’ont jamais été utilisé par Finkielkraut pendant cette réflexion, alors qu’ils me brûlaient les lèvres car ils permettaient d’aller embrasser la réflexion de manière plus claire. Ces deux mots sont « Civilisation », et « identité ». Et je crois que ces mots restent, pour une partie importante de la gauche, des gros mots.

    Civilisation

    Ce n’est pas par hasard qu’Huntington a été détesté par la gauche médiatique et politique : il a utilisé, comme concept central de son ouvrage « Le choc des civilisations« , l’idée même de Civilisation. C’est-à-dire le concept qui permet de parler, à un niveau très général, de « dissemblable », et d’altérité, entre les humains. Les différentes cultures sont regroupées en grands ensembles que l’on appelle « civilisation ». Le plus haut niveau de « dissemblance » entre les humains peut-être en partie décrit par ces différentes civilisations. Pris d’une autre manière, considérant l’humanité dans son ensemble, la civilisation est la première distinction que l’on peut faire entre les humains, sur un plan culturel.

    Identité

    Ce n’est pas un hasard non plus si Nathalie Heinich s’est fait plein d’ennemis à gauche : elle a travaillé à un modèle simple, profond et opérationnel de l’identité. Ce n’est pas son modèle en lui-même qui lui a valu des problèmes, c’est, à mon avis, parce que la gauche ne veut pas que l’on parle d’identité, pour les mêmes raisons que pour le terme Civilisation. La gauche dogmatique ne souffre pas que l’on parle des humains comme d’autre chose que des humains, faisant tous partie de la même famille humaine. Or, parler de civilisation, d’identité, c’est justement rentrer dans le détail des histoires, des racines, des parcours qui sont par définition différents pour les différentes personnes.

    Finkielkraut est bien de gauche

    Finkielkraut ne présente aucune trace de dogmatisme, bien sûr. Mais sa réflexion, en n’utilisant jamais les mots de « civilisation » ou « d’identité », est celle d’un homme de gauche, universaliste avant tout. Je crois que cela définit de manière très forte la gauche. C’est son point de contact philosophique avec le libéralisme, d’ailleurs. C’est sa force, et sa faiblesse. Tout comme la force et la faiblesse des conservateurs est de savoir distinguer les différences entre les civilisations, et de savoir penser l’altérité, mais de parfois l’ériger en barrière.
    Incohérence émotionnelle sur l’extrême-droite, universalisme un peu en peine pour dire l’altérité : Finkielkraut est bien de gauche. Ce n’est pas dans ma bouche une critique : j’ai été d’accord en tout point avec sa réponse sur l’immigration. Qu’en-pensez vous ? Vous retrouvez-vous dans cette analyse ? Vous paraît-elle pertinente pour séparer entre droite et gauche ? Si la gauche est fondamentalement universaliste, qu’est fondamentalement la droite ?

  • Les traîtres

    Les traîtres

    Quand je suis arrivé à  Paris, pour faire mes études, je ne m’informais pas beaucoup. J’avais 20 ans, et le monde politique était loin de mes préoccupations. Mais j’achetais tous les vendredis, sans faute, Le Figaro pour lire le petit texte d’Ivan Rioufol.

    Depuis toujours, dans le réel

    Il me parlait, et analysait, contrairement à  beaucoup d’autres journalistes, du réel. Son petit bloc-notes hebdomadaire était ma gazette pour savoir ce qui se passait. J’ai par la suite, avec l’arrivée d’internet et des blogs, mis les mains dans le cambouis en écrivant sur un blog politique et en animant un réseau de blogueurs politiques (LHC, pour Liberté d’expression, Humanisme, et esprit Critique). Nous avions eu le grand plaisir de l’accueillir, un soir, lors de notre réunion mensuelle de blogueurs. Il était venu nous présenter, dans les locaux que Contribuables Associés mettaient gentiment à  notre disposition, son dernier ouvrage.
    Depuis cette époque je continue de suivre ce que fait et écrit Rioufol. « Aujourd’hui, l’urgence est de sortir du mensonge, de la désinformation, de la haine autodestructrice, qui sont devenus les trous noirs de la civilisation occidentale »C’est un intellectuel courageux, et qui a été très souvent en première ligne, malgré les vents contraires. Très tôt lucide sur la menace que faisait peser l’immigration massive et le multiculturalisme érigé en modèle de société, sans jamais se départir de sa tolérance, il est également proche dans sa ligne libérale-conservatrice de ce que je peux penser du monde : Ivan Rioufol fait partie des quelques intellectuels qui savent, quand ils parlent de libéralisme, de quoi ils parlent. Son amitié avec Alain Laurent n’y est peut être pas pour rien. Ivan Rioufol, sur les sujets de société, me semble très proche dans son analyse, des réflexions proposées par Bock-Côté sur le « régime diversitaire » qui est devenu notre politiquement correct.

    Retour sur la colère des Gilets jaunes

    Dans son dernier ouvrage, Les traîtres (aux éditions Pierre Guillaume De Roux), Rioufol nous parle du mouvement des Gilets jaunes, qu’il a vu naître d’un bon oeil, et qu’il a suivi, soutenu, et dont il continue à  se faire volontiers le porte-parole. Le titre, qui désigne les responsables politiques français, ou les élites (prises dans le même sens que dans l’ouvrage remarquable de Pierre Mari, En pays défait) est très dur. Mais il faut bien reconnaitre qu’il est juste. Ce n’est pas le titre qui est dur, de fait, c’est la réalité dans laquelle des années de laxisme politique nous ont plongé. La crise du CoVid19 ne fait, malheureusement, que confirmer ce terrible constat : la France est un pays abimé, et dont la culture, le style de vie, les traditions sont volontairement défaits par les dirigeants. Je ne dirais pas tout avec les mêmes mots que Rioufol, mais je suis d’accord avec ses analyses. J’y retrouve la colère que peut susciter le suivi de l’actualité française (ce que je fais quotidiennement grâce à  Twitter et à  de nombreux sites d’infos). Rioufol ne m’a pas appris tant que cela dans ce livre, parce qu’il fait partie de ceux dont je m’alimente régulièrement : si ce n’est pas votre cas, je vous recommande chaudement la lecture de ce livre qui va droit au but, sans rhétorique, et avec humilité. Je termine ce modeste billet en laissant le mot de la fin à  Ivan Rioufol :
    Les Gilets jaunes l’ont démontré : seule la société civile est encore capable de se rebeller contre les clercs qui, droite et gauche confondues, persistent à  faire de la France un pays amnésique et déculturé, ouvert aux manipulations génétiques et idéologiques. Les âmes fortes sont les bienvenues. La place prise par l’insignifiance et l’émotion dans les grands débats publics laisse voir la paresse qui a envahi les comportements médiatiques, adeptes de la copie conforme et de l’infantilisation des débats. Le monde intellectuel s’est lui-même laissé endormir par le conformisme et le manichéisme de l’utopie mondialiste. Il doit se réveiller. Aujourd’hui, l’urgence est de sortir du mensonge, de la désinformation, de la haine autodestructrice, qui sont devenus les trous noirs de la civilisation occidentale, et de la France tout particulièrement. (…) Le combat à  mener est splendide : il a pour objectif de soutenir l’esprit pionnier des Gilets jaunes et de prendre la relève. Elle passe par le rétablissement de la démocratie confisquée, la redécouverte du patriotisme, le retour à  la liberté de penser, la prise de distance avec l’individualisme. Il s’agit de venir au secours d’une nation maltraitée par une caste corrompue par l’obsession diversitaire et l’argent des puissants. Parce que ces derniers ont trahi la confiance des plus fragiles, ils sont impardonnables.

  • Réflexions sur la Révolution en France

    Réflexions sur la Révolution en France

    Edmund Burke (1729-1797) est un penseur incontournable (j’ai pour ma part décidé d’arrêter de le contourner après la lecture du bouquin de Leo Strauss). Homme politique et philosophe, considéré comme le père du conservatisme moderne, et influent penseur libéral, il s’est opposé, dans le livre dont ce billet porte le titre, à  plusieurs aspects de la Révolution française (en 1790, dans une lettre qui était une réponse à  une demande d’un jeune noble français, auquel il s’adresse dans le texte). Philippe Raynaud le dit très bien dans sa préface à  l’édition que j’ai lue :
    L’extraordinaire force du livre de Burke tient donc à  la fois, outre ses éminentes qualités littéraires, à  la clarté avec laquelle s’y expriment tous les thèmes du conservatisme moderne et à  la lucidité dont faisait preuve l’auteur, bien avant les développements terroristes de la Révolution française.
    Si l’on devait caricaturer sa pensée, conservatrice, il s’oppose à  la violence de la Révolution française, sa frénésie de «table rase» au nom d’idéaux, l’absence de respect des institutions ayant montré leur utilité – notamment les expropriations, la violation des droits les plus élémentaires, les meurtres. C’est également une pensée pragmatique, ancrée dans le réel, et ne le sacrifiant au nom d’idéaux.
    Mais je ne saurais prendre sur moi de distribuer la louange ou le blâme à  rien de ce qui a trait aux actions ou aux affaires humaines en ne regardant que la chose elle-même, dénuée de tout rapport à  ce qui l’entoure, dans la nudité et l’isolement d’une abstraction métaphysique. Quoi qu’en disent certains, ce sont les circonstances qui donnent à  tout principe de politique sa couleur distinctive et son effet caractéristique. Ce sont les circonstances qui font qu’un système civil et politique
    est utile ou nuisible au genre humain. Si l’on reste dans l’abstrait, l’on peut dire aussi bien du gouvernement que de la liberté que c’est une bonne chose.

    Son attachement à  la réalité, à  la défense de la propriété comme droit inaliénable, aux traditions et aux institutions établies qui contiennent une partie de la sagesse, en font réellement un penseur central pour le libéral-conservatisme dont je défend l’émergence (le renouveau?). Je comprends qu’Hayek & Popper aient reconnu leur dette à  l’égard de Burke.
    L’idée m’avait marquée dans « Droit, Législation et Liberté » d’Hayek : les institutions en place, en général, dans les sociétés ouvertes, contiennent beaucoup d’éléments appris, et construits par essais/erreurs par les humains. Cela me rappelle le domaine scientifique et technologique, que je connais mieux : lorsqu’un savoir devient robuste, il est en général intégré dans des outils (règles, processus, outils, institutions, etc..). C’est logique qu’il en soit de même pour les savoirs de types « organisation sociale », ou « politiques ».
    La pensée de Burke me parle, enfin, car elle est humble (c’est souvent une posture caractéristique du pragmatisme : le réel a raison). Contre les constructivistes de tout poil qui prétendent réinventer la société de zéro à  partir de leur idéaux métaphysiques, Burke apporte un contrepoint important : la société telle qu’elle est, patiemment construite pendant des centaines d’années (des millénaires), est la seule matière utilisable pour construire. Burke n’est pas opposé au changement (sa vie prouve même l’inverse), il est simplement conservateur. Gardons ce qui est bon dans la société.
    « Réflexions sur la révolution française » est donc un livre essentiel. Surtout en France, où l’on nous bourre le crâne à  l’école avec la sacro-sainte Révolution française, censée être l’alpha et l’omega de la pensée, le point de départ de l’histoire française. Il y a trop de pages magnifiques dans ce livre, notamment sur ce qu’est la propriété, les droits de l’homme, pour en choisir un qui serait définitivement le meilleur. Je garde ce petit passage, car il dit beaucoup de ce que sont la liberté et la propriété.

    Il faut aussi, si l’on veut que la propriété soit protégée comme elle doit l’être, qu’elle soit représentée sous sa forme la plus massive, la plus concentrée. L’essence caractéristique de la propriété, telle qu’elle résulte des principes conjugués de son acquisition et de sa conservation, est l’inégalité.(…) Je suis aussi loin de dénier en théorie les véritables droits des hommes que de les refuser en pratique (en admettant que j’eusse en la matière le moindre pouvoir d’accorder ou de rejeter). En repoussant les faux droits qui sont mis en avant, je ne songe pas à  porter atteinte aux vrais, et qui sont ainsi faits que les premiers les détruiraient complètement. Si la société civile est faite pour l’avantage de l’homme, chaque homme a droit à  tous les avantages pour lesquels elle est faite. C’est une institution de bienfaisance ; et la loi n’est autre chose que cette bienfaisance en acte, suivant une certaine règle. Tous les hommes ont le droit de vivre suivant cette règle ; ils ont droit à  la justice, et le droit de n’être jugés que par leurs pairs, que ceux-ci remplissent une charge publique ou qu’ils soient de condition ordinaire. Ils ont droit aux fruits de leur industrie, ainsi qu’aux moyens de faire fructifier celle-ci. Ils ont le droit de conserver ce que leurs parents ont pu acquérir ; celui de nourrir et de former leur progéniture ; celui d’être instruits à  tous les âges de la vie et d’être consolés sur leur lit de mort. Tout ce qu’un homme peut entreprendre par lui-même sans léser autrui, il est en droit de le faire ; de même qu’il a droit à  sa juste part de tous les avantages que procurent le savoir et l’effort du corps social. Dans cette association tous les hommes ont des droits égaux ; mais non à  des parts égales. Celui qui n’a placé que cinq shillings dans une société a autant de droits sur cette part que n’en a sur la sienne celui qui a apporté cinq cents livres. Mais il n’a pas droit à  un dividende égal dans le produit du capital total. Quant au droit à  une part de pouvoir et d’autorité dans la conduite des affaires de l’État, je nie formellement que ce soit là  l’un des droits directs et originels de l’homme dans la société civile ; car pour moi il ne s’agit ici que de l’homme civil et social, et d’aucun autre. Un tel droit ne peut relever que de la convention.

  • Illibéralisme ?

    Illibéralisme ?

    Le dernier numéro de l’Incorrect est probablement le meilleur depuis le début. Il tape très fort en mettant l’accent sur ce qui se passe dans les pays de l’Est, et avec des interviews d’Eric Zemmour et Boualem Sansal. Et il m’a bousculé : dès l’édito de Jacques de Guillebon, La muselière, apparaît le mot illibéralisme. C’est un point de controverse récurrent avec mes amis de L’Incorrect : je suis le libéral de la bande, et ils n’entendent pas la liberté comme je l’entends.

    Bien sûr, il ne s’agit pas d’un tic de langage. Il s’agit d’un des thèmes mis en avant par Viktor Orban dans ses discours. Dire qu’il a théorisé l’illibéralisme, c’est tout de même un peu fort ; disons qu’il utilise le terme, et qu’il y a un mis un contenu. Le numéro du magazine m’a donc bousculé, énervé, et finalement m’a forcé à  réfléchir. Ce qui est le meilleur compliment que je puisse faire à  l’équipe de rédaction.

    Le libéralisme, bouc émissaire ?

    Raymond Boudon utilise également le terme illibéralisme pour désigner « cette théorie latente, souvent présente à  l’état semi-conscient, selon laquelle toute relation sociale conflictuelle serait un jeu à  somme nulle. Ce prisme d’analyse, très couramment utilisé, ignore qu’une possible coopération se cache derrière tout conflit […]». Rien à  voir, ou pas grand-chose avec ce dont il est question ici.

    Les opposants affichés au libéralisme font une sorte de gloubiboulga pour mettre sur le dos du libéralisme, tour à  tour : le consumérisme, la marchandisation du corps humain, l’abandon des frontières, Le libéralisme est devenu le bouc-émissaire idéologique par excellence.la perte d’identité. Et pourquoi pas la destruction de la planète, pendant qu’on y est ? Quelle boutade ! C’est la logique du bouc-émissaire, si bien décrite par René Girard : le libéralisme est devenu le bouc-émissaire idéologique par excellence. Comme l’avait bien décrit Christian Morel : quand il y a un problème, soit on cherche un coupable, le bouc émissaire, que l’on sacrifie pour exorciser le mal, soit on se comporte de manière rationnelle, et on cherche la manière de modifier nos modes de fonctionnements pour que le problème ne se pose pas à  nouveau dans quelques temps.

    Il est probablement commode de choisir le libéralisme comme bouc-émissaire. C’est surtout commode quand on vit dans une société dont le mode d’organisation, pacifique, ouvert, tolérant, libre, avec une égalité des citoyens devant la loi, doit à  peu près tout au libéralisme, et permet de dire à  peu près tout et n’importe quoi. Mais scier la branche sur laquelle on est assis n’a jamais constitué une manière adéquate de se comporter. Par ailleurs, choisir le libéralisme comme bouc-émissaire, c’est lui donner un caractère sacré, presque divin, qui n’est absolument pas juste intellectuellement. S’il y a une pensée rationnelle, peu idéologique, c’est bien le libéralisme. Sa vertu et sa cohérence doit probablement attiser des jalousies.

    Quelle est la fonction du bouc émissaire ? Celle d’expier les fautes pour le groupe, et de stopper la propagation de la violence. Ne sous-estimons pas les faits : le besoin et la recherche de bouc émissaire correspond à  une période sociale difficile, violente. Quelle est cette violence qui nécessite un bouc émissaire idéologique ? La vraie violence de la société d’abord, bien sûr. Les attentats. Le désarroi idéologique aussi, il me semble. Dans un époque où la vérité devient si difficile à  dire et à  discuter, où l’esprit rationnel et critique est si peu présent dans la société, il est probable que cette logique de victime expiatoire soit naturelle. Naturelle, mais dangereuse, car elle entretient une forme d’illusion de réglage des problèmes. On ne règle rien par la violence, et surtout pas dans la logique de bouc émissaire.

    Mais ça ne prend pas : intellectuellement, tout cela est du pipeau. Comment expliquer qu’il y a trop de libéralisme, dans un pays où l’état est omniprésent ? La libéralisme, c’est le respect de l’ordre spontané, la cattalaxie. La libéralisme, c’est la subsidiarité. Il n’y a pas grand chose dans la France de 2018 qui ressorte d’un excès de libéralisme.

    Est-on illibéral parce qu’on veut affirmer l’identité culturelle et historique de son pays ? Je ne crois pas, d’autant plus que notre identité culturelle est profondément occidentale et libérale.

    Les marxistes ont gagné ?

    Les marxistes ont réussi leur tour de force sémantique et idéologique : tout le monde, de l’extrême gauche à  l’extrême droite, rejette le libéralisme. La plupart du temps sans savoir ce que c’est. Mais la guerre idéologique est sur ce point, gagnée. Il est de bon ton, pour être audible, de cracher sur le libéralisme.

    Les vrais combats

    L’ennemi, on l’aura compris, n’est pas le libéralisme. Quel est-il ? Il y a, à  mon sens, deux choses qu’il s’agit de combattre, et qui ressortent d’un même trait, à  savoir une tendance à  l’excès : un excès d’ouverture à  des moeurs et éléments venant d’autres civilisations, et un excès dans l’expansion des droits à , qui est un trait de notre propre culture démocratique.

    Excès de tolérance

    Pour faire vite, par excès de tolérance à  la différence et dans une forme écoeurante de relativisme moral, nous avons laissé en France se développer des moeurs, et des modes de fonctionnement qui ne sont pas compatibles avec les valeurs occidentales. Les zones de non-droit, le communautarisme, la mise sous coupe réglée d’une partie de la communauté musulmane par les islamistes sont quelques exemples. Ces incompatibilités, ces différences, sont toujours au fond liées à  des différences de civilisations, donc de religion.
    En laissant se développer l’islam radical, par aveuglement anticlérical conduisant à  nier le fait religieux, on a provoqué un retour vers l’expression politique du fait religieux. Le christianisme doit-il s’engouffrer là -dedans ? Notre excès de tolérance nous a conduit à  tolérer des moeurs inacceptablesLes politiciens conservateurs, ou simplement amoureux de leur pays, doivent-ils nécessairement porter le drapeau d’une religion dans leurs combats politique ? Je ne le crois pas. Le christianisme, qui a inventé la laïcité, se perdrait dans ce jeu de dupes.
    C’est aux politiciens de lutter contre l’idéologie islamique, pas aux religieux. Ce faisant les catholiques et autres chrétiens tombent dans le piège redoutable d’accréditer l’idée selon laquelle l’islam serait une religion, au même titre que le christianisme. Ce qui est faux. Le christianisme est sécularisé. Le christianisme ne prône pas la guerre mais l’exemplarité, par la vertu. Sur les liens, entre politique, conservatisme et religions, je ne résiste pas à  citer un passage d’Hayek, grand philosophe, issu d’un article, « Why i am not conservative« , où il explique que le terme « libéral » a déjà  été tellement abîmé par la gauche qu’il hésite à  se dire encore « libéral ».
    Il y a cependant un aspect qui justifie de dire que le libéral occupe une position à  mi-chemin entre le socialiste et le conservateur: il est aussi éloigné du rationalisme brut du socialiste qui veut reconstruire toutes les institutions sociales selon un modèle prescrit par sa raison individuelle, que du mysticisme auquel le conservateur doit si souvent recourir. Ce que j’ai décrit comme la position libérale partage avec le conservatisme une méfiance envers la raison dans la mesure où le libéral est très conscient du fait que nous ne connaissons pas toutes les réponses, et qu’il n’est pas sûr que les réponses qu’il a sont certainement les bonnes ou même que nous pouvons trouver toutes les réponses. Il ne refuse pas non plus de demander de l’aide à  des institutions ou des habitudes non rationnelles qui ont fait leurs preuves. Le libéral se distingue du conservateur par sa volonté de faire face à  cette ignorance et d’admettre à  quel point nous savons peu de choses, sans revendiquer l’autorité de sources de connaissances surnaturelles là  où sa raison lui manque. Il faut bien admettre que, sous certains aspects, le libéral est fondamentalement un sceptique – mais avec suffisamment de modestie pour laisser les autres chercher leur bonheur à  leur manière et pour adhérer systématiquement à  cette tolérance qui est une caractéristique essentielle du libéralisme.

    Il n’y a aucune raison pour que ce besoin signifie une absence de croyance religieuse de la part des libéraux. À la différence du rationalisme de la Révolution française, le libéralisme vrai n’a rien contre la religion, et je ne peux que déplorer l’anticléricalisme militant et essentiellement illibéral qui animait le libéralisme continental du XIXe siècle. Le fait que cela n’est pas essentiel dans le libéralisme est clairement démontré par ses ancêtres anglais, les Old Whigs, qui, au contraire, étaient bien trop étroitement liés à  une croyance religieuse particulière. Ici, ce qui distingue le libéral du conservateur, c’est que, aussi profondes que soient ses croyances spirituelles, il ne se considérera jamais comme ayant le droit de les imposer aux autres et que, pour lui, le spirituel et le temporel sont des sphères différentes qui ne doivent pas être confondues.
    Notre excès de tolérance nous a conduit à  tolérer des moeurs inacceptables, à  commencer par la place de la femme dans l’islam, et par le rejet de la liberté de croyance, et de la laïcité. Rien de tout cela n’est attribuable au libéralisme.

    Expansion infinie des « droits à  … »

    Pierre Manent en a très bien parlé dans son dernier ouvrage. Notre culture démocratique nous a conduit à  accroître sans cesse l’exigence de nouveaux droits, qui dépassent maintenant largement les droits naturels qui avaient été explicités par les différents textes des révolutions libérales. Cet excès, interne à  l’Occident, et non plus externe, doit évidemment être combattu avec force. Je crois que c’est une partie de la discussion. Les dérives eugénistes, GPA, et autres délires transhumanistes, n’ont pas tellement de rapport avec le libéralisme, mais plutôt avec un manque d’éducation, de barrières morales délimitant le bien et le mal. Pas grand-chose à  voir avec le libéralisme.

    Il est tout de même piquant que ces deux choses (excès de tolérance, extension infinie des droits), que je crois lire dans les critiques du libéralisme, soient des excès ; alors que le libéralisme est une philosophie qui justement a pensé les limites que l’on devait poser au pouvoir et à  la liberté pour que la société soit juste. Le libéralisme est une pensée de la modération et de la régulation ; lui attribuer des excès est tout de même bien paradoxal, voire franchement ridicule.

    Libéral-conservatisme

    Combattre ces deux excès – excès de tolérance à  la différence, et excès d’extension des droits – doit être notre combat. Et si la cible est une partie de nos élites, alors critiquons les pour de vraies raisons… les tenants d’une Europe qui nierait l’identité des peuples ne pèchent pas par libéralisme, ils pèchent par manque d’enracinement dans leur propre histoire. C’est probablement une forme d’universalisme un peu abstrait et niant les particularismes que l’on pourrait leur reprocher, certainement pas leur libéralisme.

    Illibéralisme ou conservatisme ?

    Le petit encart de Benoît Dumoulin (p 58) pose très bien le débat. En gros, l’illibéralisme n’est pas opposé aux valeurs fondamentales du libéralisme, mais est simplement la forme actuelle « la plus aboutie du conservatisme ». Et l’on retombe sur l’éternel problème de la droite, qui décidément ne veut pas comprendre qu’elle doit être capable de faire la synthèse entre libéralisme et conservatisme, non pas de continuer à  opposer les deux.

    Il n’y a, à  mon sens, aucune incohérence dans une position politique libérale-conservatrice. Continuer à  opposer les deux, c’est manquer ce qui permettrait d’unifier, justement, la droite. Et le grand paradoxe de ce numéro de l’incorrect, c’est que Chantal Delsol, toujours passionnante, et connue pour son positionnement libéral-conservateur, rentre dans ce credo « illibéral », au lieu de nous aider à  articuler les deux, et d’être ainsi la cheville ouvrière de l’union des droites.

    La tolérance et les droits naturels sont au coeur de la pensée libérale. Il suffit pour cela de relire cette très belle phrase du préambule de la Déclaration d’indépendance américaine :

    Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur.

    C’est l’excès de tolérance dont nous avons collectivement fait preuve qui fait du libéralisme une cible. Mais ni la tolérance, ni la liberté, ne doivent devenir nos ennemis. Ce sont de belles choses. Battons-nous contre ce qui n’est pas tolérable (y compris la tolérance à  l’intolérable), et n’unissons pas nos cris à  ceux qui ne visent qu’une forme ou une autre d’asservissement.

    Il appartient aux intellectuels de droite ou de gauche, de France et de Navarre, d’articuler tout cela et de penser les tensions et les paradoxes : l’universel et le particulier, la tolérance et l’identité, la liberté et l’égalité.

    L’illibéralisme n’est pas le bon outil conceptuel. Qu’Orban soit un allié potentiel pour réinventer une Europe qui assume son identité, c’est une chose. Cela ne fait pas de l’illibéralisme, mot niant la liberté, un idéal intéressant.

  • Politique et éthique [bis]

    Politique et éthique [bis]

    J’avais il y a quelque temps publié un article pour essayer de dégager/construire une grille de positionnement politique. Les commentaires (et les discussions avec certains en chair et en os) m’avaient conduit à  chercher un peu plus, et à  rencontrer le cadre conceptuel d’Arnold Kling.

    Cadre conceptuel d’Arnold Kling

    J’étais tombé sur le blog de Nicomaque (alias Damien Theillier), que j’ai eu la chance de côtoyer à  l’époque de mon activité de blogueur politique (LHC et compagnie). L’article en question revient sur le découpage proposé par Arnold Kling, économiste et membre du CATO institute. Ce découpage consiste à  expliquer qu’il existe trois types de pensées politiques : conservatrice, progressiste et libérale. Chacune ayant sa grille de lecture, sa tension centrale, son axe entre un Bien et un Mal. Ces différentes grilles de lecture du monde expliquent en partie la difficulté de dialoguer entre courants politiques. Je vous invite à  lire l’article de Nicomaque en entier, il vaut le détour. Pour rappel je recolle ici les tensions identifiées par Kling :

    PROGRESSISME
    Opprimés <————————-> Oppresseurs

    CONSERVATISME
    Civilisation <————————-> Barbarie

    LIBÉRALISME
    Libre-choix <————————-> Coercition

    Adaptation et mise en image

    Je les ai modifiées un peu, car je trouvais intéressant les points suivants :

    • chaque tension peut être lue comme un axe Bien/Mal. J’ai donc modifiée celui des progressistes pour le formuler avec un Mal (l’oppression) et un Bien (l’Egalité). De même, pour les libéraux, étant connaisseur de la pensée libérale, le terme de coercition me parait inadapté. Les libéraux ne sont pas contre l’application de la Loi, ils sont contre son extension infinie par la réglementation constructiviste. J’ai donc choisi le terme d’irresponsabilité (un peu faible, mais qui décrit mieux le positionnement libéral).
    • Un axe Bien/Mal m’a envoyé dans un registre moral, au sens propre du terme. Qu’est-ce que la morale, si ce n’est cette tension entre l’être et le devoir-être ? L’être, c’est le réel. Et le devoir-être, c’est le monde de l’idéal visé. Intéressant pour tempérer les velléités idéologiques. Rester relié au réel, bien sûr. Mais aussi accepter que les autres courants de pensée disent quelque chose de ce réel qui est tout aussi recevable.
    • j’ai tenté de formuler ce qui peut être commun aux courants de pensée (pris deux à  deux) sur les bords du triangle. Par construction, chaque courant trouverait ce qui l’oppose aux deux autres sur le bord opposé du triangle.

    Le résultat est la figure qui illustre l’article. Qu’en pensez-vous ? Est-ce que cela fonctionne à  votre avis ? Seriez-vous capable de vous positionner dans un des courants ? Lequel est le plus loin de vous ? Dans mon cas, cela fonctionne pas trop mal. Je me sens libéral-conservateur (si je devais choisir, car par ailleurs je crois au Progrès…)

  • De la liberté de travailler

    Débat douteux…

    La discussion a été lancée chez Le Chafouin : autoriser le travail le dimanche est-il « dangereux » ? Il se trouve que tout le monde semble d’accord là -dessus[1. à  part bien sûr Criticus, qui est venu peser dans la discussion] : les gauchistes vigilants sont du même avis que Le Chafouin, ainsi que Koz, qui au passage m’a traité de naïf. Parce que je défendais le droit, simple pourtant et fondamental, de travailler librement. Je ne sais si c’est le dimanche qui est sensible, ou le travail. Peut-être les deux, d’ailleurs. Beaucoup de conservatisme, en tout cas. Au sens tout à  fait déplaisant du terme, car en l’occurrence simplement synonyme d’immobilisme.
    Le Chafouin récidive aujourd’hui, en donnant d’autres arguments. Arguments que je comprends – faut-il le préciser ? – mais que je trouve bien faibles comparés au respect de la liberté individuelle.
    Deux remarques :

    • le fond de ce débat me semble particulièrement « constructiviste », c’est-à -dire qu’il ressort d’une vision d’un gouvernement qui devrait s’occuper de diriger les moindres menus détails d’organisation de la vie des citoyens. Au mépris de la liberté d’action de ces individus qu’il prétend protéger. N’est-ce pas protéger et garantir la liberté – l’un des droits fondamentaux des individus – que de permettre le travail le dimanche ?
    • un relent assez pénible est sous-jacent à  la discussion : le fait que certains prétendent savoir mieux que les autres ce qui est bon pour eux. En exemple, le fait qu’il y en a « marre de voir des gens se promener en famille dans les centres commerciaux ! Ils seraient aussi bien en forêt à  cueillir des champignons ». Quelle extraordinaire intolérance, et quel extraordinaire complexe de supériorité. Les gens sont des veaux, c’est bien connu, et je vais leur expliquer comment vivre bien. C’est à  dire comme moi. Logique totalitaire. Laissez-donc les gens vivre leur vie comme ils l’entendent !

    La réalité

    Outre le fait que le travail dominical est déjà  une réalité bien installée en France (on se demande donc pourquoi la Loi devrait être différente selon la catégorie sociale à  laquelle on appartient), les intentions exprimées par Xavier Bertrand sont pourtant assez claires :

    « Le dimanche n’est pas un jour comme les autres, c’est vrai. Mais il faut aussi voir comment les choses évoluent. Nous ne pouvons pas refuser à  des personnes qui souhaitent travailler le dimanche de le faire », a-t-il expliqué. Selon lui, la réglementation doit « aussi apporter des garanties », avec un travail le dimanche « mieux payé et surtout le droit au refus pour le salarié ».

    Rétablir la liberté de travailler

    Le gouvernement devrait, par pédagogie, éviter de laisser sous-entendre par ses propos que les salariés n’ont pas le droit de refuser ce que lui impose un employeur. La liberté contractuelle est toujours la règle en France (à  moins que j’ai loupé un épisode) : un contrat peut toujours se rompre, dans des conditions définies a priori, d’un côté comme de l’autre.
    Et il devrait bien plutôt s’occuper de déréglementer, plutôt que d’essayer de faire bouger les choses dans le bon sens en rajoutant une réglementation à  celles – nombreuses – qui existent déjà , et qui bloquent les initiatives privées et l’innovation sociale.