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  • Catallaxie

    Catallaxie

    Il est impossible de penser correctement la société sans le concept de catallaxie. Je l’ai découvert pour ma part grâce à  Hayek11. Liens wikipedia : faites attention à la qualité des informations que vous pouvez y trouver, notamment celles ayant des résonnances politiques., puis Salin. F. Hayek en donne la définition suivante :
    L’ordre engendré par l’ajustement mutuel de nombreuses économies individuelles sur un marché. Une catallaxie est ainsi l’espèce particulière d’ordre spontané produit par le marché à  travers les actes des gens qui se conforment aux règles juridiques concernant la propriété, les dommages et les contrats.
    Une partie de l’ordre dans lequel nous vivons tous les jours, est du domaine de l’ordre spontané. C’est-à -dire qu’il n’est pas uniquement le fruit causal des actions des individus. Ou plutôt, cet ordre est bien sûr le fruit des actions d’une multitude d’individus, plus ou moins biens informés, mais dont la coexistence ne permet pas de prévoir l’ordre résultant. Un prix libre sur un marché est un très bon exemple. De multiples échanges ont lieu, l’information circule, plus ou moins, et les acteurs s’ajustent en permanence dans leurs échanges. Le prix résulte de ces interactions multiples, il n’est pas prévisible. Il n’est pas le fruit d’une construction centralisée. Le prix libre, évolutif, dans cet ordre spontané, est un moyen extraordinairement efficace « d’intégrer » toutes ces informations et ajustements. Il y a une forme d’auto-organisation, sans plan préalable, en évolution, et adossée à  des règles du jeu. Cette forme de réalité, incontestable, vient percuter de plein fouet la logique « constructiviste ». Il n’est pas toujours possible de déterminer, par un plan pensé à  l’avance, l’état des choses ultérieur. Il n’est pas possible de faire un plan permettant de fixer le prix du lait. Ou alors, il faudra, pour que cela soit possible, casser les règles juridiques et entraver la liberté des acteurs.

    Catallaxie, concept essentiel pour comprendre les sociétés libres

    Cette idée est essentielle pour comprendre quand les politiciens et autres philosophes viennent avec des discours qui ont le mérite d’être volontaristes, mais le – gros – défaut d’être, dans le meilleur des cas naïf, et dans le pire des cas dangereux.

    Personne n’a l’information parfaite, sur tous les paramètres d’un monde complexe et ouvert. Pourquoi les dirigeants, mieux que d’autres, l’auraient ? C’est ce que rappelait Bastiat :
    Les prétentions des organisateurs soulèvent une autre question, que je leur ai souvent adressée, et à  laquelle, que je sache, ils n’ont jamais répondu. Puisque les tendances naturelles de l’humanité sont assez mauvaises pour qu’on doive lui ôter sa liberté, comment se fait-il que les tendances des organisateurs soient bonnes? Les Législateurs et leurs agents ne font-ils pas partie du genre humain? Se croient-ils pétris d’un autre limon que le reste des hommes? Ils disent que la société, abandonnée à  elle-même, court fatalement aux abîmes parce que ses instincts sont pervers. Ils prétendent l’arrêter sur cette pente et lui imprimer une meilleure direction. Ils ont donc reçu du ciel une intelligence et des vertus qui les placent en dehors et au-dessus de l’humanité; qu’ils montrent leurs titres. Ils veulent être bergers, ils veulent que nous soyons troupeau. Cet arrangement présuppose en eux une supériorité de nature, dont nous avons bien le droit de demander la preuve préalable.(Frédéric Bastiat, La Loi)
    Cette logique d’ordre spontané adossé à  des règles permet de sortir de la logique du bouc émissaire. « Tuer » le coupable n’a jamais amélioré les choses, d’autant plus qu’il faut pour cela qu’un coupable existe. Certains états de faits ne sont pas le fruit de l’action consciente de l’un ou de l’autre, mais la résultante de règles de juste conduite et d’échanges libres. Le niveau des salaires n’est pas le fruit du mauvais esprit des méchants patrons, qui cherchent à  exploiter les pauvres salariés. Ils sont le fruit d’un jeu permanent d’adaptation entre l’offre et la demande, dans une structure et des processus de marché, catallactiques.

    Penser réellement la causalité

    Dans l’ère de la responsabilité, par contre, on cherche à  définir les contours de la responsabilité de chacun, ce qui passe par le droit, et la propriété, et la liberté. C’est une éthique liée aux règles, une éthique de type déontologique. C’est une logique qui refuse une forme de « conséquentialisme », c’est à  dire une logique consistant à  ne juger les choses que sur leurs conséquences. Puisqu’il n’est pas possible, en fait, d’attribuer la situation à  des suites simples de causes/effets (puisque l’état catallactique est le fruit d’une multitude de micro-ajustements et actions individuelles), il convient de placer au moins une partie du « juste » sur les règles. Respect du droit, de la propriété, des contrats libres.

    C’est une complexité qu’il nous incombe de prendre en compte dans nos réflexions politiques et sociales. Certains n’aiment pas cela, et préfèrent continuer à  (se) faire croire que tout état de la société est le résultat d’une action, et prévisible. Le régime de liberté implique un ordre spontané, catallactique. Le refuser, c’est nier soit le réel, soit la liberté.

  • Entreprises à  mission : et si on posait le débat ?

    Entreprises à  mission : et si on posait le débat ?

    Dans un article polémique, Philippe Silberzahn règle son compte à  l’entreprise à  mission. J’avais déjà  abordé le sujet pour montrer que le sujet de la mission est en lien étroit avec les capacités d’innovation. Je trouve l’article un peu excessif, et j’aimerais ici poser quelques éléments de la discussion, pour éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain.

    Points d’accord

    Quelques éléments que je partage avec Philippe Silberzahn :

    • les politiciens ont une fâcheuse tendance à  être comme des bouchons sur l’eau : tel le bouchon qui suit le mouvement des vagues (les évolutions de la société), le politicien a beau jeu d’entériner ces évolutions dans des textes de loi ou réglementation et de crier ensuite : « regardez ! je fais monter et descendre l’eau ». Bêtise crasse, ou simple volonté de se croire puissant, cela est proprement ridicule, et montre l’étendue du constructivisme ambiant. Les politiciens devraient apprendre ce qu’est l’ordre spontané dans une économie libre, cela leur permettrait peut-être de se cantonner à  leur vrai rôle, qui est de garantir la sécurité et la Justice à  leurs concitoyens.
    • il est clair que les entreprises créent de la valeur pour le collectif, pour la société, et qu’elles n’ont pas attendus que cela leur soit demandé par un politicien pour le faire, que ce soit sous forme de RSE, ou de mission élargie inscrite dans les statuts
    • le faible respect des droits de propriété dans une France très marxisante est un point d’énervement quotidien. Cette institution de la liberté qu’est la propriété est bafouée quotidiennement par nos lois et réglementations. En rajouter une couche est certainement une mauvaise idée

    Points de désaccord

    Quelques nuances que j’aimerais apporter, maintenant, au propos très dur de Philippe Silberzahn, pour éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain. Le bébé, c’est l’entreprise à  mission. L’eau du bain, c’est la récupération politicienne d’un mouvement existant. Depuis longtemps, un peu partout, et qui me semble un levier à  la fois d’innovation et d’engagement. En espérant qu’au final les modifications du code civil ne seront qu’une ouverture, et pas une contrainte, il faut tout de même prendre conscience que le fait d’introduire dans les statuts d’une entreprise un objet plus large que le seul profit est un vrai levier.

    • D’innovation : l’innovation se nourrit d’une mission large définie, qui permet de constamment revisiter l’offre, et la définition de ce qu’on appelle un client. Le « Job to be done » ne sert pas à  autre chose. Définir la mission est une source de créativité.
    • D’engagement : un des leviers de la motivation réside dans le sens et l’utilité de nos actions. Formuler collectivement dans le projet d’entreprise des aspirations plus larges que les activités actuelles ou historiques, c’est une très bonne manière de redonner du sens et de la motivation aux parties prenantes de l’entreprise.

    Questions en suspens

    Il reste donc plusieurs questions (beaucoup). Ratifier par la loi, par le truchement du code civil, une évolution déjà  visible dans la société, est-ce une erreur ? Est-ce que cela conduira à  des dérives, à  des lourdeurs, ou est-ce que cela sera une opportunité pour les entreprises qui le feront ? Au-delà  de cette « officialisation », le concept d’entreprise à  mission est-il générateur de valeur ? d’opportunités ? D’innovation, d’engagement ?

    Je conclue en confirmant qu’il s’agit là  d’un vrai sujet, selon moi, et que loin d’être un piège à  cons, l’entreprise à  mission est un outil, pour les entreprises. Que cet outil soit récupéré par une classe politique en manque de vernis moral, c’est une chose. Qu’il faille lutter contre sa systématisation, c’est évident. Mais cela reste une belle manière de redonner aux entreprises un sens collectif qu’elles ont perdu dans l’esprit de certains. Jean-Dominique Senard, patron de Michelin, n’a pas attendu les politiciens pour avancer sur ce sujet. Il me semble avec des fruits plutôt intéressants. A débattre ?

  • L’innovation pour les nuls #5 – Créativité

    L’innovation pour les nuls #5 – Créativité

    S’il y a bien un mot qui est souvent utilisé à  tort et à  travers, en innovation, c’est bien la « créativité ». Pourtant, sa définition est assez simple et claire :

    Capacité, pouvoir qu’a un individu de créer, c’est-à -dire d’imaginer et de réaliser quelque chose de nouveau.

    On voit tout de suite le lien avec l’innovation : « quelque chose de nouveau » répond bien à  une partie de la définition de l’innovation. Ce qui est important dans cette définition, c’est qu’elle fait référence à  une capacité. La créativité, c’est une capacité, pas un don. Et donc ça se travaille. Tous les outils permettant d’imaginer et de réaliser des choses nouvelles font partie des outils de la créativité. Les outils de conception bien sûr (design thinking, brainstorming, C-K, images, utilisation du théâtre, ou des sens et des émotions), mais aussi ceux du maquettage/prototypage. Donnons corps à  nos idées, le travail de conception bénéficie grandement de réalisations tangibles dès les premières étapes.
    Mon expérience de terrain m’a montré que deux choses sont essentielles dans la créativité : l’esprit de jeu (qui rend possible toutes les explorations), et l’hétérogénéité (mêler des choses différentes, revisiter les liens). Cela signifie que le meilleur moyen d’être créatif, c’est de s’entrainer (c’est une gymnastique), et de se nourrir de sources variées (sciences, littérature, philosophie, art, politique, jeu vidéo, etc…). Les créatifs sont des gens curieux, et avides de nouvelles connaissances.

    La créativité est un outil nécessaire de l’innovation, car elle permet de défixer. C’est-à -dire que le travail créatif permet de modifier les relations que nous entretenons avec les objets (au sens large) que nous concevons. La petite vidéo de Luc de Brabandère ci-dessous dit tout cela bien mieux que moi :

    Tout est dit ou presque. J’avais trouvé dans un article des Sciences pour l’ingénieur une liste des « postures créatives ». Je ne résiste pas au plaisir de partager cela ici (j’en ai ajouté deux, à  vous de trouver).

    Tout cela décrit simplement un esprit qui pense bien, non ? Et cela décrit aussi assez bien le type de culture d’entreprise dans lequel on souhaite évoluer.

    Pour finir, je voulais partager avec vous cette vidéo magnifique. Puisque la créativité est une capacité, elle peut s’apprendre. Où apprend-on ? A l’école pardi ! Sir Ken Robinson montre comment le système éducatif tue la créativité. A méditer.

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  • Politique et éthique : proposition de segmentation

    Politique et éthique : proposition de segmentation

    [note de l’auteur : billet mis à  jour suite aux échanges en commentaires… la discussion continue !]
    J’ai souvent le sentiment que les discussions politiques s’enlisent à  cause d’un manque de précision dans les termes. Par ailleurs j’aime la controverse, qui se nourrit des différences de points de vue : explicitons-les ! Dans cet esprit, j’ai essayé de trouver 2 oppositions fortes, structurantes, qui permettraient à  chacun de se positionner philosophiquement dans le champ politique.
    Le but de couples opposés n’est pas de forcer à  choisir : chacun des termes contient sa part de vérité, et le travail intellectuel qui nous incombe n’est pas de se positionner d’un côté ou de l’autre, en prétendant que l’autre est faux, mais de travailler à  l’articulation de ces contraires.

    Universalisme / Relativisme

    La première tension à  laquelle chacun apporte comme il peut des éléments de réponse, c’est celle existant entre une logique universaliste (certaines valeurs transcendent les différences culturelles et sont valables pour tous les humains), et une logique relativiste (chaque personne humaine doit être considérée dans sa particularité, sa spécificité culturelle). L’universalisme met l’accent sur une égalité de droit entre tous les humains, quand la logique relativiste privilégie le respect des différences.
    Il est assez difficile de concilier ces deux visions : elles s’excluent mutuellement, logiquement. Il y a certainement des outils de pensée pour articuler ces deux pôles.

    Collectivisme / individualisme

    La seconde tension est celle résultant des morceaux de vérité contenus par l’individualisme d’une part, et le collectivisme d’autre part. L’individualisme est une pensée du droit, et de l’ordre ouvert spontanée d’une société basée sur la liberté, tandis que le collectivisme justifie une organisation plus centralisée de la société, notamment pour organiser la solidarité entre ses membres, et penser l’organisation collective.
    Le collectivisme vise à  la justice sociale et à  la cohésion du groupe, tandis que l’individualisme pose la liberté comme fin en soi.
    Un outil utile pour réconcilier ces deux pôles me semble être la notion de subsidiarité. C’est en gros la liberté à  chaque niveau de décision, en commençant par l’individu, d’organiser les choses jusqu’à  ce qu’un échelon plus large soit nécessaire. L’organisation sociale y est légitime, mais en partant des besoins et de la liberté des personnes, et/ou des groupes. C’est à  la fois une pensée de l’action libre au bon niveau, ET une prise en compte de constructions sociales dépassant l’individu.

    En se positionnant sur ces deux axes on obtient le schéma suivant. J’ai fait figurer en rouge les risques ou travers de chaque position, en bleu les valeurs ultimes, et en vert le registre d’éthique mobilisé.
    Il ne me reste plus qu’à  inventer un petit questionnaire court, permettant en une dizaine de questions, de se positionner sur ce tableau. Ce serait une bonne manière d’en tester la pertinence, non ? Surtout, surtout, n’hésitez pas à  « boxer » ce schéma, et ce post : j’aimerai rendre robuste ce modèle, et j’accepterai tout à  fait qu’il soit en partie faux.
    J’ai continué la réflexion avec le découpage de Kling

  • L’innovation pour les nuls #4 – Mission

    L’innovation pour les nuls #4 – Mission

    Après avoir parlé de l’innovation en général, de la place de la fonction innovation dans l’entreprise, et des cadres conceptuels permettant d’articuler tout cela, venons-en à  un sujet qui me tient à  coeur, celui de la mission de l’entreprise. C’est un sujet important pour l’innovation, et c’est un sujet d’actualité. Le rapport Notat-Senard vient d’être présenté, et propose de modifier la définition juridique des entreprises en ajoutant la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux, en complément de la recherche de son intérêt propre. Ils évoquent également les entreprises à  mission, qui pose au centre des débats la « raison d’être » des entreprises.

    Start with Why

    Il me semble qu’au coeur de ces discussions et de ces évolutions (déjà  visibles dans plusieurs pays, et déjà  théorisées), il y a la question du sens de l’action collective. Les humains aiment agir dans un cadre qui fait sens pour eux. Et c’est à  ce prix qu’ils s’engagent vraiment dans leurs actions. J’avais trouvé très percutantes les conférences de Simon Sinek (associées à  son livre Start With Why). En même temps que la définition des actions (what), des organisations (how), il est important de parler de la raison d’être, du sens de nos activités (why). C’est toujours utile et éclairant de définir les enjeux. Pourquoi travaillons-nous ? Dans quel but ? Bien sûr, il s’agit toujours de rendre service. Pourquoi nous levons-nous le matin pour aller au boulot ? pour gagner de quoi vivre, bien sûr. Mais souvent pour des objectifs un peu plus large, selon nos goûts et nos valeurs.

    Transformation et mission

    Ce sujet de la mission de l’entreprise est également au coeur de deux ouvrages importants. Reinventing Organizations, de Frédéric Laloux, et Refonder l’entreprise, de Blanche Segrestin et Armand Hatchuel. Je cite à  dessein l’ouvrage de Segrestin, car les chercheurs du CGS de l’Ecole des mines, avec qui j’ai le plaisir de travailler, ont beaucoup oeuvré à  théoriser et à  structurer les connaissances sur ce sujet. Ils font partie des ouvrages très cités par le rapport Notat-Senard. Le livre de Laloux montre, vision et exemples à  l’appui, que la transformation implique toujours une remise au coeur de l’activité de la mission de l’entreprise. J’avais gardé une trace de ce qui se raconte dans le livre de Laloux sous forme de trois caractéristiques de la transformation : organisation circulaire, ouverture et mission.

    Je trouve ces trois axes éclairants pour expliciter ce qu’on appelle transformation.

    Mission et innovation

    Pourquoi ces thèmes de mission et de transformation me paraissent essentiels pour parler d’innovation ? J’avais explicité dans le schéma de l’article #2 en quoi la mission était au centre des discussions apportées par les fonctions innovation. Sans mission un peu « large » définie, pas de possibilité d’innovation. En tout cas, des innovations incrémentales uniquement. La mission de mon entreprise est de fabriquer des voitures ? ou de rendre service aux gens dans leur mobilité ? Dans le premier cas, je continue à  fabriquer, de mieux en mieux, et de plus en plus efficacement, des voitures. Dans le second cas, il devient légitime d’aller explorer des services de mobilité, ou tout type de sujet qui alimente une réflexion plus large sur la mobilité en général. La mission est-elle de vendre le plus d’objets possible, ou de participer à  construire une société, un monde désirables ? La mission ramène également dans le champ stratégique des entreprises un notion de morale, au sens noble du terme. Nos activités, pour faire sens, impliquent d’accepter de définir une mission qui nous engage, et qui contribue à  nous engager. Au sein d’un monde où les enjeux sociaux et environnementaux sont dans le périmètre de réflexion et d’action.

    Le prochain billet traitera de la créativité, et des méthodes de conception.

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  • L’innovation pour les nuls #3 – Exploitation et exploration

    L’innovation pour les nuls #3 – Exploitation et exploration

    L’article précédent se terminait sur les tensions entre les activités concernant le « maintenant » et le « demain », au sein des entreprises. Ces tensions sont le coeur de l’innovation. Articuler ces deux mondes nécessaires, organiser le dialogue entre les acteurs qui en portent la responsabilité. Et pour pouvoir dialoguer, il faut avoir un langage commun. Plusieurs cadres conceptuels permettent de penser tout cela, et de disposer de ce langage commun. J’aime beaucoup l’approche des 3 horizons, et je trouve très éclairants les éléments structurés dans un cadre de sciences de gestion par les chercheurs de l’Ecole des Mines (Laboratoire Centre de Gestion Scientifique). Voyons tout cela (en très résumé) ! Ces deux approches ont en commun d’expliciter des natures d’activités différentes qui coexistent au sein d’une même entreprise, et de rendre lisible leurs différences. On ne gère pas de la même manière les opérations courantes, et les activités d’exploration.

    3 horizons

    Comme toujours, Philippe Silberzahn en a fait un excellent article. Pour résumer, les 3 horizons concernent les activités matures (H1), les activités en croissance (H2), et les activités émergentes (H3). Le tableau suivant donne les éléments principaux.

    Le point qui me semble crucial, et ce sera aussi le cas pour l’approche ci-après, c’est que l’on n’évalue pas des activités différentes avec les mêmes critères de performance.

    RID & Conception Innovante

    (Pour ceux qui veulent plus de détails, je vous renvoie à  un article plus détaillé, écrit en sortant de formation). J’avais appris beaucoup lors de cette formation à  l’Ecole des Mines. Le modèle RID, tout d’abord, très utile dans des boites technologiques, où la confusion règne souvent entre R&D, et innovation. Quelques définitions, centrées sur les connaissances et les compétences de l’entreprise :

    • La Recherche est un processus contrôlé de production de connaissances
    • le Développement est un processus contrôlé, activant les compétences existantes pour spécifier un système en accord avec le cahier des charges prédéfini
    • L’Innovation définit la valeur, et est un processus de construction des compétences

    Il est à  mon avis utile et structurant de passer du temps à  comprendre ce qu’est un régime de conception. Un régime de conception se définit par 3 caractéristiques : des raisonnements, des modes d’évaluation de la performance, et des organisations. On peut décrire – au moins – deux grands régimes de conception dans les activités d’une entreprise : le régime de conception réglée, et le régime de conception innovante. J’aime bien synthétiser cela sous la forme d’un tableau et de deux images illustrant une métaphore.

    « ‹ Conception Réglée (D) « ‹Conception Innovante (I) »‹
    Raisonnements Design formel, « ‹Design fonctionnel, Design détaillé C-K, revisiter l’identité des objets
    Evaluation de la performance « ‹Qualité – Coût – Délai « ‹Variété, Valeur, Originalité, Robustesse
    « ‹Organisation « ‹Projets « ‹Equipe multidisciplinaire, itération

    Pour rendre ce tableau plus digeste, j’utilise en général une métaphore forestière : la conception réglée, c’est comme construire une route à  travers une forêt, quand on en a déjà  fait plusieurs. La conception innovante, c’est explorer une forêt en cherchant à  y trouver tout ce qui peut avoir de la valeur.

    De manière schématique, la conception réglée c’est le domaine de compétences de l’entreprise : elle a déjà  construit des routes, et sait dire au début ce qu’est un objet « route ». Les compétences nécessaires, le budget, le temps, tout cela est plus ou moins connu au démarrage des travaux. Il y aura de l’imprévu, des embûches, et des innovations incrémentales pendant ce chantier, mais à  la fin on sais ce que l’on conçoit et construit : une route.
    La conception innovante, c’est le fait d’aller explorer la forêt. Peut-être y trouvera-t-on des endroits pour faire des routes, mais aussi des puits d’eau, des mines d’or, des arbres aux fruits magiques. Il est probable qu’il faudra aller chercher des compétences hors de l’entreprise pour comprendre ce que l’on aura trouvé dans cette forêt. Le premier livrable de cette exploration, c’est la carte de la forêt, la plus complète possible (y compris en ayant analysé et compris les objets inconnus que l’on y a trouvé, sous l’angle de la valeur). Une autre caractéristique des raisonnements de conception innovante, c’est qu’ils conduisent à  revisiter l’identité de l’objet conçu. Nous y reviendrons dans l’article consacré à  la créativité, mais vous pouvez déjà  lire à  profit l’excellent article d’Armand Hatchuel sur ce sujet : « Quelle analytique de la conception ? Parure et pointe en design. ».
    Tout l’enjeu, à  mon sens, est de faire dialoguer ces deux activités très différentes, par leur nature, comme dans leur mode d’évaluation. Le plus gros risque serait d’évaluer la Conception Réglée avec les critères de performance de la Conception Innovante, et vice versa.

    Fort heureusement, il existe un MOOC conçu et présenté par Armand Hatchuel et Sophie Hooge, de l’Ecole des mines, qui revient sur tout cela et sur bien d’autres choses encores : Concevoir pour innover. Nous reviendrons dans un article ultérieur – probablement le #5 – sur les raisonnements de conception,
    et sur la créativité.

    Conclusion

    La prochaine fois nous parlerons de « mission ». C’est un sujet que je trouve passionnant, car c’est la clef de voûte permettant d’articuler le dialogue nécessaire mentionné en introduction. Un levier puissant pour penser à  la fois le « maintenant » et le « demain », c’est bien entendu d’assumer la nature organique de l’activité des entreprises, et d’expliciter la mission de l’entreprise, le sens de ce travail collectif. Y compris dans son aspect évolutif.

    Un bénéfice direct à  l’écriture de ces articles : j’ai découvert grâce à  ma collègue ce très beau cadre concepteur, sur les 3 structures existantes dans les entreprises, et en parlant avec Frédéric Touvard, j’ai pu découvrir l’approche de Berne (livre commandé à  l’instant, miam, miam).

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