Étiquette : Libéralisme

  • Modernité et morale

    Modernité et morale

    Le recueil d’essais de Charles Larmore, « Modernité et morale » (aux Editions PUF), est un livre essentiel dans tous les sens du terme : les sujets traités me paraissent être importants, centraux, et la manière de les aborder est dense, précise, humble et ambitieuse à  la fois. Je vais ici faire une brève recension des thèmes abordés, et je m’appuierai dessus pour d’autres billets. Le livre est trop dense pour être « résumé » dans un billet de blog. J’ai corné les pages, et noirci le livre de notes. Un excellent bouquin qui m’a accompagné cet été, et dont je relirai à  coup sûr certains passages. C’est un livre d’une grande clarté, et d’une complexité assez élevée : les raisonnements, solides, vont vite à  l’essentiel. Il faut s’accrocher un peu. La clarté, pour Larmore et la philosophie analytique, est une approche rationnelle, et logique, de l’argumentation :

    Une position philosophique est claire dans la mesure où l’on spécifie les conditions dans lesquelles on l’abandonnerait.

    Cette phrase résume bien l’éthique de la pensée chère à  Larmore. L’introduction de son livre vise à  expliquer que selon lui la philosophie n’a pas besoin de se prendre elle-même pour objet, et que les a priori des deux grandes écoles de philosophie (analytique et phénoménologique) sont à  rejeter. Il reste, et c’est un des succès de la philosophie analytique, une éthique de la pensée, visant clarté et adéquation au réel.
    Car il y a non seulement des normes pratiques concernant comment il faut agir, mais aussi des normes cognitives concernant comment il faut penser. En conséquence, il y a des vertus intellectuelles aussi bien que des vertus morales. (…) Au coeur de ce que je conçois comme l’éthique de la pensée, en philosophie comme dans tout domaine, est l’honnêteté intellectuelle qui reconnait la probabilité de l’erreur et l’assume par la recherche de la clarté.

    Connaissance morale

    La première partie vise à  établir dans quel sens une connaissance morale est possible. C’était la raison de l’achat de ce livre : en lisant Popper, je m’étais posé cette question. Larmore y répond de manière magistrale et simple, il me semble. Et en s’appuyant sur des raisonnements, et une vision de la réalité proche de celle de Popper : un réalisme critique, faisant de la place, dans le réel, à  côté des objets tangibles, et des ressentis psychologiques, aux normes et aux idées. Pour plus de détails, voir mon article résumant la description du réel par Karl Popper.
    Larmore amène des éléments très intéressants dans la manière dont nous devons concevoir les faits moraux, en les situant explicitement dans le monde 3 de Popper :
    Il suppose (…) que s’il existait des faits moraux, ils devraient ressembler aux faits physiques et psychologiques en étant accessibles à  la perception ou à  l’observation ; étant donné cette supposition, la manière dont de tels faits peuvent jouer un rôle dans la causalité psycho-physique doit certainement paraitre mystérieuse. Mais on n’a pas besoin de concevoir ainsi les faits moraux. Au lieu d’être un élément supplémentaire du monde perceptible, les faits moraux peuvent se concevoir comme des raisons, donc comme faisant partie de l’ensemble des raisons de croire et d’agir que nous pouvons reconnaître, non par la perception, mais par la réflexion.
    Larmore, in fine, pense – et je suis en accord avec lui – que « le naturalisme est un des grands préjugés de notre époque ».
    Or nous devons admettre que le monde (…) englobe non seulement la réalité physique et psychologique, mais également une réalité normative. Ou, comme les sophistes, nous devons renoncer à  la raison pour nous abandonner à  la persuasion. Loin d’être légitimé par les succès de la science moderne, le naturalisme, comme le non-cognitivisme moral qu’il inspire, s’avère l’ennemi mortel de la raison.

    Coïncidence ? Un des blogs que je suis vient de publier une copieuse note de méta-éthique sur la « naturalité du Bien, et je pense que je vais commencer par là .

    Morale des anciens et des modernes

    A la suite de Henry Sidqwick, Larmore explique que l’approche de la morale est radicalement différente selon que l’on considère la notion de juste ou la notion de bien comme fondamentale. Ces deux conceptions par ailleurs, sont un marqueurs de ce qu’est la modernité :
    La priorité du bien est au centre de l’éthique grecque, tandis que l’éthique moderne accorde la priorité à  la notion de juste.
    Kant, et d’autres, on fait émerger cette conception centrée sur le juste de la morale. Le coeur du débat est que le bien n’est plus un terrain d’entente.
    C’est un acquis irrévocable du libéralisme politique que le sens de la vie est un sujet sur lequel on a une tendance naturelle et raisonnable, non pas à  s’accorder, mais à  différer et à  s’opposer les unes aux autres. De là , l’effort libéral pour déterminer une morale universelle, mais forcément minimale, que l’on puisse partager aussi largement que possible en dépit de ses désaccords.
    Larmore détaille ensuite notre rapport aux croyances, central dans la réflexion morale (on pense toujours dans un ensemble de croyances), et à  la connaissance morale.
    J’ai déjà  fait remarquer qu’il est fort possible de justifier la validité de certaines obligations morales, si au lieu de s’élever à  un point de vue absolument détaché, on s’appuie sur la validité d’autres obligtations que l’on accepte déjà . (…) Cette épistémologie repose sur un fait évident et sur deux normes cognitives qui sont aussi importantes qu’elles ont été négligées. Le fait, est que nous nous trouvons toujours en possession d’une multitude de croyances. A ce fait, s’ajoutent les principes suivants : 1/ Il nous faut une bonne raison pour douter comme il nous en faut une pour conclure (…) 2/ Justifier une proposition n’est pas simplement donner des prémisses vraies d’où elle découle, c’est donner des raisons qui dissipent des doutes sur sa vérité. (…) Pris ensemble, ces deux principes ont pour conséquence qu’il ne nous faut justifier une croyance que nous avons déjà  que si nous avons d’abord trouvé des raisons de croire qu’elle est douteuse. C’est en cette conséquence qu’apparaît la nouveauté de ces deux principes. D’habitude, on suppose que la raison exige que chacune de nos croyances soit soumise à  la justification. (Souvent cette supposition prend la forme de l’exigence que des croyances servant à  justifier d’autres croyances doivent elles-mêmes se justifier.) Cette supposition est devenue si habituelle, si irréfléchie que l’on a oublié ses intentions originelles. Elle ne provient pas tant de la raison que de l’aspiration métaphysique à  regarder le monde sub specie aeternitatis. (…) La question décisive est donc de savoir si nous voulons d’une épistémologie qu’elle soit un guide à  l’éternité ou qu’elle soit un code pour la solution de problèmes. Si nous abandonnons cette aspiration métaphysique et prenons comme règle qu’il faut avoir des raisons positives de croire qu’une croyance existante peut être fausse pour la mettre en doute et donc pour en exiger la justification, la notion que toutes les croyances devraient être justifiées disparaîtra. Le seul fait que nous ayons déjà  une croyance, et que nous l’ayons à  cause de notre contexte historique, n’est pas une bonne raison de croire qu’elle puisse être fausse ni donc d’exiger qu’elle soit justifiée. De plus, si nous trouvons en effet des raisons positives de la mettre en doute, nous devons continuer à  nous appuyer sur nos autres croyances existantes, non seulement pour chercher une solution à  ce doute, mais aussi préalablement pour découvrir les raisons positives qui sont à  la source de notre doute. Selon cette conception, il n’existe aucune opposition entre enracinement historique et rationalité.

    Hétérogénéité de la morale

    J’en avais parlé récemment (et Silberzahn aussi dans un très bon billet): un débat existe entre deux approche de la morale : éthique de responsabilité (conséquentialisme) et éthique de conviction (déontologie). Larmore propose une vision plus large, et explique la morale est hétérogène. A nous de nous dépatouiller avec les exigences parfois contradictoires de 3 principes généraux.
    J’appelerais ces trois principes : principe de partialité, principe conséquentialiste et principe déontologique. Ils se situent tous trois à  un niveau élevé de généralité. Le principe de partialité sous-tend les obligations « particularistes » qui ne s’imposent à  nous qu’en vertu d’un certain désir ou intérêt que nous nous trouvons avoir. (…) Le principe de partialité exprime donc une priorité du bien sur le juste. (…) Les deux autres principes pratiques – les principes conséquentialiste et déontologique – sont universalistes et représentent des obligations catégoriques. Le principe conséquentialiste exige que l’on fasse ce qui produira globalement le plus grand bien (la plus grande somme algébrique de bien et de mal), eu égard à  tous ceux qui sont affectés par notre action. (…) Le principe déontologique exige que l’on ne fasse jamais certaines choses (ne pas respecter une promesse, dire des mensonges, tuer un innocent) à  autrui, même s’il doit en résulter globalement un moindre bien ou un plus grand mal. (…) Contrairement au principe de partialité, ces deux principes impliquent des devoirs qui sont catégoriques et s’imposent à  l’agent, quels que puissent être ses désirs ou ses intérêts. Ils expriment, par conséquent, une priorité du juste sur le bien. Il me semble que toute personne réfléchie reconnaît, dans une certaine mesure, les exigences de ces trois principes.

    Philosophie politique : libéralisme et romantisme

    Je vais devoir sur ce sujet comprendre pourquoi Larmore met sous le terme de « romantisme » ce que j’appelle habituellement « conservatisme » (des courants de pensée valorisant, en opposition à  l’individualisme, l’appartenance et les coutumes, la tradition). Au-delà  de ce problème sémantique, il me semble qu’il offre une belle piste pour marier les deux, du moins en Occident. Le libéralisme n’est pas un idéal de plus, parmi d’autres ; le libéralisme prend acte de l’impossibilité de mettre tout le monde d’accord et propose un socle minimal de règles éthiques pour rendre possible la vie ensemble.
    Il est dangereux de faire du libéralisme une conception de plus parmi toutes les visions partisanes et controversées de la vie bonne, car il ne représentera plus alors la solution crédible à  l’un des problèmes moraux et politiques les plus pressants des Temps modernes. Il ne sera plus qu’un autre élément du problème. La conviction que la nature de la vie bonne ne peut vraisemblablement pas faire l’objet d’un accord raisonnable est un trait distinctif de la pensée moderne. Quand il s’agit du sens de la vie, toute discussion entre personnes raisonnables ne tend pas naturellement vers le consensus, comme le pensait Aristote, mais vers la controverse. Plus on parle d’un tel sujet, plus le désaccord croît, même en nous-mêmes, comme le fit observer Montaigne. Le libéralisme a représenté l’espoir que, malgré cette tendance au désaccord sur des questions d’une importance suprême, nous pourrions trouver le moyen de vivre ensemble sans recourir à  la force. Dans le libéralisme s’exprime la conviction que l’on peut s’accorder sur une morale élémentaire tout en continuant de se trouver en désaccord sur ce qui donne sens à  la vie.
    Au bout du compte, cette conviction se révèlera peut-être sans fondement. Il est possible que le libéralisme ne soit qu’un idéal partisan de plus. Mais s’il en est ainsi, alors à  moins de se dissoudre dans la lumière d’un Bien compréhensif et irrésistible, l’expérience moderne ne connaîtra qu’un avenir politique où « des armées ignorantes s’affronteront dans la nuit. »

    Ce passage m’a fait penser à  Von Mises (bizarrement, Larmore ne cite jamais ni Von Mises, ni Hayek, ce qui ne manque pas de me surprendre) :
    Le libéralisme est rationaliste. Il soutient qu’il est possible de convaincre l’immense majorité que la coopération paisible dans le cadre de la société sert mieux les intérêts justement compris que les batailles mutuelles et la désintégration sociale. Il a pleine confiance dans la raison de l’homme. Il se peut que cet optimisme ne soit pas fondé et que les libéraux se trompent. Mais alors il ne reste plus aucun espoir pour l’avenir de l’humanité.
    Par ailleurs, et c’est autre sujet que Larmore n’aborde pas directement, bien que central, je pense qu’à  force d’ouvrir nos sociétés, via l’immigration, à  des cultures trop différentes, nous avons sapé cette approche du libéralisme ; il n’est pas possible de faire coexister des cultures trop différentes au même endroit. Le socle commun pour cette approche libérale devient trop restreint.
    La question centrale de la philosophie politique : quels sont les principes d’association politique qu’il est juste d’établir ?, est une question morale. Mais c’est une question autrement difficile dans les conditions modernes, où l’on s’est progressivement rendu compte que la vraie religion, le sens de la vie, la nature de la vie réussie sont des sujets sur lesquels les individus raisonnables ont une tendance naturelle, non pas à  s’accorder, mais différer et à  s’opposer les uns aux autres. Il nous faut alors chercher une morale universelle, mais minimale, que l’on puisse partager aussi largement que possible, en dépit de ces désaccords. C’est la conception du libéralisme politique que je développe et défends dans les essais de cette partie. Tout en me situant dans le camp libéral, je veux pourtant séparer la pensée libérale des idéeaux d’individualisme et d’autonomie que certains de ses grands théoriciens (Kant et Mill, par exemple) y ont associés. En tant qu’effort pour repérer une morale commune en dépit des controverses sur la nature du bien, le libéralisme devrait aussi éviter de prendre parti dans une des principales controverses culturelles des deux derniers siècles, celle qui à  partir du Romantisme oppose les partisans de l’individualisme et les champions de l’appartenance à  des traditions. C’est en ce sens que j’essai de reformuler la pensée libérale.
    J’ai trouvé cette volonté très intéressante, et elle rejoint certaines de mes envies naïves. J’ai donc noté avec attention les auteurs français mentionnés par Larmore (qui a écrit ce livre en français directement, à  la demande de Monique Canto-Sperber), dont la pensée lui est proche, et qu’il va falloir que je lise : Luc Ferry (que je connais un peu), Marcel Gauchet et Alain Renaut. Le programme est tracé.

  • Les traîtres

    Les traîtres

    Quand je suis arrivé à  Paris, pour faire mes études, je ne m’informais pas beaucoup. J’avais 20 ans, et le monde politique était loin de mes préoccupations. Mais j’achetais tous les vendredis, sans faute, Le Figaro pour lire le petit texte d’Ivan Rioufol.

    Depuis toujours, dans le réel

    Il me parlait, et analysait, contrairement à  beaucoup d’autres journalistes, du réel. Son petit bloc-notes hebdomadaire était ma gazette pour savoir ce qui se passait. J’ai par la suite, avec l’arrivée d’internet et des blogs, mis les mains dans le cambouis en écrivant sur un blog politique et en animant un réseau de blogueurs politiques (LHC, pour Liberté d’expression, Humanisme, et esprit Critique). Nous avions eu le grand plaisir de l’accueillir, un soir, lors de notre réunion mensuelle de blogueurs. Il était venu nous présenter, dans les locaux que Contribuables Associés mettaient gentiment à  notre disposition, son dernier ouvrage.
    Depuis cette époque je continue de suivre ce que fait et écrit Rioufol. « Aujourd’hui, l’urgence est de sortir du mensonge, de la désinformation, de la haine autodestructrice, qui sont devenus les trous noirs de la civilisation occidentale »C’est un intellectuel courageux, et qui a été très souvent en première ligne, malgré les vents contraires. Très tôt lucide sur la menace que faisait peser l’immigration massive et le multiculturalisme érigé en modèle de société, sans jamais se départir de sa tolérance, il est également proche dans sa ligne libérale-conservatrice de ce que je peux penser du monde : Ivan Rioufol fait partie des quelques intellectuels qui savent, quand ils parlent de libéralisme, de quoi ils parlent. Son amitié avec Alain Laurent n’y est peut être pas pour rien. Ivan Rioufol, sur les sujets de société, me semble très proche dans son analyse, des réflexions proposées par Bock-Côté sur le « régime diversitaire » qui est devenu notre politiquement correct.

    Retour sur la colère des Gilets jaunes

    Dans son dernier ouvrage, Les traîtres (aux éditions Pierre Guillaume De Roux), Rioufol nous parle du mouvement des Gilets jaunes, qu’il a vu naître d’un bon oeil, et qu’il a suivi, soutenu, et dont il continue à  se faire volontiers le porte-parole. Le titre, qui désigne les responsables politiques français, ou les élites (prises dans le même sens que dans l’ouvrage remarquable de Pierre Mari, En pays défait) est très dur. Mais il faut bien reconnaitre qu’il est juste. Ce n’est pas le titre qui est dur, de fait, c’est la réalité dans laquelle des années de laxisme politique nous ont plongé. La crise du CoVid19 ne fait, malheureusement, que confirmer ce terrible constat : la France est un pays abimé, et dont la culture, le style de vie, les traditions sont volontairement défaits par les dirigeants. Je ne dirais pas tout avec les mêmes mots que Rioufol, mais je suis d’accord avec ses analyses. J’y retrouve la colère que peut susciter le suivi de l’actualité française (ce que je fais quotidiennement grâce à  Twitter et à  de nombreux sites d’infos). Rioufol ne m’a pas appris tant que cela dans ce livre, parce qu’il fait partie de ceux dont je m’alimente régulièrement : si ce n’est pas votre cas, je vous recommande chaudement la lecture de ce livre qui va droit au but, sans rhétorique, et avec humilité. Je termine ce modeste billet en laissant le mot de la fin à  Ivan Rioufol :
    Les Gilets jaunes l’ont démontré : seule la société civile est encore capable de se rebeller contre les clercs qui, droite et gauche confondues, persistent à  faire de la France un pays amnésique et déculturé, ouvert aux manipulations génétiques et idéologiques. Les âmes fortes sont les bienvenues. La place prise par l’insignifiance et l’émotion dans les grands débats publics laisse voir la paresse qui a envahi les comportements médiatiques, adeptes de la copie conforme et de l’infantilisation des débats. Le monde intellectuel s’est lui-même laissé endormir par le conformisme et le manichéisme de l’utopie mondialiste. Il doit se réveiller. Aujourd’hui, l’urgence est de sortir du mensonge, de la désinformation, de la haine autodestructrice, qui sont devenus les trous noirs de la civilisation occidentale, et de la France tout particulièrement. (…) Le combat à  mener est splendide : il a pour objectif de soutenir l’esprit pionnier des Gilets jaunes et de prendre la relève. Elle passe par le rétablissement de la démocratie confisquée, la redécouverte du patriotisme, le retour à  la liberté de penser, la prise de distance avec l’individualisme. Il s’agit de venir au secours d’une nation maltraitée par une caste corrompue par l’obsession diversitaire et l’argent des puissants. Parce que ces derniers ont trahi la confiance des plus fragiles, ils sont impardonnables.

  • Réflexions sur la Révolution en France

    Réflexions sur la Révolution en France

    Edmund Burke (1729-1797) est un penseur incontournable (j’ai pour ma part décidé d’arrêter de le contourner après la lecture du bouquin de Leo Strauss). Homme politique et philosophe, considéré comme le père du conservatisme moderne, et influent penseur libéral, il s’est opposé, dans le livre dont ce billet porte le titre, à  plusieurs aspects de la Révolution française (en 1790, dans une lettre qui était une réponse à  une demande d’un jeune noble français, auquel il s’adresse dans le texte). Philippe Raynaud le dit très bien dans sa préface à  l’édition que j’ai lue :
    L’extraordinaire force du livre de Burke tient donc à  la fois, outre ses éminentes qualités littéraires, à  la clarté avec laquelle s’y expriment tous les thèmes du conservatisme moderne et à  la lucidité dont faisait preuve l’auteur, bien avant les développements terroristes de la Révolution française.
    Si l’on devait caricaturer sa pensée, conservatrice, il s’oppose à  la violence de la Révolution française, sa frénésie de «table rase» au nom d’idéaux, l’absence de respect des institutions ayant montré leur utilité – notamment les expropriations, la violation des droits les plus élémentaires, les meurtres. C’est également une pensée pragmatique, ancrée dans le réel, et ne le sacrifiant au nom d’idéaux.
    Mais je ne saurais prendre sur moi de distribuer la louange ou le blâme à  rien de ce qui a trait aux actions ou aux affaires humaines en ne regardant que la chose elle-même, dénuée de tout rapport à  ce qui l’entoure, dans la nudité et l’isolement d’une abstraction métaphysique. Quoi qu’en disent certains, ce sont les circonstances qui donnent à  tout principe de politique sa couleur distinctive et son effet caractéristique. Ce sont les circonstances qui font qu’un système civil et politique
    est utile ou nuisible au genre humain. Si l’on reste dans l’abstrait, l’on peut dire aussi bien du gouvernement que de la liberté que c’est une bonne chose.

    Son attachement à  la réalité, à  la défense de la propriété comme droit inaliénable, aux traditions et aux institutions établies qui contiennent une partie de la sagesse, en font réellement un penseur central pour le libéral-conservatisme dont je défend l’émergence (le renouveau?). Je comprends qu’Hayek & Popper aient reconnu leur dette à  l’égard de Burke.
    L’idée m’avait marquée dans « Droit, Législation et Liberté » d’Hayek : les institutions en place, en général, dans les sociétés ouvertes, contiennent beaucoup d’éléments appris, et construits par essais/erreurs par les humains. Cela me rappelle le domaine scientifique et technologique, que je connais mieux : lorsqu’un savoir devient robuste, il est en général intégré dans des outils (règles, processus, outils, institutions, etc..). C’est logique qu’il en soit de même pour les savoirs de types « organisation sociale », ou « politiques ».
    La pensée de Burke me parle, enfin, car elle est humble (c’est souvent une posture caractéristique du pragmatisme : le réel a raison). Contre les constructivistes de tout poil qui prétendent réinventer la société de zéro à  partir de leur idéaux métaphysiques, Burke apporte un contrepoint important : la société telle qu’elle est, patiemment construite pendant des centaines d’années (des millénaires), est la seule matière utilisable pour construire. Burke n’est pas opposé au changement (sa vie prouve même l’inverse), il est simplement conservateur. Gardons ce qui est bon dans la société.
    « Réflexions sur la révolution française » est donc un livre essentiel. Surtout en France, où l’on nous bourre le crâne à  l’école avec la sacro-sainte Révolution française, censée être l’alpha et l’omega de la pensée, le point de départ de l’histoire française. Il y a trop de pages magnifiques dans ce livre, notamment sur ce qu’est la propriété, les droits de l’homme, pour en choisir un qui serait définitivement le meilleur. Je garde ce petit passage, car il dit beaucoup de ce que sont la liberté et la propriété.

    Il faut aussi, si l’on veut que la propriété soit protégée comme elle doit l’être, qu’elle soit représentée sous sa forme la plus massive, la plus concentrée. L’essence caractéristique de la propriété, telle qu’elle résulte des principes conjugués de son acquisition et de sa conservation, est l’inégalité.(…) Je suis aussi loin de dénier en théorie les véritables droits des hommes que de les refuser en pratique (en admettant que j’eusse en la matière le moindre pouvoir d’accorder ou de rejeter). En repoussant les faux droits qui sont mis en avant, je ne songe pas à  porter atteinte aux vrais, et qui sont ainsi faits que les premiers les détruiraient complètement. Si la société civile est faite pour l’avantage de l’homme, chaque homme a droit à  tous les avantages pour lesquels elle est faite. C’est une institution de bienfaisance ; et la loi n’est autre chose que cette bienfaisance en acte, suivant une certaine règle. Tous les hommes ont le droit de vivre suivant cette règle ; ils ont droit à  la justice, et le droit de n’être jugés que par leurs pairs, que ceux-ci remplissent une charge publique ou qu’ils soient de condition ordinaire. Ils ont droit aux fruits de leur industrie, ainsi qu’aux moyens de faire fructifier celle-ci. Ils ont le droit de conserver ce que leurs parents ont pu acquérir ; celui de nourrir et de former leur progéniture ; celui d’être instruits à  tous les âges de la vie et d’être consolés sur leur lit de mort. Tout ce qu’un homme peut entreprendre par lui-même sans léser autrui, il est en droit de le faire ; de même qu’il a droit à  sa juste part de tous les avantages que procurent le savoir et l’effort du corps social. Dans cette association tous les hommes ont des droits égaux ; mais non à  des parts égales. Celui qui n’a placé que cinq shillings dans une société a autant de droits sur cette part que n’en a sur la sienne celui qui a apporté cinq cents livres. Mais il n’a pas droit à  un dividende égal dans le produit du capital total. Quant au droit à  une part de pouvoir et d’autorité dans la conduite des affaires de l’État, je nie formellement que ce soit là  l’un des droits directs et originels de l’homme dans la société civile ; car pour moi il ne s’agit ici que de l’homme civil et social, et d’aucun autre. Un tel droit ne peut relever que de la convention.

  • C’est quoi le libéralisme ?

    C’est quoi le libéralisme ?

    Est-il utile de se battre sur le sens des mots ?

    Il est intéressant de clarifier le sens des mots. J’ai toujours aimé les disputes sémantiques : Monsieur Phi explique bien mieux que moi pourquoi elles sont utiles (elles permettent d’éviter de trouver des accords sémantiques tout en étant en désaccord sur les faits, ou sur les actes à  mettre en oeuvre). Il revient d’ailleurs en complément sur l’impossibilité de définir complètement les mots : avant de pouvoir être proprement définis, les mots sont utilisés, dans un contexte, et au sein d’une communauté. Nous apprenons à  utiliser les mots avant d’en connaitre la définition ou le sens précis.

    Cette caractéristique des mots est très bien utilisée par les manipulateurs de toutes sortes. Ils savent très bien détourner le sens usuel des mots, peu à  peu, par petites touches, pour les écarter du sens initial, et les surcharger d’autres connotations, souvent inconscientes, et que l’on aurait du mal à  retrouver ou à  faire apparaitre en travaillant à  une définition de type substitution, ou par rapprochement.

    Ce genre d’écarts entre la définition des mots dans le dictionnaire et celle plus ou moins en usage parmi mes concitoyens est courant. La définition du dictionnaire correspondrait à  l’usage passé ou établi du mot, et celle, difficile à  décrire, flottant dans l’esprit du temps, ressentie, correspondrait à  l’usage actuel, plus ou moins déformé médiatiquement et philosophiquement, plus ou moins partagé. Un exemple flagrant, j’en ai déjà  parlé ici abondamment, concerne le libéralisme.

    Définition du libéralisme

    La définition, sur deux plans, est la suivante :
    Libéralisme :
    1. [Sur le plan moral] Attitude de respect à  l’égard de l’indépendance d’autrui, de tolérance à  l’égard de ses idées, de ses croyances, de ses actes.
    2. [Sur le plan pol. ou socio-écon.]
    a. Attitude ou doctrine favorable à  l’extension des libertés et en particulier à  celle de la liberté politique et de la liberté de pensée.
    En partic. Ensemble des doctrines politiques fondées sur la garantie des droits individuels contre l’autorité arbitraire d’un gouvernement (en particulier par la séparation des pouvoirs) ou contre la pression des groupes particuliers (monopoles économiques, partis, syndicats). Anton. autoritarisme
    P. méton. Régime, mode de gouvernement qui met en oeuvre une doctrine ou une politique libérale.
    b. Ensemble des doctrines économiques fondées sur la non-intervention (ou sur la limitation de l’intervention) de l’État dans l’entreprise, les échanges, le profit. Anton. dirigisme, étatisme, interventionnisme, planisme.
    P. méton. Régime économique fondé sur le libéralisme.

    Excès de libéralisme ?

    J’ai beau me creuser la tête, j’avoue avoir beaucoup de mal à  comprendre comment nous avons pu en arriver à  considérer que ce sont les excès du libéralisme qui sont responsables de tous nos maux. Les trois excès que je peux imaginer en lisant cette définition ne sont pas ceux qui sont habituellement mis sur le dos du libéralisme (à  part le troisième) :

    • (Sur le plan moral) Excès de tolérance vis-à -vis de croyances ou de pratiques qui seraient contraires aux droits naturels
    • (Sur le plan politique ou socio-économique) Excès d’extension des libertés conduisant à  une forme d’hybris transhumaniste, attribuant tous les droits imaginables aux humains, en oubliant les contraintes naturelles (biologiques, sociales, culturelles) auxquels ils sont soumis
    • (Sur le plan politique ou socio-économique) Excès de non-intervention de l’Etat dans les entreprises, les échanges, etc.

    Je considère les deux premières comme des critiques justifiées du libéralisme philosophique et politique, même si j’ai mis du temps à  le reconnaitre. Ce sont des critiques qui selon moi visent une forme de libéralisme « hors-sol », théorique, qui aurait oublié ses racines et la civilisation qui lui a donné naissance.

    Excès de non-intervention de l’Etat ?

    Par contre, je me marre doucement en lisant le 3ème : on pourrait reprocher au libéralisme, bien sûr, de conduire à  un manque d’intervention du collectif dans l’économie, dans un pays où l’Etat, minimaliste, se contenterait de remplir ses fonctions régaliennes, sans se soucier de solidarité. Mais en France, l’Etat intervient presque partout et tout le temps. Les chiffres sont connus, je n’y reviens pas. Il suffit d’ouvrir un quotidien économique : la plupart des informations mettent en jeu des relations plus ou moins conflictuelles entre le secteur privé et les autorités publiques, de nouvelles réglementations, de nouvelles taxes pour orienter comme ceci ou comme cela « l’économie ». C’est-à -dire des actions qui relèvent de l’étatisme, et de l’interventionnisme. Deux mots qui sont des antonymes de libéralisme.

    Comment un excès de libéralisme pourrait-il se définir par son antonyme ? Je dois manquer de logique, quelque part, dans mon raisonnement.

    Est-il possible de lutter contre ces déformations/glissements sémantiques/idéologiques ? Qu’en pensez-vous ?

  • Plaidoyer pour un libéral-conservatisme

    Plaidoyer pour un libéral-conservatisme

    J’avais proposé cet article pour le numéro spécial de l’Incorrect consacré au libéralisme, mais il a été refusé. Ce n’est pas grave, je le publie ici quand même. Je vous invite à  lire leurs articles, je pense que j’y réagirai ici même. Mon article tentait une synthèse entre libéralisme et conservatisme.

    Libéralisme

    Le libéralisme est une philosophie qui place, comme son nom l’indique, la liberté comme une fin en soi. Pas n’importe quelle liberté : la liberté individuelle, avec des limites, et érigée en principe d’organisation de la société. Ce courant de pensée a émergé aux XVIIème et XVIIIème siècles en Occident, et a accompagné les « révolutions démocratiques »..

    C’est une philosophie du droit naturel, c’est-à -dire reconnaissant à  tout être humain, par sa nature même, des droits inaliénables : la liberté, la propriété de soi et du fruit de son travail, le droit à  la vie, le droit de propriété et de jouir librement de ses biens, le droit d’échanger. Le droit naturel consiste en une universalité des droits (valables pour tout être humain), et une égalité devant la Loi (pour être juste, la Loi doit traiter chaque individu identiquement). Ce sont les principes, non discutables, des sociétés ouvertes. La société ouverte suppose la stricte observation de règles abstraites de juste conduite (formelles, universelles, évolutives) respectant ces droits naturels. Elle s’oppose à  la société tribale. La garantie de ces droits inaliénables a permis l’extraordinaire développement du monde occidental : émergence d’institutions démocratiques et pluralistes, explosion des capacités d’échanges, de partage du savoir et de la technique.

    Le libéralisme n’est pas apparu soudainement : il est le fruit, le prolongement et la synthèse de l’histoire occidentale : à  la fois du passé gréco-romain, comme de la Révolution papale des XIème-XIIIème siècles, mettant la raison et le droit au service de l’éthique biblique. Le libéralisme est un humanisme chrétien.

    Contre le progressisme hors-sol

    Chacun des grands courants de pensée en politique – conservateurs, libéraux, progressistes – porte des idéaux et des travers. Le dialogue entre les trois courants est fécond s’il se base sur une éthique commune du débat critique et ouvert, placé sous le signe de la raison.

    Les conservateurs, héritiers de ce qu’il y a de noble dans notre civilisation et nos traditions, contre la barbarie, soumettent parfois leur raison à  des vérités révélées. Les libéraux, protecteurs de la liberté individuelle contre l’arbitraire et la coercition des pouvoirs, développent parfois une pensée trop abstraite, niant la réalité et l’influence des enracinements. Censés être les promoteurs de la belle idée de progrès, les progressistes nagent malheureusement depuis 30 ans en plein délire socialiste. Et comme ils ont pris l’ascendant philosophique, politique, et culturel, cela nuit à  notre société. Trois dérives doivent être combattues, chacune portant atteinte au principe d’égalité devant la loi :

    • Un égalitarisme forcené d’abord, qui confond égalité devant la Loi, et égalité de fait. La Loi n’est pas là  pour corriger les inégalités, mais pour garantir les droits de chacun. ”Il y a toute les différences du monde entre traiter les gens de manière égale et tenter de les rendre égaux. La première est une condition pour une société libre alors que la seconde n’est qu’une nouvelle forme de servitude. » (Hayek)
    • Un étatisme inexorable, ensuite, qui est le rejet de l’ordre spontané libre. L’état de Droit implique un Etat fort, intransigeant, avec des missions restreintes à  la sécurité (extérieure et intérieure), et à  l’application du Droit. L’État omniprésent provoque une inflation juridique, des réglementations et une fiscalité liberticides, une infantilisation des citoyens. L’omniprésence nécessite des moyens, trouvés par des prélèvements et un endettement massifs.
    • Enfin, une politique d’immigration inconséquente, aveugle à  la réalité des différences civilisationnelles, a conduit au communautarisme. Des zones entières du territoire ne sont plus, au sens propre, juridique, comme au sens symbolique, culturel, la France. Les civilisations non-occidentales ont vocation à  rester minoritaires en France : on ne peut bâtir une société, et des règles justes, en faisant coexister des principes qui sont contradictoires. Tout citoyen français devrait vivre selon les coutumes et les Lois françaises, quelque soit sa condition, et son lieu d’habitation.

    Au-delà  de leurs différences, les conservateurs et les libéraux doivent donc s’allier contre la « folie » des progressistes porteurs de ces travers égalitaristes, étatistes et communautaristes.

    L’âme de l’occident

    Le joyau qui pourrait être au coeur de cette alliance, c’est le fait de penser chaque être humain à  la fois comme une personne, et un individu :

    • Une personne, avec sa singularité, ses aspirations, ses enracinements, sa spiritualité, ses choix,
    • un individu ”gommé » de ces particularités, mais doté de droits inaliénables, assumant la responsabilité de ses actes, et traité comme les autres devant la Loi.

    Cette distinction est à  conserver à  tout prix, car elle est la condition pour pouvoir imaginer « une vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes » (Ricoeur).

    C’est l’esprit du libéralisme, et c’est l’âme de l’Occident.

  • La grève (Atlas Shrugged)

    La grève (Atlas Shrugged)

    La Grève, roman fleuve, unique, philosophique, est signé Ayn Rand (de son vrai nom Alissa Zinovievna Rosenbaum), philosophe, scénariste et romancière américaine d’origine russe, née en 1905 à  Saint-Pétersbourg et morte en 1982 à  New York.

    La grève : roman philosophique

    C’est un livre hors du commun : véritable roman philosophique, à  thèse, il en a les inconvénients et les qualités. Les inconvénients, tout d’abord : à  force de démontrer les choses, la narration perd en rythme, et certaines tirades des personnages sont franchement surréalistes (personne ne prend la parole en société pour faire un discours d’une heure). Mais ce serait oublier les qualités, réelles, du roman. Il y a de très beaux passages, et c’est en partie lié aussi à  cet aspect philosophique. Ayn Rand insuffle dans ses personnages quelque chose d’épique, d’héroïque, qui par moment touche très juste. Certaines scènes sont tout bonnement extraordinaires, par leur intensité dramatique mêlée à  un sentiment de justesse morale et philosophique. Le discours de John Galt à  la radio incarne tout cela à  la fois.
    Le roman est assez simple dans sa structure : on assiste à  la lente destruction de la société industrielle, basée sur la raison, le respect de la justice, de la propriété, par d’obscurs intrigants politiques qui parviennent à  retourner les valeurs morales, et à  faire triompher le mensonge et la négation de la réalité, sous couvert d’intérêt général. L’intrigue tient au fait qu’un certain nombre de capitaines d’industrie, de capitalistes, disparaissent de la circulation : sont-ils « déserteurs », comme le proclame le gouvernement, ou ont-ils rejoints une sorte de « résistance », comme les rumeurs semblent l’indiquer ? Je ne vous révélerai bien sûr pas la suite ici, mais elle ne déçoit pas du tout. Le scénario imaginé autour de Dagny Taggart, personnage principal, est incroyable. Ms Taggart est une femme d’affaire, à  la tête d’une grande société de chemin de fer familiale. Personnage très attachant, proche d’Ayn Rand, courageuse, libre. Passionnément éprise de liberté.

    La grève : roman anti-communiste et rationnaliste

    Quand on sait qu’Ayn Rand a fuit plusieurs fois avec ses parents les révolutionnaires communistes, et qu’elle a du subir la propagande et la censure, pour finalement devoir quitter la Russie, on comprend mieux son combat pour la liberté. Elle porte, dans La Grève notamment, une charge fabuleuse contre l’altruisme, et la culpabilité judéo-chrétienne (le péché originel), et prône un « égoïsme rationnel ». Selon elle, aucune morale n’est possible en niant le droit pour chaque personne, de poursuivre son bonheur comme il l’entend, et de vivre avant tout pour se réaliser. Elle a mis en place une philosophie qui me parle : individualiste, rationaliste. Elle est connue sous le nom d’objectivisme. Il est bien clair que son discours est presque inaudible dans les moments que nous vivons : trop individualiste, trop anti-socialiste, pas assez misérabiliste, pas assez collectiviste, trop attaché à la raison et au mérite, à l’échange libre et au progrès, et trop peu complaisant avec la moraline de salon, prônant le sacrifice et la négation des valeurs. J’ai le sentiment, en lisant Rand, d’être né trop tard. Le monde moral d’Ayn Rand, vivant à travers les personnages de la Grève, me semble illustrer l’humanité dans ses aspirations les plus nobles et exigeantes.
    Certains risquent de ne pas trouver ce roman à  leur goût. Peut-être même choquant. Je crois, pour ma part, que les amoureux de la liberté y trouveront une incarnation originale et unique de l’humanisme libéral, et capitaliste.
    Si vous trouvez que la dernière phrase comporte trop de gros mots, ne lisez surtout pas ce livre.