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  • Gorgias

    Gorgias

    Gorgias est un classique de la philosophie, dense, compact, écrit par Platon, et qui raconte une discussion entre Gorgias, sophiste et maître de rhétorique, et Socrate qui on le sait, critiquait beaucoup les sophistes car, manipulant les mots et les idées pour être efficaces, ils n’avaient pas pour but la vérité et la justice.

    Dialogue à trois

    Le dialogue est en fait à trois : Gorgias, qui ne parle pas tant que cela, Socrate bien sûr, et Calliclès qui est un jeune politicien et qui utilise l’art de Gorgias. Ce n’est donc pas à proprement parler un ouvrage sur la rhétorique et ses techniques, mais plutôt un ouvrage sur la valeur morale de la rhétorique. Peut-on influencer les gens ? Si oui, quels moyens sont légitimes ?
    Socrate est sans pitié : il force, avec sa manière habituelle de conduire les échanges, en toute logique, ses interlocuteurs à reconnaitre que la rhétorique est un art oratoire qui sert à manipuler les gens, à jouer sur les croyances, quitte à travestir la vérité, ou à n’être pas juste. Donc à servir des intérêts particuliers et non des idéaux.
    « Socrate : Veux-tu alors que nous posions qu’il existe deux formes de convictions : l’une qui permet de croire sans savoir, et l’autre qui fait connaître ?
    Gorgias. – Oui, tout à fait.
    Socrate. – Alors, de ces deux formes de convictions, quelle est celle que la rhétorique exerce, « dans les tribunaux, ou sur toute autre assemblée », lorsqu’elle parle de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas ? Est-ce la conviction qui permet de croire sans savoir ? ou est-ce la conviction propre à la connaissance ?
    Gorgias. – Il est bien évident, Socrate, que c’est une conviction qui tient à la croyance. »

    A lire et à relire

    Si vous voulez en avoir un excellent résumé, complet, je vous invite à lire ce billet de blog superbement bien structuré et complet de Beaudoin Le Roux : Gorgias. Je pense pour ma part que c’est un livre majeur et que je le relirai : sa densité, l’ampleur des questions qu’il aborde, le rendent incroyablement puissant. La force de la logique et du raisonnement de Socrate est implacable. Il y a des arguments à opposer à l’idéalisme d’un Socrate : mais vu la branlée que se prennent Gorgias et Polos son disciple, il vaut mieux travailler un peu avant de s’y risquer !

  • L’anneau du pêcheur

    L’anneau du pêcheur

    Jean Raspail était décidément un auteur hors du commun : Le Camp des Saints, bien sûr, que tout le monde connaît, mais aussi Septentrion, m’avaient beaucoup plus. Et je n’ai pas été déçu par L’anneau du pêcheur, dans lequel je me suis donc plongé avec bonheur et où j’ai pu savourer son écriture si vive et si directe. Et cette histoire !

    Une histoire de dingue : les antipapes

    L’histoire s’appuie sur ce qui s’est passé au moment du Grand Schisme d’Occident : en 1378 à la mort du pape Grégoire XI, qui résidait à Avignon : son successeur, Urbain VI, n’est pas accepté par les cardinaux français, qui élisent un autre pape, Clément VII. Celui-ci revient s’installer à Avignon tandis qu’Urbain VI reste à Rome.
    Cette période de l’histoire est passionnante (je la découvrais) : il y a eu pendant plus de 50 ans, deux papes « officiels », l’un en Avignon, l’autre à Rome. Après de nombreux rebondissements (dont certains sont racontés dans le livre), Benoît XIII (Pedro de Luna, cardinal aragonais) est élu Pape en Avignon en 1394. Il finira par devoir s’exiler dans une place forte, Peniscola, et finira presque seul. Mais il réunira un conclave pour nommer un successeur avant de mourir, et l’un des cardinaux, prolongera à Rodez cette lignée d’antipapes, avec la nomination d’un Benoît XIV. Le roman pose comme thèse de départ que cette lignée de papes parallèles, les Benoît, s’est prolongée jusqu’à notre époque. C’est le deuxième récit parallèle dans le roman, où l’on suit un responsable du Vatican, parti à la recherche du dernier Benoît. Ce roman est donc l’histoire d’une lignée de Papes secrets qui se perpétue au cours des siècles.

    L’anneau du pêcheur : passionnant mélange de fiction et de réalité

    Le livre se dévore facilement, car il est bien écrit, rythmé et passionnant. Car avec quelques recherches, on se rend compte que la plupart des éléments de l’histoire sont vrais. Tous les personnages de l’époque du Schisme sont réels : Pedro de Luna, bien sûr, mais aussi le dominicain Vincent Ferrier, ou encore Jean Carrier. Et dans l’époque moderne on entend parler d’un certain Cardinal R, central dans la recherche du dernier Benoît. Comment ne pas faire le rapprochement avec celui qui deviendra … Benoît XVI ?
    Bref, vous l’aurez compris : superbe roman, historique et mystique, passionnant et intriguant.

  • Citation #161

    Je n’ai pas la force, tout petit individu que je suis, de m’opposer à l’énorme machine totalitaire du mensonge, mais je peux au moins faire en sorte de ne pas être un point de passage du mensonge.

    Alexandre Soljenitsyne (1918 – 2008) écrivain russe et dissident du régime soviétique

  • Hasui Kawase

    Hasui Kawase

    MidJourney : impressionnant

    Je m’amuse en ce moment à découvrir les possibilités de MidJourney : il s’agit d’un algo assez dingue qui permet, à partir d’une suite de mots (un prompt) décrivant ce qu’on voudrait voir, de générer des images. C’est un algo de génération d’image (dont le principe est très bien décrit par David Louapre). Il faut apprendre un peu pour savoir comment décrire ce que l’on souhaite obtenir, en donnant des éléments factuels, mais aussi des éléments de style. C’est assez bluffant. Aussi bien pour générer des « photos » que des images totalement imaginaires, basées sur des styles. Le plus intéressant, à mon sens, est d’arriver à créer, par combinaison de styles, des images originales dans leur écriture stylistique. Bref, je m’amuse. Et je m’en sers déjà pour illustrer mes présentations au boulot, ou ajouter des images à certains posts de ce blog (par exemple, cet ancien post a maintenant droit à une illustration splendide mêlant Klimt et Delaunay).

    Découverte : Hasui Kawase

    Dans mes recherches stylistiques, du coup, je suis tombé sur un artiste japonais que je ne connaissais pas, et dont je ne peux résister au plaisir de vous le faire connaître : Hasui Kawase (1883 – 1957). Wikipedia nous dit que c’était : « un peintre et illustrateur japonais travaillant dans la technique de l’estampe, célèbre surtout pour ses paysages. C’est un des artistes les plus prolifiques et talentueux du mouvement « Shin-Hanga » ou renouveau pictural. Ce mouvement est né sous l’égide de l’imprimeur Watanabe Shozaburo à Tokyo dans les années 1920 qui a édité près de 600 œuvres de Hasui. »
    Je vous invite chaudement à aller découvrir ses magnifiques œuvres, que je trouve pour ma part incroyable de modernité dans leur style (presque de la ligne claire avant l’heure), avec une douceur reposante et des cadrages et compositions toujours originales et apportant, souvent, de très subtils décalages et ruptures.
    En illustration des capacités de Midjourney, voici une image générée dans le style de Kawase, mais avec des objets plus futuristes :

  • Le climat par les chiffres

    Le climat par les chiffres

    Sous-titré « Sortir de la science-fiction du GIEC », le dernier livre de Christian Gerondeau est remarquable de concision et de pédagogie : factuel, sourcé, il s’ouvre sur une série de 23 graphiques commentés qui mettent les données disponibles en image.
    Si vous voulez rentrer dans le détail du contenu, je vous invite à visionner cette vidéo où il est interviewé par Charles Gave et Eric Léser de l’Institut des Libertés (discussion très intéressante et qui dépasse le cadre strict de l’ouvrage que je recense) :

    Si vous n’avez pas le temps, et en résumant à l’extrême : la quasi-totalité des discussions sur le climat, le C02 et l’impact de l’homme sont des sophismes. Les débats sur le climat tiennent non de la raison mais de la religion : les faits n’intéressent pas les gens, ils cherchent avant tout à être dans le camp des « gentils » (ceux qui vont sauver le monde en se suicidant). Le délire est pourtant assez simple à démonter, et Christian Gerondeau y parvient magistralement. Il a raison de dire, avec d’autres, que nous sommes devant la plus grande manipulation de tous les temps, dont les conséquences pour les pays développés sont graves.
    Réfléchissons en nous basant sur les faits, rappelle Gerondeau. Il est rapide de montrer que les efforts faits par les humains pour réduire leurs émissions de CO2 (si tant est qu’elles soient la cause d’une quelconque modification de température) sont inutiles : le flux (la production annuelle de CO2 mondiale) représente à peine 1/200e du stock (la masse totale de CO2 dans l’atmosphère terrestre). Faire évoluer nos productions de CO2 ne sert strictement à rien. D’autant plus que les pays en voie de développement vont augmenter leurs émissions, et ils ont bien raison car cela va sauver des vies : le manque d’accès à l’énergie, à l’électricité cause des millions de victimes : nous avons fait progresser notre niveau et notre qualité de vie en utilisant plus d’énergie, ce que font aussi les autres pays. Nous sommes en train, au nom de théories fumeuses, de nous tirer des balles dans les pieds. Et nous trouvons en plus le moyen d’être surpris que les autres ne nous suivent pas dans nos délires !
    Je vous invite vraiment à écouter la vidéo, et à lire le livre de Gerondeau. Sa position rejoint mon constat : nous sommes devant une mythologie, une foi, dérangeante dans son rejet des faits, de la réalité, et dans ses racines misanthropiques. Ce qui est flagrant, rageant, c’est que ce mensonge organisé est devenu une sorte de religion diffuse, officielle, mortifère et proprement suicidaire. Est-ce un signe de plus d’une décadence générale, ou l’un de ses moteurs principaux ?

  • De quelle manière les morts existent-ils ?

    De quelle manière les morts existent-ils ?

    Tout simplement un mort que j’aime ne sera jamais mort pour moi. Je ne peux même pas dire : je l’ai aimé ; non, je l’aime. Et si je refuse de parler de mon amour pour lui au temps passé, cela veut dire que celui qui est mort est. C’est là peut-être que se trouve la dimension religieuse de l’homme.

    Milan Kundera (1929 – 2023) écrivain tchèque naturalisé français.

    Inconsolables

    J’avais fait un brouillon de réflexion, jamais avancé, sur le thème de la mort et de la perte. Et l’écoute de l’excellente émission de Finkielkraut, Répliques, sur le sujet de « l’écriture du deuil » (conversation avec Adèle Van Reeth et Jérôme Garcin, tous deux auteurs de livres racontant leurs morts), m’a donné envie de le (re)travailler. Je me suis senti très proche du point de vue d’Adèle Van Reeth, dont le livre « Inconsolable » montre à quel point, et les autres membres de cette conversation en étaient bien d’accord, l’expression « faire son deuil » est assez horrible et convient très mal pour décrire ce que nous vivons quand nous perdons un être cher. L’introduction de Finkielkraut le dit très bien :

    Si l’on en croit l’esprit du temps, celle ou celui qui vient de perdre un être cher doit impérativement “faire son deuil”, c’est-à-dire accepter cette disparition, prendre acte de la réalité, et se vider, se délester du mort, afin de réintégrer dans les meilleures conditions et dans les plus brefs délais le monde trépidant des vivants. Heureusement pour l’Humanité, la littérature prend les choses à l’envers. Adèle Van Reeth, dans Inconsolable, et Jérôme Garcin, dans Mes fragiles, disent un chagrin dont ni l’un ni l’autre ne peuvent, ni ne veulent guérir. » (A. Finkielkraut)

    Le terme de chagrin est évoqué pour parler de ce qui se passe après. Il n’y a pas vraiment de raison, finalement d’être, consolables. Il faut apprendre à vivre sans, donc avec. Pourquoi cela passerait-il par la disparition du chagrin ? Nous avons dû, à notre grande douleur, laisser partir la personne : pourquoi devrions-nous en plus l’oublier ? Car ne nous trompons pas : il faut bien sûr continuer à vivre, pour les vivants et avec ceux qui sont là. Mais le trou béant laissé dans le réel par la disparition d’un être cher, ne saurait être oublié, ou rempli, ou recousu. Il s’agit de ne pas tomber dedans, mais pas non plus de prétendre qu’il n’existe pas. Je ne peux pas ne pas partager la magnifique citation de Michelet que Finkielkraut donne en fin d’émission :

    Rien de tel avant, rien après, Dieu ne recommencera point ; il en viendra d’autres sans doute, le monde qui ne se lasse pas amènera à la vie d’autres personnes, meilleures peut-être, mais semblables jamais, jamais, jamais.

    Jules Michelet (1798 – 1874) historien français.

    Présence des morts : au-delà des traces

    Alors bien sûr : les morts sont morts, et on ne les ramènera pas. Je ne crois pas aux mondes alternatifs, ou à la vie après la mort. Je ne retrouverai pas ceux qui sont partis. Mais cela, heureusement, ne signifie pas que l’on doive les réduire à l’état de traces (souvenirs, photos, écrits, etc.). Ces traces ont une valeur inestimable, mais elles sont statiques. Je crois que les morts sont présents en nous, et que quelque chose d’eux se perpétue, dynamiquement, parmi les vivants. Il me semble que c’est d’ailleurs quelque chose de fragile, et qu’il faut entretenir et protéger comme une petite flamme dans la tempête. Quel est donc ce « mode de présence » des morts parmi nous ? Puisqu’à l’évidence, comme le dit quelqu’un dans l’émission, « les morts n’ont que les vivants comme ressource pour exister », il nous faut bien penser ce « mode d’existence » pour les maintenir, malgré la mort, parmi nous. D’ailleurs, il s’agit plus de comprendre ce que l’on peut garder d’eux, malgré leur disparition, et ce que l’on peut en faire. Comme le disait Chateaubriand :

    Les vivants ne peuvent rien apprendre aux morts ; les morts, au contraire, instruisent les vivants.

    François-René de Chateaubriand (1768 – 1848) écrivain, mémorialiste et homme politique français.

    Je ne prétends pas avoir de réponse définitive sur le sujet, mais plutôt quelques pistes qui me paraissent intéressantes.

    Transmission

    Bien sûr, nos morts continueront d’exister, indirectement, si nous perpétuons leur lignée : des gènes, bien sûr, mais aussi une histoire, des histoires, que l’on va continuer à incarner et à transmettre à notre tour.

    Evocation & invocation

    Se souvenir est indispensable (Evoquer : « Faire apparaître par ses propos (quelque chose) à l’esprit »), et c’est le premier moyen dont nous disposons pour garder un peu avec nous ceux qui sont partis. Certains vont jusqu’à invoquer les disparus, en général pour se soutenir. C’est une piste que je trouve difficile : je suis mauvais en invocation, j’ai le sentiment de me parler à moi-même, en déformant encore plus les choses qu’en évoquant simplement la personne.

    Sublimation

    Bien sûr, il y aussi un travail de purification (Sublimer : « Action de purifier, de transformer en élevant. ») C’est ce qu’exprime magnifiquement Alain, dans un petit texte splendide (Immortalité des morts parmi les vivants) dont il avait le secret :

    Nos dieux naturels sont nos morts grandis et purifiés.

    Alain (Emile Chartier, dit) (1868 – 1951) philosophe, journaliste, essayiste et professeur de philosophie français

    Nos morts deviennent (ils l’étaient déjà en partie de leur vivant) des modèles à suivre ; cette transformation n’est pas trahir leur mémoire, c’est continuer de polir ce qu’ils avaient apporté au monde de meilleur. Je crois que, même sans vie après la mort, nous avons à nos côtés un peuple de Dieux :
    Elle était profonde sans le savoir, cette croyance des anciens qui voyaient partout autour d’eux se mouvoir et agir l’âme des ancêtres, qui sentaient revivre à leurs côtés les morts, peuplaient le monde d’esprits et douaient ces esprits d’une puissance plus qu’humaine. Si la pensée traverse la mort, elle doit devenir pour autrui une providence. Il semble que l’humanité ait le droit de compter sur ses morts comme elle compte sur ses héros, sur ses génies, sur tous ceux qui marchent devant les autres. S’il est des immortels, ils doivent nous tendre la main, nous soutenir, nous protéger : pourquoi se cachent-ils de nous ? Quelle force ne serait-ce pas pour l’humanité de sentir avec elle, comme les armées d’Homère, un peuple de dieux prêt à combattre à son côté !
    Jean-Marie Guyau (dans le très beau Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction)

    Inconsolables … et fidèles

    Pour conclure ce post trop long, j’ai le sentiment que le terme qui convient le mieux, finalement est, celui de fidélité. Les morts continuent d’exister par le biais de notre fidélité à ce qu’ils étaient, à ce que nous avons partagé, à ce qu’ils nous ont donné et transmis, et à ce qu’ils auraient voulu que l’on continu à être. C’est un programme simple et ambitieux à la fois, et qui nécessite, pour en vérifier la cohérence, de toujours faire exister en nous la singularité de ceux qui sont morts. C’est pour cela que le propos d’Adèle Van Reeth m’a touché : il nous faut bien accepter d’être inconsolables pour pouvoir être fidèles. Qu’en-pensez vous ?