CatĂ©gorie : 🔭 Sciences

  • ChatGPT, ressource pour la conception innovante ?

    ChatGPT, ressource pour la conception innovante ?

    A moins d’avoir vĂ©cu sur une autre planĂšte, vous avez forcĂ©ment entendu parler de ChatGPT. Peut-ĂȘtre n’en avez-vous rien Ă  faire, ce qui est votre droit le plus strict. Mais il faut reconnaĂźtre que l’outil est d’une puissance terriblement intĂ©ressante, et suscite plein d’usages nouveaux. Dans cet article, je reviens briĂšvement sur ChatGPT, la thĂ©orie C-K, et un usage intĂ©ressant de chatGPT comme ressource de conception.

    ChatGPT

    ChatGPT, c’est une interface en langage naturel avec une intelligence artificielle qui sait aller chercher, structurer et regrouper, et formaliser Ă  peu prĂšs tout et n’importe quoi : vous lui demandez un truc, et elle vous rĂ©pond. Les rĂ©ponses sont en gĂ©nĂ©ral de trĂšs bonne qualitĂ©, et en apprenant Ă  poser les bonnes questions, on est vraiment bluffĂ©… Essayez, vous verrez. :)
    Le nombre d’article consacrĂ©s Ă  Chatgpt dans les derniĂšres semaines dĂ©passe largement ce que j’aurai le temps de lire dans une annĂ©e entiĂšre. Je vous recommande simplement la lecture de Philippe Silberzahn qui a bien soulignĂ© en quoi c’Ă©tait innovant, « disruptif », et pourquoi les GAFAM n’ont pas pris le sujet Ă  la lĂ©gĂšre.
    Comme toutes les IA et les plateformes soumises au droit positif et aux lubies parfois Ă©tranges des humains, certaines barriĂšres ont Ă©tĂ© mises en place pour garder chatgpt dans le cadre du politiquement correct ; c’est une erreur Ă  mon sens – cela induit de gros biais -, mais c’est une autre discussion. Pour savoir quels sont les risques Ă  utiliser ChatGPT, un petit organigramme a Ă©tĂ© créé par Aleksandr Tiulkanov. Vraiment c’est un outil magnifique. Les usages sont presque infinis, comme moyens d’interagir avec les donnĂ©es, comme outil de gĂ©nĂ©ration de contenus, comme outil de multiplication des usages possibles du NLP, etc, etc.

    Créativité et Théorie C-K

    J’utilise et j’enseigne quelques Ă©lĂ©ments de crĂ©ativitĂ© et de conception innovante, notamment en m’appuyant sur la thĂ©orie C-K. Je vous renvoie Ă  mon article sur la crĂ©ativitĂ©, mais redonnons deux exemples concrets d’objets mentaux (connaissances et concepts, Knowledges et Concepts), et deux modes de raisonnement, que l’on manipule en partant d’un cas prĂ©cis, une voiture (si vous remplacez voiture par n’importe quoi d’autre ça fonctionne toujours) :

    • ComplĂ©tez la phrase suivante, sans rĂ©flĂ©chir outre mesure. Un exemple de voiture est :… Si vous ĂȘtes normalement constituĂ©, vous avez dĂ» penser Ă  des voitures (des modĂšles, des marques) : une renault 4L, une MercedĂšs classe A, une Mehari, etc. Ce sont des connaissances : vous ĂȘtes allĂ©s puiser dans vos connaissances. Cette liste est finie (vous aurez un moment Ă©puisĂ© vos connaissances, ou vous aurez approfondi en listant toutes les voitures existantes), et il est possible de se tromper (si je prolonge la phrase avec « abri-bus », c’est faux).
    • ComplĂ©tez Ă  prĂ©sent la phrase suivante. Une voiture est un exemple de :… si vous avez rĂ©pondu vite, vous avez probablement dit « moyen de transport », ou « vĂ©hicule », ou « objet Ă  4 roues ». Vous avez produit des concepts. Cette liste est presque infinie (on peut toujours imaginer de nouveaux liens entre l’objet voiture et des concepts), et il n’est pas vraiment possible d’avoir faux (les concepts n’ont pas de statut logique). Une voiture est un exemple d’objet oĂč je peux dormir, qui m’abrite du vent et de la pluie, qui est fait de plastique et de mĂ©tal, etc. etc.

    L’apport gĂ©nial d’Armand Hatchuel et Benoit Weil, puis de Pascal Le masson, a Ă©tĂ© de thĂ©oriser de maniĂšre gĂ©nĂ©rale les raisonnements de conception en montrant qu’ils s’appuient sur la manipulation sĂ©parĂ©e, mais conjointe, d’objets de ces deux espaces (concepts et connaissances). Des opĂ©rateurs propres Ă  chaque espace, et permettant les passages de l’un Ă  l’autre existent. Passionnant ! Je vous renvoie aux travaux du CGS de l’Ecole des Mines, Ă  mon article sur la conception innovante et C-K, et au trĂšs bon site Theory C-K pour en savoir plus.

    ChatGPT, créativité et C-K

    En prĂ©parant une petite prĂ©sentation sur crĂ©ativitĂ© et C-K Ă  destination de mes collĂšgues, nous avons eu l’idĂ©e avec un collĂšgue (MaĂ«l pour ne pas le nommer), de tester ces phrases (sur les voitures) sur ChatGPT. Et puis dans une sĂ©ance de C-K, je me suis dit que l’on pourrait systĂ©matiser cet usage et faire de ChatGPT un adjoint du travail de conception innovante, permettant de complĂ©ter les connaissances, et gĂ©nĂ©rer de nouveaux concepts et ainsi de rendre plus systĂ©matique et crĂ©ative l’exploration en C-K. Creusons un peu le sujet.

    Connaissances et concepts

    J’avais commencĂ© Ă  par demander Ă  ChatGPT de complĂ©ter la phrase : « un exemple de voiture est… ». Voici la rĂ©ponse apportĂ©e.

    Et ensuite, la phrase pour forcer les concepts, réponse en image.

    Je pensais que j’avais un peu coincĂ© l’IA, et qu’elle avait du mal Ă  dĂ©fixer du concept de vĂ©hicule. Mais pas du tout, j’avais simplement mal posĂ© la question. VoilĂ  ce qu’il produit avec une question mieux posĂ©e – merci MaĂ«l! -, et l’incitant Ă  s’autoriser un peu de crĂ©ativitĂ© (dĂ©calage du regard sur l’objet, ou « casser » des caractĂ©ristiques considĂ©rĂ©es comme majeures pour l’identitĂ© de l’objet) :

    C’est dĂ©jĂ  beaucoup plus riche, et beaucoup plus intĂ©ressant ! Il est donc relativement simple de forcer ChatGPT Ă  produire des concepts. A creuser pour optimiser (notamment le forcer Ă  ne pas mĂ©langer les concepts diffĂ©rents en une seule phrase), mais la possibilitĂ© est lĂ .

    Exploration C-K

    Nous avons ensuite sur un cas concret d’exercice C-K (C0= »la montre qui prend soin de moi »), jouĂ© avec ChatGPT. C’Ă©tait trĂšs intĂ©ressant car c’est Ă  la fois un super pourvoyeur de connaissances, mais donc aussi un trĂšs bon producteur de concepts. A minima, cela permet de tester la robustesse de l’arborescence de concepts, d’en identifier de nouveaux. Mais cela permet aussi, sur certains concepts projecteurs, de lui faire gĂ©nĂ©rer des caractĂ©ristiques supplĂ©mentaires trĂšs rapidement, et donc de provoquer des expansions rapides et relativement rigoureuses de certains endroits de l’arbre. Je vais maintenant tester sa capacitĂ© Ă  faire des liens entre deux « idĂ©es », ou « concepts », ou « connaissances », car cela peut-ĂȘtre aussi trĂšs utile.

    Super opportunité

    J’invite tous les concepteurs Ă  tester les usages rendus possibles par ChatGPT dans leurs activitĂ©s, car il me semble que c’est un trĂšs beau terrain de jeu et d’exploration. Si j’Ă©tais capable de programmer, je programmerais un algo utilisant ChatGPT pour construire automatiquement une arborescence de concepts et une cartographie de connaissances Ă  partir d’un C0. En l’autorisant Ă  remonter en concept sur le C0, au besoin, mais Ă  la recherche d’Ă©lĂ©ments prĂ©sentant de la valeur. Il faudrait programmer aussi une « fonction d’Ă©valuation de la valeur », une « fonction d’Ă©valuation de la gĂ©nĂ©rativité », pour que le programme comprenne Ă  quel endroit il peut ĂȘtre intĂ©ressant de creuser. On pourrait ainsi gĂ©nĂ©rer presqu’automatiquement des concepts projecteurs, des idĂ©es crĂ©atives, en partant d’un brief.
    Update : petite discussion oĂč je demande Ă  chatgpt de faire un CK pour moi. Impressionnant:
    do you know CK

    Et vous ? Avez-vous testé chatGPT ? Voyez-vous des usages pertinents dans votre secteur ?

  • Le problĂšme à  trois corps

    Le problÚme à  trois corps

    Liu Cixin, Ă©crivain chinois, est – de maniĂšre tout Ă   fait mĂ©ritĂ©e – mondialement connu pour sa trilogie dĂ©marrant avec « Le problĂšme Ă   trois corps ».
    Vous le savez, j’aime la science (notamment la physique), et la science-fiction. Je crois que c’est d’ailleurs mon style de fiction prĂ©fĂ©rĂ©. J’y retrouve de quoi satisfaire mon goĂ»t pour le mystĂšre de la nature et de la matiĂšre, mystĂšre qui se nourrit, bien sĂ»r, de la frontiĂšre entre ce que l’on sait, et ce que l’on ne sait pas. La science-fiction se situe en gĂ©nĂ©ral juste lĂ  , du moins la hard-science-fiction.
    Le problĂšme Ă   trois corps est un formidable roman, avant tout. Les personnages, le style, les rĂ©flexions des personnages, le rythme : tout me convient. J’ai dĂ©vorĂ© ce livre en une semaine. Je sais que je vais commander les deux suivants rapidement. Le seul problĂšme, confirmĂ© par une amie, c’est que c’est trĂšs explicite sur les aspects de science(fiction), et du coup un peu technique, ce qui peut ĂȘtre rĂ©barbatif. Moi j’adore. Il y est mĂȘme fait un clin d’oeil au superbe « Les fontaines du paradis »). Pour vous donner envie d’y plonger le nez, voici quelques Ă©lĂ©ments de rĂ©sumĂ© (rĂ©sumĂ© plus dĂ©taillĂ© sur Wikipedia).

    Histoire d’envergure interplanĂ©taire !

    Deux Ă©poques se cĂŽtoient Ă   merveille dans la narration, sans aucune complexitĂ© inutile. En 1967, une scientifique, Ye Wenjie, se retrouve embarquĂ©e de force sur un projet ultra-confidentiel de l’armĂ©e, une sorte d’antenne gĂ©ante de communication avec l’espace, perchĂ©e sur une montagne au fin fond des forĂȘts du Grand Khingan. En 2007, un scientifique de haut niveau – Wang Miao – commence Ă   avoir des troubles visuels (des sĂ©ries de chiffres apparaissent sur sa rĂ©tine). Cherchant Ă   en comprendre la cause, il se retrouve recrutĂ© par l’armĂ©e pour infiltrer une Ă©trange organisation des FrontiĂšres de la Science, qui pourrait ĂȘtre liĂ©e Ă   une vague de suicides parmi les scientifiques. Les Etats majors de tous les pays semblent ĂȘtre sur le qui-vive vis-Ă  -vis d’une menace extra-terrestre.
    Je n’en dis pas plus, si ce n’est qu’en plus des personnages particuliĂšrement bien dessinĂ©s, l’intrigue se joue avec en trame de fond une humanitĂ© qui, pour une partie, ne croit plus en rien, et pense que le salut ne pourra venir que d’une civilisation extra-terrestre, plus avancĂ©e. Il y a beaucoup de rĂ©sonances dans ce thĂšme avec les atermoiements millĂ©naristes ou eschatologiques actuels, et cela donne de la puissance au rĂ©cit. Le rapport Ă   la science, et donc Ă   la vĂ©ritĂ©, y est, c’est bien normal pour de la hard SF, Ă©galement central. Superbe roman !
    Je prĂ©cise enfin que c’est grĂące Ă   Jean Clayrac (Un regard inquiet) que j’ai dĂ©couvert cet ouvrage, via nos Ă©changes sur Twitter. J’avais par ailleurs recensĂ© son livre « Trois coups de tonnerre » ici mĂȘme.

  • Le monde sans fin

    Le monde sans fin

    « Le monde sans fin » est une bande dessinĂ©e pĂ©dagogique, nĂ©e de la collaboration entre Jancovici et Blain. Il y est question d’Ă©nergie, de climat, de l’humanitĂ©. C’est un formidable ouvrage, qui se dĂ©vore, qui nourrit, qui fait rĂ©flĂ©chir et …rĂ©agir car il comporte quelques biais idĂ©ologiques.
    Christophe Blain est un des auteurs de BD françaises les plus talentueux, et l’un de mes prĂ©fĂ©rĂ©s. J’adore son trait, et son style. Vous pouvez notamment vous jeter sur la sĂ©rie Gus. Il a souhaitĂ© rencontrer Jean-Marc Jancovici, ingĂ©nieur, enseignant et entrepreneur, inventeur du bilan carbone, pour mettre en image et en narration son Ă©clairage sur l’Ă©nergie et le climat. Le livre est le trĂšs beau rĂ©sultat de cette collaboration.

    Qualités indéniables

    On retrouve dans le livre le franc-parler de Jancovici, qui ne mĂąche jamais ses mots pour dĂ©zinguer les opinions qu’il pense stupides ou erronĂ©es. C’est ce qui fait de lui un animal Ă   part dans le champ des discussions sur l’Ă©nergie et l’Ă©cologie. Pro nuclĂ©aire, ce qui me plaĂźt compte tenu des Ă©nergies disponibles, mais aussi visiblement pas vraiment un franc-partisan de la libertĂ© (planiste, nĂ©o-malthusien), ce qui me dĂ©plait compte tenu de mes valeurs. On sent tout de mĂȘme le technocrate, et le collectiviste ; ce qui sur un sujet comme l’Ă©nergie est moins choquant : la subsidiaritĂ© bien comprise implique que certains sujets soient nĂ©cessairement traitĂ©s sur une maille nationale, voire internationale, et celui de l’Ă©nergie en fait probablement partie.
    J’ai beaucoup aimĂ© aussi, outre les magnifiques dessins, le style narratif choisi par Blain. Racontant son histoire avec le sujet, et avec Jancovici, il assume d’ĂȘtre celui qui ne sait pas (mais apprend et transmet). Cela fait un ton toujours trĂšs pĂ©dagogique, jamais lourdingue, toujours fluide et clair. J’ai beaucoup apprĂ©ciĂ© la partie finale sur le fonctionnement du cerveau, utile et donnant une profondeur et une ourverture au propos.

    Oui, mais…

    J’ai dĂ©jĂ   mentionnĂ© quelques points de dĂ©saccord de philosophie politique. Mais ils ne sont pas gĂȘnants en tant que tel. Ce qui me dĂ©range plus, mes lecteurs n’en seront pas surpris, c’est le mĂ©lange entre politique et science dans l’argumentation. La science dit ce qui est, la politique dit ce qu’on dĂ©cide de faire compte tenu de ce qui est et de ce qu’on en sait. La science ne dit pas ce qu’il faut faire. Or, sur ce sujet, le mĂ©lange est omniprĂ©sent, et il me semble que cela devrait faire partie du rĂŽle de pĂ©dagogue que de dĂ©mĂȘler cet entrelacement douteux. La planĂšte se rĂ©chauffe, soit. L’effet de serre a un rĂŽle dans ce rĂ©chauffement, soit. Il est possible que l’homme ait une part (petite Ă   priori) dans ces variations de climat, soit. Mais rien de tout cela ne dit ce qu’il faut faire, et avec quelle proportion, avec quelle vitesse. C’est l’affaire des arbitrages politiques, des affaires humaines. Car soyons beaucoup plus clairs : la science ne dit pas ce qu’il faut faire, mais des scientifiques et des politiciens, ou des activistes peuvent utiliser la science pour faire comme si elle apportait avec elle les choix politiques et les arbitrages. C’est de la manipulation. Je pense que Jancovici tombe un peu lĂ  -dedans Ă   certains moments.
    Il joue sur la peur, et ne montre qu’une partie des faits, pour faire croire au lecteur que certaines actions sont inĂ©vitables et commandĂ©es par le rĂ©el. Quelques exemples ? Je n’ai pas lu dans le livre la mention qui aurait dĂ» ĂȘtre faite de la part de l’homme et du CO2 anthropogĂ©nique dans l’effet de serre global : Ă   peine 0,3%. Le principal vecteur d’effet de serre sont la vapeur d’eau, et le CO2 naturel, dont les cycle sont presqu’indĂ©pendants des activitĂ©s humaines. Ce simple fait, ainsi que la dĂ©pendance connue du climat aux variations astronomiques (activitĂ© solaire, position de la terre, etc..), fait prendre du recul par rapport au message « activitĂ© humaine = rĂ©chauffement = castrophe ».
    Il n’est jamais fait mention dans le livre, non plus, des effets positifs de l’augmentation du CO2 et de la tempĂ©rature. Par exemple, la terre n’a jamais Ă©tĂ© aussi en forme cĂŽtĂ© « forĂȘts » (ce qui contredit les images catastrophiques du livre). Les plantes en gĂ©nĂ©ral et les arbres en particuliers, bĂ©nĂ©ficient de l’augmentation de CO2, ce qui peut d’ailleurs ĂȘtre un Ă©lĂ©ment d’auto-rĂ©gulation du climat.
    Je n’ai pas vu dans le livre non plus d’Ă©lĂ©ments concernant les « nouvelles » pistes de production d’Ă©nergie (notamment la fusion nuclĂ©aire qui fait des progrĂšs chaque jour).

    L’Ă©ducation peut-elle faire l’impasse sur le Vrai ?

    Je comprends ces raccourcis : le livre a Ă©tĂ© fait dans une logique de persuasion, de mise en mouvement des lecteurs. Le pari est rĂ©ussi. ça marche toujours de faire peur. C’est ce que fait le GIEC depuis 1988. Mais je fais partie des esprits – probablement trop idĂ©alistes – qui aimeraient que les combats politiques se mĂšnent sans trahir ou masquer excessivement la vĂ©ritĂ©. Pour repenser nos modes de fonctionnement, notre rapport Ă   l’Ă©nergie, Ă   la consommation, Ă   la croissance, faut-il faire planer sur tous les esprits, notamment les jeunes que l’on forme, une angoisse existentielle sur-jouĂ©e, et rendant fou, car portant sur des sujets oĂč probablement l’homme n’a qu’une influence nĂ©gligeable ? Faut-il jeter la rigueur et la vĂ©ritĂ© pour faire avancer sa cause ? Je pense le contraire. Aucune cause ne saurait ĂȘtre juste si elle nĂ©cessite pour avancer de cacher le rĂ©el et de museler la vĂ©ritĂ©.

  • Le goĂ»t du vrai

    Le goût du vrai

    « Le goĂ»t du vrai », d’Etienne Klein, dans la collection Tracts, est un joli petit essai, qui dĂ©fend la science (et la raison), dans une Ă©poque qui, selon l’auteur, tente de n’en faire qu’un discours parmi d’autres.

    Plaidoyer pour la science

    J’ai dĂ©couvert la collection Tracts, de Gallimard, grĂące Ă   mon ami Jean-marc. C’est une collection intĂ©ressante : des petits livres courts, sans couverture rigide (donc peu chers), et forçant leurs auteurs Ă   ĂȘtre concis. Etienne Klein, physicien, philosophe des sciences, et grand pĂ©dagogue, fait partie des gens que j’aime Ă©couter. Vous pouvez le dĂ©couvrir sur Youtube dans des confĂ©rences et interviews.
    Le livre est un plaidoyer pour la science, la vĂ©ritĂ© et la raison, sans jamais tomber dans le scientisme. On sent qu’Etienne Klein est un peu inquiet par la dĂ©raison qui a surgit autour du COVID. On ne saurait lui reprocher ! Le livre se lit trĂšs bien, et apporte beaucoup d’arguments utiles et percutants. Il m’a alimentĂ© pour mon essai en cours d’Ă©criture sur un certain nombre de points. Je me permets d’y apporter une critique, cependant, car c’est dans l’identification et la formulation des points de dĂ©saccords que l’on se nourrit de la pensĂ©e d’autrui.

    Séparer la politique et le scientifique: une urgence !

    Il me semble qu’Etienne Klein est victime d’un biais trĂšs prĂ©sent Ă   notre Ă©poque, et qui mĂ©riterait d’ailleurs d’ĂȘtre analysĂ©, collectivement. Sur plusieurs sujets, il semble ne pas faire la sĂ©paration, pourtant essentielle Ă   mes yeux, entre la science (qui dit ce qui est), et la politique (qui dit ce qu’on fait). Contrairement Ă   ce qui est implicitement dit dans le livre de Klein, il n’y a pas de lien univoque entre ce qu’on sait, et ce qu’on doit faire. Il y a toujours plusieurs maniĂšres d’intĂ©grer les connaissances dans l’action. PrĂ©tendre le contraire (ce que ne fait pas Klein) serait pour le coup du scientisme, et une forme de naĂŻvetĂ©.
    Sur deux sujets que Klein prend en exemple (COVID et rĂ©chauffement climatique), il me semble justement qu’un certain nombre de personnes utilisent un discours pseudo-scientifique pour faire passer leurs idĂ©es politiques. Nous devons nous opposer Ă   cela. Klein semble sous-estimer le « vĂ©rolage » d’un certain nombre d’institutions scientifiques par des enjeux politiques/politiciens. C’est le cas du GIEC. C’est le cas du Conseil scientifique de crise COVID. Tout cela est connu, et il est surprenant que Klein ne prenne pas cela en compte pour mettre de maniĂšre plus explicite la sĂ©paration entre science et politique comme un des moyens de retrouver la raison.

  • Les fontaines du paradis

    Les fontaines du paradis

    Utopiales de Nantes

    Si vous lisez ce blog, vous savez que j’aime la science fiction. J’ai eu la chance d’aller passer une journĂ©e aux Utopiales de Nantes, dans le cadre de mon travail. C’est un festival de Science-Fiction. J’ai trouvĂ© l’Ă©vĂšnement, pour ce que j’en ai vu, super bien organisĂ© (tables rondes, confĂ©rences, expositions, BD, jeux, livres, etc..). Et nous avons assistĂ© le matin à  une remarquable confĂ©rence – « Penser les futurs » – de Roland Lehoucq (astrophysicien et auteur, prĂ©sident du festival) et Vincent Bontems (philosophe, chercheur et auteur). Nous y avons dĂ©couvert une histoire de la science-fiction, et de ses rapports à  la science. J’ai dĂ©couvert la distinction entre hard science-fiction et space opera. Cela mĂ©riterait plusieurs articles sur toutes les infos passionnantes qui nous ont Ă©tĂ© partagĂ©es. Je garde en tĂȘte le concept de « merveilleux scientifique » qui animait les premiers auteurs de SF. Et je me demande sous le feu de quelles idĂ©ologies nous avons perdu, collectivement, notre capacitĂ© d’Ă©merveillement par rapport à  la science et aux contenus scientifiques. Le terme ou label « science fiction » (fiction scientifique) a Ă©tĂ© inventĂ© par Hugo Gernsback (trĂšs influencĂ© par H.G. Wells et J. Vernes, inventeurs du genre).

    Ce rĂ©cit a pour but de fournir au lecteur une prĂ©vision de l’avenir justifiĂ© par les merveilleux progrĂšs de la science actuelle.

    Hugo Gernsback (1884 – 1967) romancier de science-fiction et homme de presse amĂ©ricain

    Vincent Bontems, chercheur associĂ© au CGS de l’Ă©cole des Mines, a ensuite partagĂ© une analyse tout à  fait passionnante des diffĂ©rents discours sur le futur (divination, prophĂ©tie, utopie/dystopie, futurologie et prospective) et des diffĂ©rentes fonctions des rĂ©cits de Science-Fiction. RĂ©ellement passionnant ! Ses slides Ă©taient remplis de super citations d’auteur de SF et de scientifiques. Je vais les ajouter à  ma collection. Dans la bibliothĂšque du festival, j’ai achetĂ© un ouvrage d’une des premiers reprĂ©sentants de la hard science-fiction, Arthur C. Clarke, que les confĂ©renciers avaient prĂ©sentĂ© : « Les fontaines du paradis« .

    Les fontaines du paradis

    Arthur C. Clarke (1917 – 2008) Ă©tait – excusez du peu ! – scientifique, Ă©crivain de science-fiction, Ă©crivain scientifique, futurologue, prĂ©sentateur tĂ©lĂ©, explorateur sous-marin et inventeur britannique. Il fait partie, avec Heinlein et Asimov des « trois grands » de la science-fiction anglo-saxonne. Il est l’auteur, notamment, du fameux « 2001 : l’odyssĂ©e de l’espace » qui a inspirĂ© le film Ă©ponyme. Son roman est l’histoire de la mise en place du premier « ascenseur spatial » : une sorte de station spatiale orbitale, reliĂ©e à  la terre par des filins en nanotubes, et que l’on peut rejoindre en « ascenseur ». Le roman dĂ©crit les premiĂšres Ă©tapes de la mise en place, de maniĂšre assez dĂ©taillĂ©e. Le concept n’est pas du tout impossible, scientifiquement, à  la restriction prĂȘt que nous n’avons de matĂ©riaux assez rĂ©sistants (à  part les nanotubes de carbone, mais que l’on sait pour le moment construire sur quelques mm ou cm). La station est situĂ© sur une orbite gĂ©ostationnaire. De nombreux articles scientifiques ont montrĂ© que cette construction Ă©tait une possibilitĂ© scientifique, sinon technologique.
    C’est un bon roman, au delà  de l’aspect invention et science. L’Ă©clairage sur le lieu d’oĂč partira l’ascenseur spatial, un temple religieux en haut d’une montagne, et que l’on doit donc dĂ©gager pour rĂ©aliser le projet permet une mise en abĂźme historique intĂ©ressante. Les rebondissements de la deuxiĂšme partie, le long de l’ascenseur sont trĂšs faciles à  imaginer dans un film. J’ai dĂ©couvert un auteur trĂšs intĂ©ressant.

  • Platon a rendez-vous avec Darwin

    Platon a rendez-vous avec Darwin

    Dans Platon a rendez-vous avec Darwin, le haut fonctionnaire Vincent Le Biez signe un bel essai en forme de cabinet de curiosités : stimulant, riche, et varié, mais manquant de structure et de profondeur.

    Rencontre(s) entre les sciences et la politique

    La thÚse du livre, exposée explicitement dans le dernier chapitre, est claire et puissante :

    Si les mĂ©thodes utilisĂ©es pour Ă©tudier les systĂšmes physiques et sociaux diffĂšrent largement et ne sont pas facilement transposables, les systĂšmes eux-mĂȘmes partagent certaines caractĂ©ristiques communes du fait de leur complexitĂ©, par consĂ©quent, la connaissance des systĂšmes naturels complexes offre des intuitions intĂ©ressantes concernant l’organisation des systĂšmes politiques et sociaux.

    Mobilisant des connaissances trĂšs variĂ©es, tant scientifiques que philosophiques, Vincent Le Biez, jeune haut fonctionnaire, se livre à  un brillant exercice de style, structurĂ© autour de couples de penseurs. Chaque chapitre rapproche les pensĂ©es d’un scientifique et d’un philosophe ou penseur politique : Sadi Carnot se retrouve ainsi appariĂ© avec Hannah Arendt, Ernst Ising avec Alexis de Tocqueville, ou encore Platon avec Darwin. Sur ce dernier exemple, la thĂ©orie de l’évolution du scientifique anglais, qui montre que les ĂȘtres vivants Ă©voluent, et que cette Ă©volution n’est pas le fruit d’un dessein, est mise en opposition avec la pensĂ©e de Platon oĂč, au contraire, l’ordre des choses, statique, rĂ©pond à  un dessein et à  volontĂ© de perfection. Riche discussion, seulement esquissĂ©e dans l’essai, sur la tĂ©lĂ©onomie, le finalisme, et les diffĂ©rentes conceptions du monde. Ce livre est d’autant plus stimulant qu’il expose avec clartĂ© et maĂźtrise la pensĂ©e d’auteurs nombreux, tant en sciences qu’en philosophie politique.

    Manque de rigueur et d’audace

    Il se dĂ©gage pourtant de la lecture une sensation de papillonnage, et d’une pensĂ©e qui part dans tous les sens. Sous la brillance intellectuelle, on se retrouve avec des idĂ©es somme toute assez peu originales, ce qui n’est du reste pas anormal, car les hybridations intellectuelles aux interstices des disciplines n’ont pas attendues Vincent Le Biez pour ĂȘtre faites. Il y a par ailleurs quelques raccourcis dans la maniĂšre dont la pensĂ©e des auteurs est retranscrite. Hayek, par exemple, n’a jamais pris « l’ordre spontanĂ© Â» pour la « valeur suprĂȘme Â». Hayek plaçait la libertĂ© au-dessus de tout, et l’ordre spontanĂ© est simplement un phĂ©nomĂšne qu’il a grandement contribuĂ© à  caractĂ©riser, notamment ses conditions d’existences. La mĂ©thode analogique utilisĂ©e a les dĂ©fauts de ses qualitĂ©s : riche en intuition, stimulante, mais conduisant souvent à  des choses peu rigoureuses. Et si les thĂ©ories scientifiques sont bien exposĂ©es, les idĂ©es des philosophes ou penseurs politiques le sont de maniĂšre un peu plus lĂ©gĂšre.
    Par ailleurs, pourquoi l’auteur Ă©prouve-t-il le besoin de se cacher derriĂšre ces analogies scientifiques pour livrer son point de vue politique ? Il n’y a pas besoin de passer par la thĂ©orie des membranes pour redire, en le citant, ce que Claude LĂ©vi-Strauss avait dĂ©jà  analysĂ© à  propos des limites au mĂ©lange entre des cultures diffĂ©rentes. L’approche alternative proposĂ©e par l’auteur, à  la suite de Prigogine et Bertalanffy, montre ses limites. Une approche visant à  pouvoir tout marier, une sorte d’en mĂȘme temps philosophique. Une synthĂšse dont la « neutralitĂ© Â» serait garantie par son origine scientifique. Vincent Le Biez explique que cette approche partage des choses avec tous les courants de pensĂ©e, du socialisme au conservatisme en passant par le libĂ©ralisme, l’écologie politique ou le progressisme.

    Une pensĂ©e politique qui fait l’impasse sur le conflit

    C’est oublier un peu vite que les humains ne sont pas des molĂ©cules, et les sociĂ©tĂ©s sont des systĂšmes complexes pas comme les autres. Les humains attachent dans leur rĂ©flexion, et dans leur apprĂ©hension de l’ordre politique et social, une importance cruciale à  la notion de vĂ©ritĂ©. Une composante qui semble avoir Ă©tĂ© un peu vite Ă©cartĂ©e par l’auteur, dans son mouvement d’équilibriste centriste (comprĂ©hensible pour un haut-fonctionnaire en poste) : Les vĂ©ritĂ©s, en politique, s’affrontent la politique est aussi le lieu du conflit, et de choses, d’idĂ©es, qui s’excluent mutuellement. Les vĂ©ritĂ©s, en politique, s’affrontent. Le socialisme n’est pas compatible avec libĂ©ralisme, pas plus que le progressisme avec le conservatisme. Faire coexister dans la sociĂ©tĂ© ces approches et pensĂ©es divergentes, avec tolĂ©rance, en assumant d’avoir des adversaires politiques, c’est le gĂ©nie de la dĂ©mocratie occidentale. Mais cette coexistence ne fait pas disparaĂźtre les diffĂ©rents et les conflits profonds entre ces courants de pensĂ©e. Sans conflit d’idĂ©es, sans dĂ©saccords, la pensĂ©e politique n’est qu’une soupe tiĂšde politiquement correcte.

    Cette recension a d’abord Ă©tĂ© publiĂ©e sur le site du magazine L’incorrect (lien). Je les remercie d’avoir bien voulu publier ce modeste article, et de leur confiance.