De Gaïa à l’IA

Sous-titré « pour une science libérée de l’écologisme », le dernier ouvrage de Jean-Paul Oury, docteur en histoire des sciences et technologies, De Gaïa à l’IA, est remarquable par son ampleur, sa profondeur, et la rigueur de son analyse. Malgré quelques petits défauts, je ne saurais assez en recommander la lecture.

L’Humanité menacée par les idéologies

Comme toujours, ce sont les idéologies qui, portées par des personnalités radicales et excessives, sont la plus grande menace pour l’humanité. Que ces idéologies soient religieuses, technocratiques, scientistes, ou autre, cela ne change pas grand-chose : leur manière de nier le réel, et les faits, et de classer les sceptiques dans le camp du Mal, en font des leviers d’oppression et de violence. Le quatrième de couverture résume très bien le propos du livre.

L’humanité est à la croisée des chemins. D’un côté, les idéologues de l’écologisme (l’écologie politique) nous promettent le retour à un état de nature idyllique. Ce nouveau totalitarisme cherche à imposer la décroissance et ses militants les plus extrêmes en appellent à la disparition de l’espèce humaine, considérée comme un cancer pour la planète. Les arguments scientifiques sont alors soigneusement choisis, instrumentalisés, pour correspondre à leurs conclusions. De l’autre côté, une foi aveugle dans le tout-technologique incarnée par le courant post-humaniste du transhumanisme, pourrait bientôt façonner un monde tout aussi dangereux. Celui-ci serait contrôlé et surveillé par ceux qui maîtrisent les algorithmes. Cette société de contrôle mettrait en péril nos libertés, mais également l’humanité tout entière avec le projet de la fusionner avec les machines. Après nous avoir plongé dans deux dystopies, la Collapsocratie, dictature verte décroissante, et l’Algorithmocratie, monde hyper-technologique vide de sens, cet essai cherche une voie de sortie pour l’individu. L’auteur s’interroge sur les limites de la science des ingénieurs et celle des législateurs, et nous propose un manifeste de politique scientifique en dix points dans l’objectif d’échapper aux idéologies de ce nouveau monde et retrouver la libre-responsabilité.

Laboureur inlassable

Vous pourrez trouver un excellent « résumé » du livre dans l’article détaillé de Francis Richard, pour le site Les Observateurs. L’ouvrage est dense, très documenté, et Jean-Paul Oury, visiblement passionné par son sujet, le travaille en profondeur. L’auteur est, dans le bon sens du terme, un laboureur. Cette thématique (libérer la science des idéologies) il la travaille depuis longtemps, et a écrit des dizaines de tribunes, papiers, et plusieurs ouvrages (dont un recensé ici : Greta a tué Einstein). Et ce travail a conduit à en faire un terrain fertile, propice à faire pousser de belles choses.
Et c’est ce qui donne la très grande force à l’ouvrage : d’une part son auteur ne fait jamais l’économie d’aller regarder de près, en en épousant la logique pour mieux les désamorcer, les arguments de ses adversaires. Il ne fait jamais l’économie non plus, d’aller regarder et comprendre les oppositions philosophiques sous-jacentes aux discussions, pour mieux comprendre les grands paradigmes de pensée qui sont à l’œuvre. Il se dégage toujours de ces réflexions une position rationnelle, scientifique et ouverte, cherchant la voie du milieu, réaliste, pragmatique sans négliger les idéaux de liberté. Et sachant toujours séparer les disciplines : la politique et la science, la philosophie et l’épistémologie, et en fin d’ouvrage, la politique scientifique (à l’échelle d’un pays) et la science. Cette rigueur intellectuelle est probablement ce qui rend cet ouvrage indispensable.

Petits défauts ?

Comme je connais l’auteur, et après avoir partagé les raisons de lire cet ouvrage, il me paraît important de souligner quelques faiblesses (à mes yeux) de l’ouvrage, et quelques points de désaccords. Ils sont minimes :

  • Les œuvres comme les gens ont toujours (?) les défauts de leurs qualités. Le côté très documenté, très systématique du livre, le rend aussi un peu touffu, foisonnant, pleins de circonvolutions. Je ne parle pas du style, qui est très clair et facile à suivre, mais du cheminement de pensée et du plan général. Il manque à mon sens un travail d’édition à ce livre, pour en canaliser la force, et le rendre un peu plus synthétique.
  • A certains moments, et je pense dans un louable souci de transparence, l’auteur partage des motivations personnelles. C’est à la fois intéressant et utile, mais cela aurait mérité d’être regroupé dans une section spécifique.
  • Sur le sujet du CO2 et de son impact sur le climat, l’auteur, écrit un chapitre assez drôle puisqu’il commence par faire comme s’il s’était converti à une nouvelle religion pour finir par faire une démonstration magistrale qu’a minima un esprit lucide doit constater que débat scientifique il y a sur la question. Seulement, ce faux aveu, s’avère n’en être pas un. En fin d’ouvrage Jean-Paul Oury écrit que l’énergie doit être « décarbonée ». Ce qui montre, à mon avis, que malgré le débat scientifique réel sur le sujet, l’auteur a choisit un « camp ». Et ce faisant il se tire une balle dans le pied. Tout l’édifice « décroissant » de l’écologisme repose, in fine, sur cette entourloupe intellectuelle et scientifique, financée à coup de milliards et de censure. Il s’agit là d’un point de profond désaccord : où est passé l’esprit rationnel si, sur un sujet où les scientifiques ne sont pas d’accord, on prend des décisions politiques en faisant comme s’ils l’étaient ?

A mettre entre toute les mains

Ces petits points de discussions ne changent pas vraiment la donne : ce livre est remarquable, et l’on souhaiterait qu’il trouve une audience large, des relais médiatiques (parmi ceux, nombreux, que JP Oury cite), et que des politiciens (certains comme David Lisnard, cité dans l’ouvrage, sont déjà visiblement dans la même logique) prennent en compte ce Manifeste pour une vraie politique scientifique, débarrassée de l’idéologie, pragmatique et au service des citoyens.


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Commentaires

4 réponses à “De Gaïa à l’IA”

  1. Avatar de Oury
    Oury

    Merci cher Blomig pour ce commentaire élogieux et qui me touche. Effectivement je réfléchis sur l’écologie politique depuis 1999 pour être précis quand j’ai commencé ma thèse. Donc effectivement je laboure bien le terrain.
    Sur les critiques :
    – Oui J’aurais pu faire un effort de synthèse. Je vais travailler sur de petits dialogues (du style de OGM moi non plus que tu avais lu, je crois). Ainsi cela permettra également de renforcer l’accessibilité.
    – Sur mes motivations personnelles je trouve que j’en dis déjà beaucoup. Ce n’est pas une autobiographie :-)
    – Je ne pense pas me tirer une balle dans le pied mais peut-être que je me trompe. En tant que simple citoyen, non climatologue, je me suis convertis comme je l’ai dit et rangé derrière la doxa ; en tant qu’épistémologue cependant je suis partagé : j’ai conscience que cette croyance repose sur une forme de sainte trinité, aussi, je me permets de douter de cette exigence de croyance, d’autant plus que je constate qu’il existe des controverses (notamment celles qui disent que d’autres facteurs entrent en ligne de compte) et je rappelle que le consensus n’est pas le premier critère qui fait la scientificité d’une proposition, mais c’est sa falsifiabilité donc il est compliqué de déduire des lois pour modifier la société de cette science du climat ; en tant que contribuable enfin, je pense qu’on met trop d’argent sur la mitigation et pas assez sur l’adaptation et qu’il ne faut nullement sacrifier la croissance pour continuer d’innover pour être mieux à même de s’adapter. Enfin, si je me reporte à mon principe de libre responsabilité comme critère d’établissement d’une bonne politique scientifique « idéalement » une énergie décarbonée obtenue avec un EPR qui permet la combustion des déchets nous rend plus libre et responsable. Au plaisir de continuer cette conversation.

    1. Avatar de BLOmiG
      BLOmiG

      Hello Oury, merci d’être venu réagir !
      merci pour ton éclairage également. Ce que j’avais du mal à comprendre se précise : j’avoue que si en tant qu’épistémologue tu vois la réalité du débat scientifique (que tu explicites très bien d’ailleurs), j’ai du mal à comprendre pourquoi le citoyen se range à faire comme si la question était tranchée. Elle ne l’est pas. Je ne vois pas bien en quoi l’énergie doit être « décarbonée ». mais bon, c’est probablement que j’ergote… sauf que, sauf que.
      Mon point est que presque toutes les conversations sur ces sujets (quel que soit l’avis des interlocuteurs), quand on peut discuter et remonter aux causes racines sont toujours sur le même schéma :
      – il faut faire x et y
      – pourquoi ?
      – parce que ça évite des émissions de CO2
      – et pourquoi c’est à éviter ?
      – parce que ça réchauffe la planète à une vitesse qui n’est pas gérable

      je prétends que tout dans cette dernière phrase est questionnable et fragile : que la planète se réchauffe un peu n’est en rien un problème, la vitesse du réchauffement n’a rien d’inquiétant, et on ne sait pas si les humains y peuvent quoi que ce soit.
      En tant que citoyen, donc, et comme toi contribuable, je pense que c’est un sujet d’une importance tout à fait secondaire. Aucune urgence, pas grand intérêt. Il n’en a (de l’importance) que parce que certains « pour décarboner » veulent suicider notre économie et nos libertés. bref, oui avec plaisir pour en parler, ici ou ailleurs.
      Pour le dire autrement et plus directement mon sentiment est que ta position de « citoyen » (qui s’est rangé à vouloir combattre les émissions de CO2) est une tactique pour être entendable et ne pas être rangé dans la catégorie « climatosceptique ». Mais c’est peut-être un peu malicieux de ma part de penser cela. amitiés

      1. Avatar de Jean-Paul Oury
        Jean-Paul Oury

        Ce n’est pas la première raison … je dis idéalement decarbonee parce que jusqu’à preuve du contraire les hydrocarbures sont limités… bien sûr on peut encore avoir une bonne surprise style gaz de schiste … mais mieux vaut miser sur les ERP qui nous laissent un répit de 5000 ans d’après les calculs de certains experts c’est une question d’optimisation de notre libre responsabilité… quant à savoir si nos émissions contribuent pour moi cela ne fait aucun doute : est ce catastrophique ? Il y a controverse ( argument de Lindzen )mais la plus grosse incertitude porte à mon avis sur le fait que nous sommes dans l’incapacité de dire quelle est la contribution de l’humanité ( argument de Koonin) et nous ne tenons pas assez compte des phénomènes naturels ( argument de Curry ) … en tout état de cause il est évident que nous devons privilégier l’adaptation et je répète à plusieurs reprises que la mitigation n’est pas le problème ( voir chapitre Anti-climatocrate :dompter la science du climat, ne pas l’instrumentaliser 231) et la croissance ( chapitre Growthology) … tu as lu mon livre trop vite … ou alors tu n’as pas jugé interessante la 4e partie ;)))

        1. Avatar de BLOmiG
          BLOmiG

          hello désolé si tu as galéré pour poster ce commentaire. Non j’ai bien lu ton livre. Bien sûr qu’il faut privilégier l’adaptation et merci de rappeler les différents arguments. Je critique la décarbonation car de manière très opérationnelle dans la manière d’appliquer ces directives « écologistes » dans les entreprises, la plupart font un bilan carbone. LE fait d’évaluer des solutions sous cet angle conduit à faire des choix idiots pour faire baisser le fameux bilan carbone (dont on ne sait pas trop ce qu’il mesure puisque c’est un mélange de choux et de carottes). C’est simplement mon point : d’un truc controversé scientifiquement, on a fait un outil de pilotage de choix structurants, et il faut donc bien à un moment remonter à la racine. Dans l’état actuel de nos connaissances, il n’est pas prudent de grever notre développement pour faire bouger (?) cet indicateur (on n’est même pas sûr de pouvoir le faire bouger en plus). mais je crois qu’on est d’accord.

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