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  • Pascal Salin

    Pascal Salin

    Ce billet servira de point central pour lister les articles et les ressources concernant Pascal Salin. Comme j’ai écrit pas mal d’articles en me basant sur ses textes, ou en utilisant des citations de lui, je trouve cohérent de centraliser tout ça au même endroit. N’hésitez pas à  suggérer d’autres ressources le concernant en commentaires !

    Qui est Pascal Salin ?

    Pascal Salin (né le 16 mai 1939 à  Paris) est un économiste français, professeur à  l’université de Paris IX Dauphine, spécialiste de la finance publique et ancien président de la Société du Mont Pèlerin (1994-1996).
    D’inspiration libérale et libertarienne, son oeuvre marche dans les traces de Frédéric Bastiat, Ludwig von Mises et Friedrich Hayek.

    Vous trouverez d’autres éléments sur Wikipedia, ou Liberpedia.

    « Libéralisme »

    Voici les billets directement basés sur le merveilleux livre « Libéralisme ».

    Deux articles intéressants à  propos de ce livre :
    « Libéralisme », de Pascal Salin, par Marc Grunert, et Libéralisme sur l’ALEPS.

    Interview exclusive pour Expression Libre

    J’ai eu le plaisir d’interviewer Pascal Salin chez lui au moment de la sortie de son livre « Revenir au capitalisme » :

    Traduction de la conférence pour le prix Schlarbaum

    L’Ecole Autrichienne d’Economie : l’aboutissement d’un voyage intellectuel
    Conférence de Pascal Salin à  l’occasion de la remise du prix Schlarbaum, publiée le 13/02/2009 sur le site de l’Institut Mises. Traduction : BLOmiG.

    Vidéos de la conférence à  Lugano

    Divers textes

    Et pour finir, voilà  divers articles du blog qui ne sont que des citations, ou des extraits de textes de Salin :

    Salin sur le Québécois Libre

    Retrouvez tous ses articles sur le Québécois Libre (super site, dont je vous recommande vivement d’aller parcourir un peu les entrailles…) :
    Pascal Salin sur le Québécois Libre

  • Islam Documents : présentation et interview du responsable

    Islam Documents est un site formidable, portant sur les origines de l’Islam et présentant l’ensemble des documents originaux relatifs à  l’élaboration de la religion musulmane. Il comporte plus de 10.000 textes. Mis au courant de l’existence de ce site par un message de son responsable, et convaincu que l’approche historique est plus efficace que les débats théologiques (c’est l’affaire des musulmans) pour faire émerger la vérité, j’ai eu envie de lui poser quelques questions sur ce projet, son but, sa méthode. Voici donc ses réponses, en exclusivité pour ExpressionLibre. Donc pour vous, chers lecteurs !
    (suite…)

  • Karl Popper : la démocratie libérale en 8 points

    Karl Popper : la démocratie libérale en 8 points

    Avant de pouvoir vous présenter par morceaux l’interview d’Alain Boyer que j’ai réalisé vendredi dernier, voici le texte qu’il avait choisi pour illustrer la pensée de Popper dans le hors-série sur le libéralisme sorti par Le Point avant les présidentielles. Les principes libéraux explicités en huit points. Pas un de plus, pas un de moins.

    Rencontre avec Alain Boyer

    J‘avais écrit un petit billet en juin pour diriger les lecteurs vers un article magistral paru dans le Figaro, écrit par Alain Boyer, professeur de philosophie politique à  la Sorbonne. Cet article faisait le distingo entre morale de responsabilité et morale de conviction. Et expliquait en substance que Sarkozy faisait plus pour la promotion des idéaux de gauche que le PS, qui se contente de prendre des postures intellectuelles en accord avec ces idéaux, mais sans s’occuper de les promouvoir dans les faits.

    Quelle ne fut pas ma surprise de voir, en commentaire de cet article, une intervention d’Alain Boyer lui-même ! Je profitais de l’occasion pour lui proposer de l’interviewer, par écrit ou à  l’oral. Pour des raisons de temps, il m’a proposé une interview orale. Vendredi dernier, je me suis donc rendu à  son domicile, tout fébrile et intimidé, pour l’interviewer, avec mon petit enregistreur acheté pour l’occasion. Je l’ai interviewé sur son parcours, sur la politique française, sur la pensée de Karl Popper (dont il est un grand spécialiste), sur la gauche, sur l’Islam.
    J’ai eu le bonheur de rencontrer un homme très sympathique, très direct, d’une grande culture, et dont la réflexion juste et puissante n’a d’égal que son talent pour communiquer ses idées. Il n’est pas professeur pour rien ! Interview intense, donc (3h !), plus à  bâtons rompus que savamment construite (je ne suis pas journaliste). J’ai maintenant du travail pour transcrire par écrit cet échange, et que je compte vous proposer par morceaux, si possible thématiques.
    Pour vous donner de quoi patienter, chers lecteurs, je vous propose en attendant de publier ici sa contribution au hors-série du Point consacré au libéralisme, publié avant les élections présidentielles. Bien évidemment, son statut de spécialiste de Popper l’a naturellement conduit à  écrire l’article sur le philosophe autrichien. Le format choisi pour ce hors-série, consistait à  proposer un texte de Popper, et une présentation de sa pensée. Voici, pour commencer, le texte de Popper, admirable et synthétique. La contribution d’Alain Boyer suivra dans un prochain billet.

    Principes Libéraux

    1. L’Etat est un mal nécessaire : ses pouvoirs ne doivent pas être multipliés au delà de ce qui est nécessaire. On peut appeler ce principe le ”rasoir libéral » (par analogie avec le « rasoir d’Ockham », le fameux principe selon lequel les entités ne doivent pas être multipliées au delà de ce qui est nécessaire).
      Afin de montrer la nécessité de l’Etat, je ne fais pas appel à la conception hobbesienne (Léviathan, trad. Folio, I, ch. XIII.) de l’homo homini lupus. Au contraire, sa nécessité peut être montrée même si nous supposons que homo homini felis, ou même que homo homini angelus, en d’autres termes, si nous supposons qu’à cause de leur bonté angélique, personne ne nuit à personne d’autre. Dans un tel monde, il y aurait encore des hommes plus ou moins forts, et les plus faibles n’auraient aucun droit légal à être tolérés par les plus forts, mais devraient leur tenir gratitude d’être assez bons pour les tolérer. Ceux qui (forts ou faibles) pensent que cela n’est pas un état de choses satisfaisant, et que toute personne doit avoir un droit à  vivre, et une prétention (claim) légale à être protégée contre le pouvoir des forts, accorderont que nous avons besoin d’un Etat qui protège les droits de tous. Il est facile de montrer que cet Etat constituera un danger constant (ce que je me suis permis d’appeler un mal), fût-il nécessaire. Pour que l’Etat puisse remplir sa fonction, il doit avoir plus de pouvoir qu’aucun individu privé ou aucune organisation publique, et bien que nous puissions créer des institutions qui minimisent le danger que ces pouvoirs puissent être mal utilisés, nous ne pourront jamais en éliminer le danger complètement. Au contraire, la plupart des citoyens auront à  payer en échange de la protection de l’Etat, non seulement sous la forme de taxes, mais même sous la forme de certaines humiliations, par exemple, lorsqu’ils sont dans les mains de fonctionnaires brutaux.
    2. La différence entre une démocratie et une tyrannie est que dans une démocratie, les gouvernants peuvent être rejetés sans effusion de sang.
    3. La démocratie ne peut conférer aucun bénéfice aux citoyens. Elle ne peut rien faire, seuls les citoyens peuvent agir. Elle n’est qu’un cadre dans lequel les citoyens peuvent agir de manière plus ou moins cohérente et organisée.
    4. Nous sommes démocrates non parce que la majorité a toujours raison, mais parce que les traditions démocratiques sont les moins mauvaises que nous connaissons. Si la majorité se décide en faveur d’une tyrannie, un démocrate ne doit pas penser qu’il y a une contradiction fatale dans sa conception, mais que la tradition démocratique dans son pays n’était pas assez forte.
    5. Les institutions ne sont ne sont pas suffisantes si elles ne sont pas tempérées par des traditions, car elles sont toujours ambivalentes (…)
    6. Une utopie libérale, un Etat rationnellement crée sur une table rase sans traditions, est impossible. Le libéralisme exige que les limitations de la liberté de chacun rendues nécessaires par la vie en société doivent être minimisées et rendues égales pour tous autant que possible (Kant). Mais comment appliquer un tel principe a priori dans la vie réelle ? Touts les lois, étant universelles, doivent être interprétées afin d’être appliquées, et ceci nécessite certains principes de pratique concrète, qui ne peuvent être fournis que par une tradition vivante.
    7. Les principes libéraux peuvent être décrits comme des principes d’évaluation et si nécessaire de modification des institutions. On peut dire que le libéralisme est une doctrine « évolutionnaire » plutôt que révolutionnaire (sauf dans le cas d’une tyrannie).
    8. Parmi ces traditions, nous devons mettre en premier ce que l’on peut appeler le ”cadre moral » (correspondant au « cadre légal ») d’une société. Cela comprend le sens traditionnel de la justice ou équité (« fairness »), ou le degré de sensibilité morale que la société a atteint. Ce cadre sert de base pour rendre possible des compromis équitables entre des intérêts en conflit. Il n’est pas lui-même intouchable, mais il change relativement lentement. Rien n’est plus dangereux que sa destruction, laquelle fut consciemment visée par les Nazis, qui ne peut conduire qu’au nihilisme, à  la dissolution de toutes les valeurs humaines.

    Karl Popper, ”Public Opinion and Liberal Principles (1954), in Conjectures and Refutations, RKP, 1963, traduction originale d’Alain Boyer.

  • Harmonies à‰conomiques : Deuxième chapitre

    On continue la série ! Après le premier chapitre, où Bastiat montrait que l’état naturel de l’homme est de vivre en société, et qu’il faut faire attention à  ne pas contraindre sa liberté sans réfléchir sur les conséquences de cette contrainte, voici le billet résumant les idées principales du deuxième chapitre d’Harmonies Economiques, de Frédéric Bastiat. Le titre de ce chapitre est « Besoins, Efforts, Satisfactions ». Les idées principales pourraient être résumées ainsi : plutôt que d’attribuer tous les maux à  la liberté de l’homme et à  la satisfaction de son intérêt personnel, vérifions si le constat de base des utopistes et dialecticien est vrai (les intérêts personnels sont antagoniques et sources de tous les maux). Pour cela, il faut définir quelques notions d’économie. Bastiat définit le Besoin, l’Utilité gratuite, l’Utilité onéreuse et la Satisfaction. Autant les besoins et la satisfaction sont des choses personnels, autant les efforts que les hommes font peuvent faire l’objet d’échange. Ce sont les efforts qui sont le principe social ; ce sont les échanges d’efforts, la transmission de service, qui forment la matière d’étude de la science économique.

    Piège pour sortir du conflit : changer l’humain !

    Dans un premier temps, Bastiat décrit la pensée de ceux qui veulent changer l’être humain, plutôt que de lui rendre sa liberté.
    Le pauvre s’élève contre le riche; le prolétariat contre la propriété; le peuple contre la bourgeoisie; le travail contre le capital; l’agriculture contre l’industrie; la campagne contre la ville; la province contre la capitale; le regnicole contre l’étranger.
    Et les théoriciens surviennent, qui font un système de cet antagonisme. « Il est, disent-ils, le résultat fatal de la nature des choses, c’est-à -dire de la liberté. L’homme s’aime lui-même, et voilà  d’où vient tout le mal, car puisqu’il s’aime, il tend vers son propre bien-être, — et il ne le peut trouver que dans le malheur de ses frères. Empêchons donc qu’il n’obéisse à  ses tendances; étouffons sa liberté; changeons le coeur humain; substituons un autre mobile à  celui que Dieu y a placé; inventons et dirigeons une société artificielle! »

    Bastiat décrit ensuite ce que les esprits peuvent constuire à  partir de cette mauvaise analyse : selon que l’on est dialecticien ou utopiste, on va, dans un cas, disséquer et analyser le mal, et partant tout regarder à  son aulne, et dans l’autre cas, s’élancer vers la région des chimères. Le dialecticien va tout souiller, dégouter de tout, et tout nier. L’utopiste va créer et faire des hommes à  son gré, et parce qu’il est dans l’utopie, rien ne l’arrête. L’un et l’autre obtiendront du succès auprès de ceux qui souffrent. L’un et l’autre finissent dans la misanthropie, et finiront – pour nous convaincre – à  se faire passer pour des prophètes, avec tous les relents de despotisme que cela comporte. Voilà  le danger à  vouloir changer l’humain.
    Cependant il est rare que l’utopiste s’en tienne à  ces innocentes chimères. Dès qu’il veut y entraîner l’humanité, il éprouve qu’elle n’est pas facile à  se laisser transformer. Elle résiste, il s’aigrit. Pour la déterminer, il ne lui parle pas seulement du bonheur qu’elle refuse, il lui parle surtout des maux dont il prétend la délivrer. Il ne saurait en faire une peinture trop saisissante. Il s’habitue à  charger sa palette, à  renforcer ses couleurs. Il cherche le mal, dans la société actuelle, avec autant de passion qu’un autre en mettrait à  y découvrir le bien. Il ne voit que souffrances, haillons, maigreur, inanition, douleurs, oppression. Il s’étonne, il s’irrite de ce que la société n’ait pas un sentiment assez vif de ses misères. Il ne néglige rien pour lui faire perdre son insensibilité, et, après avoir commencé par la bienveillance, lui aussi finit par la misanthropie.
    À Dieu ne plaise que j’accuse ici la sincérité de qui que ce soit ! Mais, en vérité, je ne puis m’expliquer que ces publicistes, qui voient un antagonisme radical au fond de l’ordre naturel des sociétés, puissent goûter un instant de calme et de repos. Il me semble que le découragement et le désespoir doivent être leur triste partage. Car enfin, si la nature s’est trompée en faisant de l’intérêt personnel le grand ressort des sociétés humaines (et son erreur est évidente, dès qu’il est admis que les intéréts sont fatalement antagoniques), comment ne s’aperçoivent-ils pas que le mal est irrémédiable ? Ne pouvant recourir qu’à  des hommes, hommes nous-mêmes, où prendrons-nous notre point d’appui pour changer les tendances de l’humanité? Invoquerons-nous la Police, la Magistrature, l’État, le Législateur? Mais c’est en appeler à  des hommes, c’est-à -dire à  des êtres sujets à  l’infirmité commune. Nous adresserons-nous au Suffrage Universel ?
    Mais c’est donner le cours le plus libre à  l’universelle tendance.
    Il ne reste donc qu’une ressource à  ces publicistes. C’est de se donner pour des révélateurs, pour des prophètes, pétris d’un autre limon, puisant leurs inspirations à  d’autres sources que le reste de leurs semblables; et c’est pourquoi, sans doute, on les voit si souvent envelopper leurs systèmes et leurs conseils dans une phraséologie mystique. Mais s’ils sont des envoyés de Dieu, qu’ils prouvent donc leur mission. En définitive, ce qu’ils demandent, c’est la puissance souveraine, c’est le despotisme le plus absolu qui fut jamais.
    Non-seulement ils veulent gouverner nos actes, mais ils prétendent altérer jusqu’à  l’essence même de nos sentiments. C’est bien le moins qu’ils nous montrent leurs titres. Espèrent-ils que l’humanité les croira sur parole, alors surtout qu’ils ne s’entendent pas entre eux?

    Les intérêts sont-ils antagoniques ?

    Mais avant même d’examiner leurs projets de sociétés artificielles, n’y a-t-il pas une chose dont il faut s’assurer, à  savoir, s’ils ne se trompent pas dès le point de départ? Est-il bien certain que les intérêts soient naturellement antagoniques, qu’une cause irrémédiable d’inégalité se développe fatalement dans l’ordre naturel des sociétés humaines, sous l’influence de l’intérêt personnel, et que, dès lors, Dieu se soit manifestement trompé quand il a ordonné que l’homme tendrait vers le bien-être ?
    C’est ce que je me propose de rechercher.

    Bastiat explique ensuite qu’il prend l’homme tel qu’il est :
    susceptible de prévoyance et d’expérience, perfectible, s’aimant lui-même, c’est incontestable, mais d’une affection tempérée par le principe sympathique, et, en tout cas, contenue, équilibrée par la rencontre d’un sentiment analogue universellement répandu dans le milieu où elle agit
    il se demande quel ordre social doit résulter de la combinaison et des libres tendances de ces éléments.
    Si nous trouvons dans ce résultat une marche progressive vers le progrès, alors les lois naturelles de la société ne sont pas à  contrarier, mais à  libérer, et en tout cas, Bastiat, en tant que législateur, estime qu’il de son devoir de rechercher les causes de ce qu’il observe et d’agir en conséquence. D’où la nécessité d’étudier l’économie.
    Je commencerai par établir quelques notions économiques. M’aidant des travaux de mes devanciers, je m’efforcerai de résumer la Science dans un principe vrai, simple et fécond qu’elle entrevit dès l’origine, dont elle s’est constamment approchée et dont peut-être le moment est venu de fixer la formule. Ensuite, à  la clarté de ce flambeau, j’essayerai de résoudre quelques-uns des problèmes encore controversés, concurrence, machines, commerce extérieur, luxe, capital, rente, etc. Je signalerai quelques-unes des relations, ou plutôt des harmonies de l’économie politique avec les autres sciences morales et sociales, en jetant un coup d’oeil sur les graves sujets exprimés par ces mots: Intérêt personnel, Propriété, Communauté, Liberté, Égalité, Responsabilité, Solidarité, Fraternité, Unité. Enfin j’appellerai l’attention du lecteur sur les obstacles artificiels que rencontre le développement pacifique, régulier et progressif des sociétés humaines. De ces deux idées: Lois naturelles harmoniques, causes artificielles perturbatrices, se déduira la solution du Problème social.

    Economie Politique : science de l’humain

    Bastiat commence par définir le champ d’étude de l’économie.
    L’économie politique a pour sujet l’homme.
    Mais elle n’embrasse pas l’homme tout entier. Sentiment religieux, tendresse paternelle et maternelle, piété filiale, amour, amitié, patriotisme, charité, politesse, la Morale a envahi tout ce qui remplit les attrayantes régions de la Sympathie. Elle n’a laissé à  sa soeur, l’Économie politique, que le froid domaine de l’intérêt personnel. C’est ce qu’on oublie injustement quand on reproche à  cette science de n’avoir pas le charme et l’onction de la morale. Cela se peut-il? Contestez-lui le droit d’être, mais ne la forcez pas de se contrefaire. Si les transactions humaines, qui ont pour objet la richesse, sont assez vastes, assez compliquées pour donner lieu à  une science spéciale, laissons-lui l’allure qui lui convient et ne la réduisons pas à  parler des Intérêts dans la langue des Sentiments. Je ne crois pas, quant à  moi, qu’on lui ait rendu service, dans ces derniers temps, en exigeant d’elle un ton de sentimentalité enthousiaste qui, dans sa bouche, ne peut être que de la déclamation. De quoi s’agit-il? De transactions accomplies entre gens qui ne se connaissent pas, qui ne se doivent rien que la Justice, qui défendent et cherchent à  faire prévaloir des intérêts. Il s’agit de prétentions qui se limitent les unes par les autres, où l’abnégation et le dévouement n’ont que faire. Prenez donc une lyre pour parler de ces choses. Autant j’aimerais que Lamartine consultât la table des logarithmes pour chanter ses odes.
    Ce n’est pas que l’économie politique n’ait aussi sa poésie, Il y en a partout où il y a ordre et harmonie. Mais elle est dans les résultats, non dans la démonstration: Elle se révèle, on ne la crée pas. Keppler ne s’est pas donné pour poète, et certes les lois qu’il a découvertes sont la vraie poésie de l’intelligence.

    Pour étudier l’humain, il faut donc, au moins momentanément, l’étudier sous l’angle de sa sensibilité et de son activité.

    Effort et satisfaction

    L’âme (ou pour ne pas engager la question de spiritualité), l’homme est doué de Sensibilité. Que la sensibilité soit dans l’âme ou dans le corps, toujours est-il que l’homme comme être passif éprouve des sensations pénibles ou agréables. Comme être actif, il fait effort pour éloigner les unes et multiplier les autres. Le résultat, qui l’affecte encore comme être passif, peut s’appeler Satisfaction.
    De l’idée générale Sensibilité naissent les idées plus précises: peines, besoins, désirs, goûts, appétits, d’un côté; et de l’autre, plaisirs, jouissances, consommation, bien-être.
    Entre ces deux extrêmes s’interpose le moyen, et de l’idée générale Activité naissent des idées plus précises : peine, effort, fatigue, travail, production.
    En décomposant la Sensibilité et l’Activité, nous retrouvons un mot commun aux deux sphères, le mot Peine. C’est une peine que d’éprouver certaines sensations, et nous ne pouvons la faire cesser que par un effort qui est aussi une peine. Ceci nous avertit que nous n’avons guère ici-bas que le choix des maux.
    Tout est personnel dans cet ensemble de phénomènes, tant la sensation qui précède l’effort que la Satisfaction qui le suit.
    Nous ne pouvons donc pas douter que l’Intérêt personnel ne soit le grand ressort de l’humanité. Il doit être bien entendu que ce mot est ici l’expression d’un fait universel, incontestable, résultant de l’organisation de l’homme, et non point un jugement critique, comme serait le mot égoïsme. Les sciences morales seraient impossibles, si l’on pervertissait d’avance les termes dont elles sont obligées de se servir.

    Utilité gratuite, Utilité onéreuse

    Si l’on donne le nom d’Utilité à  tout ce qui réalise la satisfaction des besoins, il y a donc des utilités de deux sortes. Les unes nous ont été accordées gratuitement par la Providence; les autres veulent être, pour ainsi parler, achetées par un effort.
    Ainsi l’évolution complète embrasse ou peut embrasser ces quatre idées:
    Besoin { Utilité gratuite, Utilité onéreuse } Satisfaction
    L’homme est pourvu de facultés progressives. Il compare, il prévoit, il apprend, il se réforme par l’expérience. Puisque si le besoin est une peine, l’effort est une peine aussi, il n’y a pas de raison pour qu’il ne cherche à  diminuer celle-ci, quand il le peut faire sans nuire à  la satisfaction qui en est le but. C’est à  quoi il réussit quand il parvient à  remplacer de l’utilité onéreuse par de l’utilité gratuite, et c’est l’objet perpétuel de ses recherches.
    Il résulte de la nature intéressée de notre coeur que nous cherchons constamment à  augmenter le rapport de nos Satisfactions à  nos Efforts; et il résulte de la nature intelligente de notre esprit que nous y parvenons, pour chaque résultat donné, en augmentant le rapport de l’Utilité gratuite à  l’Utilité onéreuse.
    Chaque fois qu’un progrès de ce genre se réalise, une partie de nos efforts est mise, pour ainsi dire, en disponibilité; et nous avons l’option ou de nous abandonner à  un plus long repos, ou de travailler à  la satisfaction de nouveaux désirs, s’il s’en forme dans notre coeur d’assez puissants pour stimuler notre activité.
    Tel est le principe de tout progrès dans l’ordre économique; c’est aussi, il est aisé de le comprendre, le principe de toute déception, car progrès et déceptions ont leur racine dans ce don merveilleux et spécial que Dieu a fait aux hommes: le libre arbitre.
    Nous sommes doués de la faculté de comparer, de juger, de choisir et d’agir en conséquence; ce qui implique que nous pouvons porter un bon ou mauvais jugement, faire un bon ou mauvais choix. Il n’est jamais inutile de le rappeler aux hommes quand on leur parle de Liberté.

    Bastiat rappelle enfin l’importance de prendre en compte dans la réflexion l’existence des mauvais choix, de la perversion.
    Quand donc nous parlons d’harmonie, nous n’entendons pas dire que l’arrangement naturel du monde social soit tel que l’erreur et le vice en aient été exclus; soutenir cette thèse en face des faits, ce serait pousser jusqu’à  la folie la manie du système. Pour que l’harmonie fût sans dissonance, il faudrait ou que l’homme n’eût pas de libre arbitre, ou qu’il fût infaillible. Nous disons seulement ceci: les grandes tendances sociales sont harmoniques, en ce que, toute erreur menant à  une déception et tout vice à  un châtiment, les dissonances tendent incessamment à  disparaître.
    La propriété peut donc se déduire de cela : puisque c’est l’individu qui éprouve la sensation, le désir, le besoin, puisque c’est lui qui fait l’Effort, il faut bien que la satisfaction aboutisse à  lui, sans quoi l’effort n’aurait pas sa raison d’être.
    Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’une science a, par elle-même, des frontières naturelles et immuables. Dans le domaine des idées, comme dans celui des faits, tout se lie, tout s’enchaîne, toutes les vérités se fondent les unes dans les autres, et il n’y a pas de science qui, pour être complète, ne dût les embrasser toutes. On a dit avec raison que, pour une intelligence infinie, il n’y aurait qu’une seule vérité. C’est donc notre faiblesse qui nous réduit à  étudier isolément un certain ordre de phénomènes, et les classifications qui en résultent ne peuvent échapper à  un certain arbitraire.
    Le vrai mérite est d’exposer avec exactitude les faits, leurs causes et leurs conséquences. C’en est un aussi, mais beaucoup moindre et purement relatif, de déterminer d’une manière, non point rigoureuse, cela est impossible, mais rationnelle, l’ordre de faits que l’on se propose d’étudier.

    C’est l’effort qui est le principe social

    Il faut lire le paragraphe suivant, où Bastiat montre de manière magistrale que c’est l’effort qui est le principe social, la source de l’économie politique. C’est cette transmission d’efforts, cet échange de services qui est précisément ce qui constitue la science économique.
    Dans ces derniers temps, on a beaucoup reproché aux économistes de s’être trop attachés à  étudier la Richesse. On aurait voulu qu’ils fissent entrer dans la science tout ce qui, de près ou de loin, contribue au bonheur ou aux souffrances de l’humanité; et on a été jusqu’à  supposer qu’ils niaient tout ce dont ils ne s’occupaient pas, par exemple, les phénomènes du principe sympathique, aussi naturel au coeur de l’homme que le principe de l’intérêt personnel. C’est comme si l’on accusait le minéralogiste de nier l’existence du règne animal. Eh quoi! la Richesse, les lois de sa production, de sa distribution, de sa consommation, n’est-ce pas un sujet assez vaste, assez important pour faire l’objet d’une science spéciale? Si les conclusions de l’économiste étaient en contradiction avec celles de la politique ou de la morale, je concevrais l’accusation. On pourrait lui dire: « En vous limitant, vous vous êtes égaré, car il n’est pas possible que deux vérités se heurtent. » Peut-être résultera-t-il du travail que je soumets au public que la science de la richesse est en parfaite harmonie avec toutes les autres.
    Des trois termes qui renferment les destinées humaines: Sensation, Effort, Satisfaction, le premier et le dernier se confondent toujours et nécessairement dans la même individualité. Il est impossible de les concevoir séparés. On peut concevoir une sensation non satisfaite, un besoin inassouvi; jamais personne ne comprendra le besoin dans un homme et sa satisfaction dans un autre.
    S’il en était de même pour le terme moyen, l’Effort, l’homme serait un être complétement solitaire. Le phénomène économique s’accomplirait intégralement dans l’individu isolé. Il pourrait y avoir une juxtaposition de personnes, il n’y aurait pas de société. Il pourrait y avoir une Économie personnelle, il ne pourrait exister d’Économie politique.
    Mais il n’en est pas ainsi. Il est fort possible et fort fréquent que le Besoin de l’un doive sa Satisfaction à  l’Effort de l’autre. C’est un fait. Si chacun de nous veut passer en revue toutes les satisfactions qui aboutissent à  lui, il reconnaîtra qu’il les doit, pour la plupart, à  des efforts qu’il n’a pas faits; et de même, le travail que nous accomplissons, chacun dans notre profession, va presque toujours satisfaire des désirs qui ne sont pas en nous.
    Ceci nous avertit que ce n’est ni dans les besoins ni dans les satisfactions, phénomènes essentiellement personnels et intransmissibles, mais dans la nature du terme moyen, des Efforts humains, qu’il faut chercher le principe social, l’origine de l’économie politique.
    C’est, en effet, cette faculté donnée aux hommes, et aux hommes seuls, entre toutes les créatures, de travailler les uns pour les autres; c’est cette transmission d’efforts, cet échange de services, avec toutes les combinaisons compliquées et infinies auxquelles il donne lieu à  travers le temps et l’espace, c’est là  précisément ce qui constitue la science économique, en montre l’origine et en détermine les limites. Je dis donc: Forment le domaine de l’économie politique tout effort susceptible de satisfaire, à  charge de retour, les besoins d’une personne autre que celle qui l’a accompli, — et, par suite, les besoins et satisfactions relatifs à  cette nature d’efforts.

    Service et théorie de l’échange

    Accomplir un effort pour satisfaire le besoin d’autrui, c’est lui rendre un service. Si un service est stipulé en retour, il y a échange de services; et, comme c’est le cas le plus ordinaire, l’économie politique peut être définie: la théorie de l’échange.
    Quelle que soit pour l’une des parties contractantes la vivacité du besoin, pour l’autre l’intensité de l’effort, si l’échange est libre, les deux services échangés se valent. La valeur consiste donc dans l’appréciation comparative des services réciproques, et l’on peut dire encore que l’économie politique est la théorie de la valeur.
    Je viens de définir l’économie politique et de circonscrire son domaine, sans parler d’un élément essentiel: l’utilité gratuite.
    Tous les auteurs ont fait remarquer que nous puisons une foule de satisfactions à  cette source. Ils ont appelé ces utilités, telles que l’air, l’eau, la lumière du soleil, etc., richesses naturelles, par opposition aux richesses sociales, après quoi ils ne s’en sont plus occupés; et, en effet, il semble que, ne donnant lieu à  aucun effort, à  aucun échange, à  aucun service, n’entrant dans aucun inventaire comme dépourvues de valeur, elles ne doivent pas entrer dans le cercle d’étude de l’économie politique.

    Importance de l’utilité gratuite pour voir les bienfaits des échanges de services

    Or qu’arrive-t-il? Quoique l’effet utile soit égal, l’effort est moindre. Moindre effort implique moindre service, et moindre service implique moindre valeur. Chaque progrès anéantit donc de la valeur; mais comment? Non point en supprimant l’effet utile, mais en substituant de l’utilité gratuite à  de l’utilité onéreuse, de la richesse naturelle à  de la richesse sociale. À un point de vue, cette portion de valeur ainsi anéantie sort du domaine de l’économie politique comme elle est exclue de nos inventaires; car elle ne s’échange plus, elle ne se vend ni ne s’achète, et l’humanité en jouit sans efforts, presque sans en avoir la conscience; elle ne compte plus dans la richesse relative, elle prend rang parmi les dons de Dieu. Mais, d’un autre côté, si la science n’en tenait plus aucun compte, elle se fourvoierait assurément, car elle perdrait de vue justement ce qui est l’essentiel, le principal en toutes choses: le résultat, l’effet utile; elle méconnaitrait les plus fortes tendances communautaires et égalitaires; elle verrait tout dans l’ordre social, moins l’harmonie. Et si ce livre est destiné à  faire faire un pas à  l’économie politique, c’est surtout en ce qu’il tiendra les yeux du lecteur constamment attachés sur cette portion de valeur successivement anéantie et recueillie sous forme d’utilité gratuité par l’humanité tout entière.

    Mélange et interconnexions entre morale et économie

    Je viens de définir le service. C’est l’effort dans un homme, tandis que le besoin et la satisfaction sont dans un autre. Quelquefois le service est rendu gratuitement, sans rémunération, sans qu’aucun service soit exigé en retour. Il part alors du principe sympathique plutôt que du principe de l’intérêt personnel. Il constitue le don et non l’échange. Par suite, il semble qu’il n’appartienne pas à  l’économie politique (qui est la théorie de l’échange), mais à  la morale. En effet, les actes de cette nature sont, à  cause de leur mobile, plutôt moraux qu’économiques. Nous verrons cependant que, par leurs effets, ils intéressent la science qui nous occupe. D’un autre côté, les services rendus à  titre onéreux, sous condition de retour, et, par ce motif, essentiellement économiques, ne restent pas pour cela, quant à  leurs effets, étrangers à  la morale.
    Ainsi ces deux branches de connaissances ont des points de contact infinis; et, comme deux vérités ne sauraient être antagoniques, quand l’économiste assigne à  un phénomène des conséquences funestes en même temps que le moraliste lui attribue des effets heureux, on peut affirmer que l’un ou l’autre s’égare. C’est ainsi que les sciences se vérifient l’une par l’autre.

    a suivre

    Voilà  ! j’espère que ça vous a plu. Le prochain chapitre s’appelle : « Des besoins de l’homme ».

  • Harmonies économiques : Introduction

    Voici le premier d’un série d’articles sur l’ouvrage « Harmonies économiques » de Bastiat. Comme je trouve ce texte admirable, je ferais un billet de résumé/extraits sur chacun des chapitres, au fur et à  mesure de mes lectures, et du temps disponible sur mes soirées et mes week-end ! J’utiliserai abondamment les longs extraits de texte, parce que c’est la beauté du texte, son aspect pédagogique et clair qui m’a donné envie de faire ces billets (…et aussi parce que ça va plus vite :smile: ).

    Les intérêts sont harmoniques

    Je commence donc avec l’introduction du livre, intitulée « A la jeunesse Française ».
    Il part sur cette idée très forte, qui résume l’ensemble de l’ouvrage (il se fixe comme ojectif de le démontrer) : « Tous les intérêts légitimes sont harmoniques ». Il discute dans cette introduction de la « solution » au problème social.

    Or, cette solution, vous le comprendrez aisément, doit être toute différente selon que les intérêts sont naturellement harmoniques ou antagoniques.
    Dans le premier cas, il faut la demander à  la Liberté; dans le second, à  la Contrainte. Dans l’un, il suffit de ne pas contrarier; dans l’autre, il faut nécessairement contrarier.
    Mais la Liberté n’a qu’une forme. Quand on est bien convaincu que chacune des molécules qui composent un liquide porte en elle-même la force d’où résulte le niveau général, on en conclut qu’il n’y a pas de moyen plus simple et plus sûr pour obtenir ce niveau que de ne pas s’en mêler. Tous ceux donc qui adopteront ce point de départ: Les intérêts sont harmoniques, seront aussi d’accord sur la solution pratique du problème social: s’abstenir de contrarier et de déplacer les intérêts.
    La Contrainte peut se manifester, au contraire, par des formes et selon des vues en nombre infini. Les écoles qui partent de cette donnée: Les intérêts sont antagoniques, n’ont donc encore rien fait pour la solution du problème, si ce n’est qu’elles ont exclu la Liberté. Il leur reste encore à  chercher, parmi les formes infinies de la Contrainte, quelle est la bonne, si tant est qu’une le soit. Et puis, pour dernière difficulté, il leur restera à  faire accepter universellement par des hommes, par des agents libres, cette forme préférée de la Contrainte.

    La suite sur la page suivante !

  • Echanges d’efforts, services et économie

    Besoin, effort, satisfaction: voilà  l’homme, au point de vue économique.
    Nous avons vu que les deux termes extrêmes étaient essentiellement intransmissibles, car ils s’accomplissent dans la sensation, ils sont la sensation même, qui est tout ce qu’il y a de plus personnel au monde, aussi bien celle qui précède l’effort et le détermine, que celle qui le suit et en est la récompense.
    C’est donc l’Effort qui s’échange, et cela ne peut être autrement, puisque échange implique activité, et que l’Effort seul manifeste notre principe actif. Nous ne pouvons souffrir ou jouir les uns pour les autres, encore que nous soyons sensibles aux peines et aux plaisirs d’autrui. Mais nous pouvons nous entr’aider, travailler les uns pour les autres, nous rendre des services réciproques, mettre nos facultés, ou ce qui en provient, au service d’autrui, à  charge de revanche. C’est la société. Les causes, les effets, les lois de ces échanges constituent l’économie politique et sociale.
    Frédéric Bastiat